Archive for the ‘discussions piquantes’ Category

Pour Simonet, avec amour… vache…

Wednesday, July 28th, 2010

En réponse à la circulaire Simonet, dont on trouvera la référence ici, je propose au programme de français, responsable, le menu littéraire suivant pour nos chères têtes blondes (aux lèvres duveteuses):

1e année de collège:
“Sodome et Gomorrhe” de Proust
Discussion: de l’acceptation de la pédophilie dans la haute bourgeoisie.
Développement: actualité, histoire: retour sur la marche blanche.
(pour les Français, reportez-vous au mythe “Belge=pédophile”)
Rédaction: mes meilleurs souvenirs avec mon oncle/mon père/mon grand-père/le médecin de famille/le chien de ma tante/autre.

2e année:
“La philosophie dans le boudoir” de Sade
Discussion: 14 ans est-il trop tôt pour faire de la philosophie?
Développement: latin: Pétrone est-il encore un auteur actuel?
Rédaction: à quoi je pense pendant que je me masturbe?

3e année:
“Sexus” de Henry Miller (en traduction)
Discussion: la philosophie est-elle possible entre deux fellations? Si oui, en est-elle influencée?
Développement: géographie: l’amour est-il envisagé différemment aux USA au moment des années folles et aujourd’hui en Communauté Française de Belgique, en particulier à Namur?
(version française: au Palais-Bourbon)
Rédaction: les trottoirs sont-ils adaptés pour les premiers ébats d’un couple romantique et passionné?

4e année:
“Les Essais” de Montaigne
C’est pour une fois te reposer un peu.
(vers 16 ans, les élèves sont plus difficiles à tenir: si en plus on les excite, on ne va pas s’en sortir)

5e année: (dite “poésie” en Belgique)
“L’album zutique” de Rimbaud et Baudelaire
Discussion: l’art est-il possible dans l’abstinence conseillée par le pape avant le mariage?
Développement: latin: Catulle a-t-il fait exprès de s’appeler comme ça? et Juvénal?
Rédaction: écrire un poème contenant une rime en -ouille, une rime en -ite, une rime en -ule (ou en -ul) et une rime en -atte.

6e année:
“Le diable au corps” de Radiguet
Discussion: un jeune homme avec une femme plus âgée, est-ce plus ou moins acceptable que le contraire?
Développement: histoire: les guerres sont-elles d’excellentes occasions pour les réformés?
Visionnage du film “Tendre Cousine” de David Hamilton.
Rédaction: comment profiter de la situation si mon papa/mon oncle/mon grand-père/le médecin de famille/le chien de ma tante part à la guerre?

Pour les épreuves du Bac (en France):
Lecture préparative à la question de philosophie:
tous les documents de Platon à Marx qui évoquent la communauté des femmes.
Question pour le jour du Bac: la polygamie est-elle le seul fait de l’Islam dans l’histoire?

Marius Alexandre Jacob

Monday, July 26th, 2010

ou Alexandre Marius Jacob, suivant son goût, était un anarchiste illégaliste. Cela signifie qu’il se contentait de trouver un moyen illégal pour exproprier les riches en faveur des plus pauvres. Robin des Bois, sans le souci du roi Richard. Sa correspondance est passionnante. Je vous en livre un extrait:

août 1905: il vient d’être condamné à 20 ans de bagne, qu’il ne terminera qu’en 1927. À sa mère:

“Si la loi était juste, elle n’aurait pas besoin de tout son attirail de gendarmes, de policiers, de soldats armés de fusils, de sabres et de revolvers pour la faire observer: tous les hommes s’y soumettraient sans contraintes, comme l’on se soumet aux lois naturelles. Ai-je besoin qu’un gendarme me dise de ne pas mettre la main dans le feu (…). Or si le juge s’entoure de tant de précautions, c’est parce que sa justice, ses lois ne sont que des droits usurpés par la force et la victoire. C’est te dire enfin que c’est une atroce plaisanterie de parler d’impartialité dans ces sortes d’affaires où la force et la violence décident seules du droit.”

(D’après: A. M. JACOB, Écrits, éd. L’insomniaque, Quincy-sous-Sénart, 2004, p. 127)

presse satyrique

Friday, July 23rd, 2010

Non, non, le titre est voulu…
Oui, je sais, on dit “satirique”. C’est juste un jeu de mots, comme sait si bien les faire mon hebdo favori, auto-qualifié d’ailleurs tel. C’est qu’on en parle beaucoup ces derniers temps, de la presse satirique, dans la presse normale et dans les couloirs du pouvoir. Pour avoir dénoncé plusieurs ministres du gouvernement et divers scandales à plusieurs échelons, le Canard enchaîné est l’objet des foudres des dirigeants français. Lui et Mediapart, un organe (prétendument) indépendant en ligne, commis par Plenel, de sinistre mémoire, puisqu’il s’agit du Monsieur-Téléachat du Monde, comme le dénonçaient en son temps à juste titre le Plan B et CQFD.

Si je sais pourquoi le Canard s’auto-intitule “journal satirique paraissant le mercredi”, consacrant ainsi le droit à la satire en France, peu limité, il faut le reconnaître, je regrette amèrement que, lorsqu’il est évoqué par des tiers, il ne soit pas plus souvent qualifié de “journal d’investigation”, ce qu’il est, même s’il l’est sous une forme particulière.

Il faut reconnaître et regretter que le journalisme d’investigation est devenu une denrée très rare en francophonie ((A part sur internet, comme par exemple dans lejim.info, tenu par mes potes.)). À dire vrai, à part ceux que j’ai nommés plus haut ((Mais le plan B a disparu)), je serais curieux de savoir quels autres journaux peuvent revendiquer décemment ce qualificatif.

Certes, le Monde Diplomatique peut y prétendre par moments, mais c’est surtout ce que j’appellerais un “journal sérieux de gauche”. C’est-à-dire un mensuel qui fait état de constats clairs sur base de faits connus ou connaissables aisément. Il fait un travail extrêmement important et naturellement indispensable, nous proposant de réfléchir avec un oeil de gauche sur des phénomènes accessibles à nos yeux et nos oreilles. En outre, si on peut parfois trouver des infos intéressantes dans l’Express, le Nouvelobs ou d’autres revues du même tonneau, au moins dans le Monde Diplo est-on certain du sérieux et du point de vue de gauche qui parcourt tout le journal.

Je pensais à cela d’ailleurs en lisant le dernier livre de Joseph Stiglitz (Freefall), dans lequel l’auteur est en possession de toutes les informations suffisantes pour dénoncer le capitalisme dans son essence même et ne le fait pas, tentant de rattraper l’irrattrapable en le saupoudrant de keynésianisme. Mais bon, je laisserai ça pour une autre fois, c’est promis (comme mon traité d’économie depuis des années, je sais). Ce que je veux dire, c’est que le Monde Diplo, proposant par exemple à Frédéric Lordon une colonne régulière pour analyser l’économie avec les mêmes informations, parvient à te me descendre en beauté le capitalisme in se et à proposer des idées véritablement de gauche, que même Mélenchon il paraîtrait un dangereux défenseur des marchés à côté.

Non, des journaux d’investigation (en papier), il y en a peu. Je veux dire, des journaux qui proposent de véritables enquêtes sur le terrain, des révélations qui nous éclairent sur ce qui se trouve en dessous du tapis et qui en tirent des faits qui permettent de généraliser l’existence d’un système, c’est l’exception. Certes, sur internet, ils sont légion. Mais nous sommes encore rares à nous documenter véritablement en ligne. Alors, un journal d’investigation papier, évidemment, ça revient très cher. Le Canard a la chance (qu’il s’est construite) de reposer sur une réputation et un capital indépendant (pas de pub, pas de parti, pas de proprio) qui en fait l’astre le plus remarquable de la sphère médiatique (à ma connaissance) en matière d’investigation journalistique.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire sur wikipedia la liste des dossiers révélés par lui au cours de son histoire et de s’apercevoir que, dans ce monde de canards, ce vilain petit était en fait un grand beau cygne…

Quel dommage qu’il ne soit pas resté noir, comme à ses débuts…

Le bookmaker et son tueur

Wednesday, June 23rd, 2010

La Société Générale réclame 4,9 milliards d’euros à Jérome Kerviel.

Par souci, paraît-il, de “simplicité” et de “compréhension”.

Un bon libéral est un libéral mort, disait le Colonel Custer.
et Henri IX lui répondit “Tuez-les tous, qu’il n’en reste pas un seul pour me le reprocher après.”

Deux grands penseurs qu’il faudrait peut-être enseigner plus souvent à nos petits…

Je prends les paris…

Thursday, June 10th, 2010

… qu’avant trois mois Israël aura repris sa place dans le marasme des démocraties respectables,

… que la grosse colère des USA, très relative, se sera entièrement reportée sur les “vrais responsables” de l’éternelle crise du Moyen-Orient: l’Iran (qu’elle n’a jamais oublié), le peuple palestinien (le Hamas, lui, non plus, n’a jamais été oublié) et les Arabes en général, dont ces sales Coréens du Nord, qui ont des têtes d’Arabes, évidemment,

… que la population, dans sa toute grande majorité, aura autant oublié les activistes marins tués par l’armée israélienne, comme elle a déjà pratiquement oublié l’opération Plomb Fondu (avec vingt fois plus de morts, quand même, dont pas mal de gosses),

… que le gouvernement turc reprendra ses relations diplomatiques avec son partenaire local, y compris dans la conduite de manoeuvres militaires,

… qu’Israël sera redevenue “la seule démocratie de la région“, en dépit des nombreuses contradictions que l’État en question nourrit à l’égard de ce qui définiti théoriquement une démocratie, même représentative.

J’aimerais bien pouvoir perdre mon pari, mais je sens que c’est mal barré.

fuck Uyama (même pas drôle)

Wednesday, June 2nd, 2010

Un certain Fukuyama, Francis, conservateur, voire néoconservateur pour ceux qui aiment ce genre de distinction, étatsunien, se réjouissait il y a une vingtaine d’années, de la fin de l’histoire, de la fin des idéologies concurrentes du libéralisme -enfin, de la démocratie libérale.

Pour lui, tout était dit, avec la mort du socialisme réel. Il ne restait plus au capitalisme triomphant que d’assurer le bonheur du monde.

Ben tiens. Encore un qu’il faudra pendre par les pieds avec les lacets des derniers militaires, histoire de lui faire circuler un peu de sang dans le cerveau.

——-

En attendant, une chose est certaine, en Belgique, les idéologies sont loin d’être mortes: selon les médias belgiens, il y a encore beaucoup à débattre et il faudrait peut-être pondre des kilomètres de manifestes et de théories histoire de laisser une trace de la valeur mystérieuse de ces dialectiques.

Le Soir, qui n’est pas loin d’être, il faut le reconnaître, l’un des plus influents (et des plus stupides si l’on excepte quelques rares éléments) de notre terroir francophone, l’affirme encore par l’organisation -enfin, la co-organisation avec le Standaard- de débats Nord-Sud.

C’est Peyo qui doit rigoler…

Mais qui oserait encore dire qu’il n’y a pas d’idéologie? Simplement, maintenant, elle ne se marque plus entre gauche et droite (quelle idée! Nous sommes tous du centre moi… pardon, du centre mou), mais entre le Nord et le Sud. Changez vos perspectives: tout n’est plus gauche ou droite, extrême-gauche et extrême-droite, mais Nord et Sud, extrême-Nord et extrême-Sud…

D’ici cent ou deux cents ans, ils auront inventé un centre qui deviendra le seul siège acceptable… Et puis voilà. (on se distinguera peut-être sur l’axe Est-Ouest… ah ben non, ça fait gauche-droite, crotte)

On a les médias qu’on mérite, et puis c’est tout.

On the road again

Monday, May 31st, 2010

“Imaginez que l’on crée un moyen de transport non-polluant, comme un casque télétransporteur, par exemple. Tout le monde trouverait ça fantastique ((À part les constructeurs automobiles évidemment.)) et on attribuerait un prix à l’inventeur. Mais, supposons encore que, quand il reçoit sa distinction, il révèle que la machine fonctionne avec de la chair humaine et que pour l’utiliser (au Brésil), elle consomme dix personnes par jour. Il serait sûrement arrêté aussitôt. Pourtant, ce n’est pas le cas avec la voiture, tout le monde l’accepte.”

Voilà comment un professeur de la Faculté de Médecine de l’Université de São Paulo, Paulo Saldiva, résume la problématique du culte de la voiture.

L’an dernier, ce sont plus de 4 personnes par jour qui mouraient au Brésil dans un accident de voiture, et l’on estime à environ 10 personnes par jour qui meurent en raison des suites de l’abus de voiture: pollution et stress donc maladies, accidents ((Si j’ai bien compris l’article de Camila Souza Ramos et Glauco Faria, O caos sobre rodas, in Forum, Outro mundo em debate, mai 2010, p. 8-13.)).

Savez-vous en outre que les dépenses d’asphaltage, de signaux, de feux, etc., représentent la moitié des dépenses d’urbanisation d’une ville? Prenez tous les frais d’hôpitaux, d’école, d’arborisation, de trottoirs, de lumière, de pistes cyclables, d’équipements publics, de places, etc., tout cela coûte moins cher que le service “public” de la bagnole -qui pourtant, en moyenne, ne sert qu’une petite minorité de la population mondiale ((Même article, qui cite Raquel Rolnik, professeure à l’Université de São Paulo.)). Si on concentrait plus d’investissement dans les transports publics, il y aurait donc fatalement plus de justice.

Et moins de croissance, hehehe…

On compte enfin que les habitants de São Paulo, en raison du trafic, passent 2h43 en moyenne chaque jour dans des déplacements entre leur domicile et leur travail. 41 jours par an…

Ça ne vous fait toujours pas réfléchir ((Les Paulistes sont plus de soixante-pour cent à s’accommoder de la situation. Ils écoutent les infos (30%), de la musique (27%), étudient (16%), travaillent (11%) ou regardent le trafic (10%). Et vous?))?

Ay, Caramba! Vous l’aimez donc tant que ça, la croissance?

Contradictions

Monday, May 24th, 2010

En théorie, le libéralisme, que ce soit selon Hayek, Friedman, Smith et les autres, est censé apporter à chacun une occasion de développer son individualité à travers la libre disposition de sa force de travail. Le libéralisme, chantre de l’égalité des opportunités, des chances, des possibilités, est, en idée, le plus juste des systèmes économiques en ce qu’il ouvre à tous, sans barrière, la possibilité de faire fortune -ou non- et de jouïr des biens de la vie. Chacun investira en temps de travail ce qu’il estimera nécessaire pour vivre ((Ici réside une première contradiction en ce que le temps que nous sommes prêts à consacrer au travail ne peut dépendre de notre seule volonté, étant entendu que plus notre voisin travaille, plus nous devrons travailler pour compenser l’augmentation du prix des choses qui, par la demande induite de son travail, ne cessera de pénaliser ceux qui désirent travailler moins et consommer des choses simples.)).

en gros, yaka.

La pratique est, bien sûr, toute autre.

Concrètement, l’OIT n’a pu que constater avec amertume (mais sans grande surprise) que les trente glorieuses, menées par le keynésianisme honni par les “classiques” fut largement plus égalitaire que les trente années qui suivirent ((CartaCapital, 27 mai 2009)).

Les inégalités ont largement crû depuis la (re)montée en puissance des “amis de Von Mieses”. Et la sclérose sociale -c’est-à-dire l’impossibilité pour l’acenseur social de se mouvoir- a rarement été plus évidente. En clair: si tu nais pauvre, tu as toutes les chances de mourir pauvre –et vite.

Il faut de sacrés couilles aux défenseurs du libre-marché pour prétendre que c’est encore la faute à “trop d’interventions” des États ((En gros, les plus libéraux des libéraux, les seuls un peu honnêtes dans leurs têtes, mais qui restent salement gonflés, n’hésitent pas à dire que c’est encore et toujours la présence de l’État dans le jeu économique qui est responsable de la misère persistante. Si on ne peut nier que l’État en fait de moins en moins pour soulager les plus affamés des terriens, il faut tout de même noter que c’est dans les régions du monde où l’État intervient le moins, voire les encourage, que les entreprises ont le plus les coudées franches pour exploiter leur main d’oeuvre, à n’importe quelles conditions et à n’importe quel âge.))…

Mais il y a plus.

Pour qu’il y ait réellement justice, il faudrait imaginer que, tous, “au commencement”, nous soyons dotés d’aptitudes, d’habiletés, de prédispositions, sinon égales, du moins équivalentes, et qui nous permettent à tous de trouver notre place dans le monde. Et dans un monde capitaliste de surcroît, c’est-à-dire un monde de compétition et d’égoïsme.

À ceux à qui il manquerait la force, aurait été donnée la perspicacité; à ceux qui n’ont pas de facilité pour étudier, la nature aurait réservé la volonté de faire plus; aux laids l’intelligence, aux moins subtiles la capacité de communiquer, aux plus débiles ((Dans le sens: faibles.)) la richesse matérielle, etc.

Quelque chose comme ça… Avec les nuances que vous voudrez…

Mais la nature ne nous a pas dotés de capacités comparables à celles d’une fiche de personnage de jeu de rôle, où chacun part avec un nombre de points équivalents à distribuer parmi les 6 caractéristiques et les 200 compétences que les concepteurs des règles ont identifiées afin de définir les possibilités des joueurs.

Non, nous ne sommes pas dans JRTM ou dans Donjons & Dragons. Nous sommes dans un immense non-jeu à une seule partie chacun ((Sans bouton de sauvegarde et encore moins de possibilité de recommencer.)), avec des prédispositions aléatoires pour chaque individu, sans relation aucune avec le moindre esprit de justice ou de partage calculé entre les individus. Certains, génétiquement, auront plus ou moins de chances que d’autres. Certains auront eu la chance de naître dans un pays tempéré et en paix depuis 60 ans ((Suivez mon regard.)), d’autres la malchance d’apparaître en pleine sécheresse dans un pays dévasté par la guerre. Certains auront des parents aisés, libéraux, ouverts, équilibrés, d’autres n’auront pas la moitié de ce scénario de base. Certains devront survivre dans la pollution de Mexico, d’autres grandiront à l’air pur de Chamonix. Il y a encore bien des facteurs à considérer, le premier desquels pourrait être la date de la naissance, par exemple, en regard des circonstances historiques, environnementales, politiques ou autres.

Une chose est certaine: pour qu’il y ait égalité des possibilités de chacun, il faut qu’une machine la force. Il faut rétablir ces chances, forcer certains à abandonner une partie de la leur au bénéfice de ceux qui en manquent ((Le fait est que cette équation entre en conflit avec la liberté, et donc aussi avec l’égalité: voir un précédent post que j’ai édité ici. Mais j’ai déjà tapé sur l’État. Ici je tape sur le libéralisme.)).

On appelle cela alors un État social ou social-démocrate. Pour les libéraux, c’est injuste. On se demande ce qu’ils entendent exactement par juste, sinon les seules situations où eux-mêmes sont susceptibles de gagner ((Mais de gagner quoi, déjà?)).

Mais il manque encore de nombreux paramètres, car nul ne sait ((Sauf rares exceptions peu enviables.)) quand il va mourir, ni de quoi. Vous pouvez avoir été chanceux pendant douze ans et mourir foudroyé par une maladie encore inconnue, tout comme il est possible de vivre 80 ans en fumant comme une cheminée au milieu des charbonnages.

Vous préférez quoi?

Ce qui me ramène au libéralisme, c’est l’extrême contradiction qui en motive les fondements.

Le libéralisme prétend que nous sommes tous capables de poursuivre le bonheur avec des chances équivalentes dans un monde laissé sans frein à l’accumulation de capital.

Si l’on dit “dans un monde libre de toute entrave”, je peux ajouter: “Ah oui, y compris l’entrave de la propriété privée“, mais évidemment je me prendrai les foudres des libéraux sur la tête: un monde sans propriété privée, c’est
-absurde
-impossible
-le communisme
-la ruine des avocats, des juges, des notaires, des spéculateurs, des banques et j’en passe…
-la crise
-etc. ((Barrez les mentions inutiles, s’il y en a.))

En réalité, les libéraux ne désirent pas un monde où tous ont les mêmes chances. Si ce monde existait, le libéralisme serait impossible, car chacun aurait les moyens d’assouvir ses besoins –ou en tout cas des besoins équivalents à ceux de tous les autres-, et la demande s’effondrerait d’autant; un monde où nous serions débarrassés de toute entrave signifierait aussi que les psychotropes de la consommation (et, par extension, la consommation de psychotropes) perdraient tous leurs attraits, puisque nous aurions tous une acuité égale par rapport à leur vanité.

Un monde libéré, ce serait un monde où la publicité ne pourrait plus mentir, car nous le saurions aussitôt. Par conséquent, la publicité disparaîtrait.

Un monde libéré rendrait impossible la vente de produits moyens ou médiocres, puisque chacun aurait la possibilité de s’approprier ce qu’il désire par son travail.

Un monde libéré éteindrait toute possibilité de cacher une information, le capitalisme serait transparent, tout se saurait, et par extension il deviendrait impossible ((Thèse de Stiglitz: le capitalisme nécessite des zones d’ombre pour exister, donc des mensonges, des omissions, des coups bas, etc.)).

Un monde libéré où tout le monde serait plus ou moins égaux devant les contingences du monde nous permettrait de diminuer le temps de travail jusqu’à pratiquement l’abolir –et, qui sait, l’éteindre tout à fait- pour nous permettre de nous consacrer aux épreuves plus élevées de l’humanité: l’art, la réflexion, la contemplation, le dialogue, le rire, l’amour et le sexe –le tout sans la dimension consommatrice imbécile ((Je vire Vaneigem, moi…)).

Le libéralisme, par essence, se nourrit d’inégalités. Mais dans l’inégalité, il ne peut y avoir de possibilités équivalentes pour tous et donc, par extension, il y aura toujours des patrons et des employés qui, dans le contexte de la nécessité de la plus-value, du taux de profit, de la concurrence, deviendront toujours maîtres et esclaves, et réactualiseront systématiquement la lutte des classes. Bref, le libéralisme concrétisé, c’est le contraire de la fin de l’histoire imaginée par Francis Fukuyama.

Je ne suis pas Sand-iniste.

Wednesday, May 19th, 2010

Compte-rendu: Shlomo Sand “Comment le peuple juif fut inventé”

“Comment le peuple juif fut inventé”, titre éminemment polémique et peut-être pas le meilleur possible, est paru en français en 2008 ((Le présent article ne porte que sur la version française du livre. Lors de discussions sur le forum, certaines personnes m’ont dit, mais sans me le montrer, que la version originale était parfois différente. Je suis bien incapable de le confirmer ou de l’infirmer.)), chez Fayard. Les émotions et les critiques qu’il a générées ((Il est impossible d’être exhaustif à cet égard: j’ai trouvé en ligne plus d’une centaine d’articles ou de forum (en tout, cela totalise plusieurs centaines de réactions différentes) en français qui discutent du livre –et les derniers étaient très récents, pourraient en annoncer de nouveaux. Les plus en vue ont également été publié dans des journaux comme Le Monde, par exemple: Eric MARTY, Les mauvaises raisons d’un succès de librairie, Le Monde, 28 mars 2009, reproduit notamment ici: http://lettresdisrael.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/03/29/le-negationnisme-de-shlomo-sand-demonte-par-eric-marty.html . Eric Marty est un critique littéraire, donc peu qualifié pour critiquer un historien. Il semble en outre qu’il n’ait pas lu le livre avant de le critiquer car il ne reproduit que des passages d’un article du Monde Diplomatique de Shlomo Sand. Un autre intervenant souvent reproduit, malgré la pauvreté de son argumentation est Pierre I. Lurçat, Le négationnisme “soft” d’un nouvel historien israélien, édité notamment ici: http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2009/01/20/shlomo-sand-deconstruire-le-peuple-juif.html#c485590 . Il y a encore un article plus argumenté de Nicolas Weill: À fiction, fiction et demie, dans Le Monde des Livres, 11 février 2010. De même, il serait difficile de citer un forum parmi les nombreux qui se sont penchés sur le livre de Sand. Il faut noter que, malgré l’existence de quelques bonnes critiques, ce sont surtout les plus émotionnelles et les moins rationnelles qui sont reprises pour le critiquer. D’un autre côté, aussi bien sur les forums que sur des sites personnels ou d’information, on retrouve des rapports élogieux de Sand. De positions modérées, il y en a très peu. Je dispose d’une liste d’un grand nombre de ces sources qu’il serait malséant de publier ici, mais que je mettrai prochainement en ligne dès que j’aurai trouvé une manière présentable de le faire.)) depuis lors, et encore cette année suite à sa parution chez Flammarion en poche (était-ce une bonne idée?), ont dépassé largement l’impact qu’il a eu en anglais et en hébreu, selon les sources trouvées en ligne.

Ce livre nécessiterait de longs commentaires, mais il est presque impossible qu’une seule personne s’y consacre. Un spécialiste ne peut décemment en faire la critique interne ((J’entendrai ici par critique externe, la critique de la méthode, de ses intentions, de la présentation de son travail, et par critique interne la valeur intrinsèque de chacun des éléments de ce travail.)) que d’une petite partie. Personnellement, je pourrais m’atteler à celle qui évoque l’époque hellénistique et latine, et encore uniquement sur les sources en latin et en grec, puisque je ne connais aucune des langues moyen-orientales qui étaient utilisées par les personnes concernées (araméen, hébreu, etc.). Par conséquent, je ne pourrais faire de ce livre qu’une critique externe, pas une critique interne, comme la plupart des historiens, car Sand s’est voulu exhaustif (ou presque, puisque, comme le dit Esther Benbassa, il ne fait qu’évoquer la période qui va de l’an mille au XVIIIe Siècle).

Two tribes

Mais pourquoi autant d’intérêt sur ce livre? Pourquoi autant de diatribes violentes et souvent injustifiées d’un côté et de soutiens inconditionnels, voire aveugles, de l’autre?

C’est que ce livre traite d’un sujet hautement polémique: Sand prétend faire l’étude de l’historiographie de la création du peuple juif par les intellectuels juifs de 1800 à nos jours. En réalité, la présentation de son livre et son contenu, ses audaces, ont amené bien des gens à estimer qu’il avait de plus amples prétentions. Un article paru dans le Monde Diplomatique ((http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205 Il faut noter que les intentions de sand n’y sont pas claires. Il dit bien “Ecrire une histoire juive nouvelle, par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée.” Cependant il ne prétend pas qu’il s’y est attelé, mais bien qu’il étudie l’historiographie du peuple juif, ce qui est très différent. En dépit de cela, on ne peut éviter de constater que son livre déborde souvent de l’historiographie pour se lancer dans l’exposé de théories dont les auteurs ne sont pas toujours clairement nommés.)), où il “résume” son propos, n’a pas aidé non plus à la clarification. C’est que Sand, historiographe compétent ((C’est-à-dire spécialiste de l’étude de l’histoire écrite.)), a aussi une âme de militant, et cette âme l’a parfois amené à dépasser son propos. Il a un peu oublié son devoir de modération et de réserve en tant que scientifique et historien. Ce qui n’aurait allumé aucun feu s’il avait traité d’un autre sujet que celui du peuple juif. Même si, évidemment, sur tout autre sujet, il n’y aurait jamais eu autant à dire, probablement. Ou plutôt, il n’y aurait pas eu matière à autant de passion, dirons-nous.

À voir, car, ce que fait Sand, en réalité, de nombreux historiens l’ont déjà fait pour la plupart des “nations”, des “peuples” européens. Je suppose que qui lit ces lignes sait que le “peuple belge” ne remonte pas à Jules César et aux ducs de Bourgogne ((Voir, par exemple, le livre d’Anne Morelli, Les Grands Mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, éditions Vie ouvrière – Histoire.)); que le “peuple français” n’est pas spécialement lié à Clovis ou au Traité de Verdun ((Voir les travaux de Suzanne Citron, Le mythe national. L’histoire de France en question, éditions Vie ouvrière, 1989.)), ni aux Gaulois; que le “peuple italien”, s’il est, culturellement, enraciné dans l’antiquité romaine, ne peut retrouver son identité dans le passé de la république ou de l’empire sans procéder à une véritable mythologisation de son histoire. Or, si l’on sait cela aussi pour l’Allemagne, pour l’Espagne, pour la Grande-Bretagne ((De manière générale, on suivra de près l’oeuvre d’Eric Hobsbawm. Mais il en est bien d’autres, et Shlomo Sand, par exemple, prétend suivre Benedict Anderson et Ernest Gellner qui, sans être de farouches radicaux, remettent le concept de nation en question.)), on le sait moins pour le “peuple juif” (que je ne mets pas entre guillemets par manque de respect, mais simplement par précaution oratoire). Et on sait, si l’on a fait un peu d’historiographie, que la déconstruction des mythologies nationales a longtemps été un sport de combat, pour reprendre une image du sociologue Bourdieu. Une tâche qu’il faut parfois reprendre, d’ailleurs, car les nostalgiques des nations existent toujours ((Il faut noter que Sand lui-même estime que la nation est l’un des sièges essentiels de la démocratie.))…

Historiographie et idéologie

Quels étaient alors les objectifs de Sand? Reprendre un sujet peu, voire pas étudié, selon ses dires, à savoir une vision globale de l’histoire de la construction du peuple juif par deux cents ans d’historiens et d’intellectuels. De Isaak Markus Jost, premier historien juif à avoir tenté de recomposer l’histoire des juifs au début du XIXe Siècle, jusqu’aux nouveaux historiens, très contestés, en passant par Heinrich Graetz, David Ben Gourion, Martin Büber et tous les autres, Sand tente de montrer que la structure de l’historiographie juive a connu des soubresauts qui ne sont pas étrangers à la nécessité idéologique d’asseoir l’existence d’un peuple qui, selon lui, n’avait pas de véritable consistance avant la fin du XIXe Siècle.
En suite de cela, et c’est très important, il explique qu’un peuple qui s’est auto-constitué ne manque pas moins de légitimité, que sa présence en tant que peuple ayant assis un siège géographique est tout autant juste que légale, qu’il n’y a pas à vouloir contester son existence ni son siège là où il se trouve. Autrement dit, à aucun moment Sand ne veut remettre en question la présence d’Israël en Israël ((P. 390 de son livre, Sand écrit: “Tout grand groupe humain qui se considère comme formant un ‘peuple’, même s’il ne l’a jamais été et que tout son passé est le résultat d’une construction entièrement imaginaire, possède le droit à l’autodétermination nationale.” Il cite aussi Arthur Koestler qui, bien que critiquant l’État d’Israël, lui reconnaissait une légitimité de droit et de fait depuis 1947 (p. 334).)).

Par contre, il délégitimise un pan sérieux du sionisme qui est l’idée selon laquelle Israël appartiendrait à tous les juifs du monde, mais pas à une bonne partie de ses habitants non-juifs ((C’est essentiellement l’objet de son cinquième et dernier chapitre.)). Pour lui, cette idéologie est contraire à la raison démocratique et à toute idéologie nationale acceptable en regard de l’histoire du nationalisme. Cette idée doit donc être disqualifiée et le sionisme accepter qu’elle disparaisse afin de tenter de vivre en bonne entente avec les personnes qui vivent en Israël, en Palestine et dans le voisinage de ces territoires.

Un militant

Dans une autre partie de son livre, mais en bonne suite du reste, Sand doute de la qualité de la démocratie d’Israël. Il s’appuie pour ce faire sur les travaux de plusieurs spécialistes (Sammy Samooha et Juan José Linz, principalement ((P. 407-410.)) ) pour montrer qu’Israël souffre d’un déficit de démocratie. Cela l’inquiète et l’on sent chez lui le désir de résoudre la quadrature du cercle de son pays: son aspiration est que les personnes non-juives qui vivent avec lui à Tel-Aviv, qui travaillent avec lui, puissent jouïr des mêmes droits que lui. On sent, dans son livre, que cela pourrait être l’une des clés d’une paix entre Israël et ses voisins à laquelle il aspire effectivement.

Son erreur aura été d’avoir voulu embrasser trop de choses en un livre dense où les références par moments foisonnent et à d’autres, cruciaux, font défaut. Si Sand est totalement dans son rôle en faisant une étude historiographique, il commence à déborder de ses propres compétences quand il reprend toute l’histoire de l’antiquité juive. Et c’est bien dommage, car il apporte des éléments de réflexions très intéressants. Je ne dis pas qu’il n’aurait pas dû les traiter, mais il aurait été avisé de se limiter dans ses affirmations et de donner plus de place aux théories de ses prédécesseurs en les laissant parler eux plutôt que lui. Chose qu’il fait par moments, mais pas assez ((On regrettera très fort l’absence d’une bibliographie que ne compense pas un index utile.)). Par exemple, lorsqu’il cite l’étude archéologique très récente de Silberman et Finkelstein ((P. 173 et suivantes.)), il se permet d’en contester une partie des conclusions. Quel dommage, car, s’il s’était contenté de dire qu’il existe d’autres théories que celles de ces auteurs, et d’en citer ses sources (qui existent effectivement, citées d’ailleurs par Silberman et Finkelstein ((Voir I. FINKELSTEIN et N. A. Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, trad. De l’anglais par P. Ghirardi, Paris, 2002. Encore un livre desservi par un titre critiquable, mais une somme très intéressante pour qui s’intéresse aux liens entre l’archéologie et les textes mythiques.)) ), il aurait paru beaucoup plus crédible qu’en en contestant, lui, historiographe de l’époque contemporaine, les excellentes idées sur quelques lignes, alors que le livre des deux archéologues fait tout de même le tour de la question en 400 pages.

De même lorsqu’il apporte des chiffres, des idées, des informations sur les Khazars, le royaume de la Kahina, ou sur Himyar ((Trois objets du chapitre 4 de son livre .)), il aurait été bien inspiré de se contenter d’exposer les théories en présence –ce qu’il fait- en évitant de prendre parfois un tour presque exalté dans sa présentation de l’histoire, alors que de nombreux doutes persistent. Le problème est que, si nous pouvons remettre en question le courant dominant de l’histoire des différentes communautés religieuses ou des différentes parties du peuple juif (supposant que celui-ci existe avant le XIXe Siècle), c’est uniquement parce que les recherches sur celles-ci, à ce qu’il semble dans le livre de Sand, manquent de suivi, hésitent à avancer suffisamment loin pour que l’histoire moderne se décide enfin à se prononcer clairement sur des sujets qui posent manifestement problème: serait-ce que l’histoire des juifs corrobore l’idéologie sioniste?

Sand a fait un travail bien utile, qui est celui d’ouvrir un champ d’exploration pour une nouvelle génération d’étudiants et de spécialistes en histoire, en archéologie, en épigraphie, en numismatique, en philologie, en linguistique et probablement dans d’autres disciplines que je ne soupçonne peut-être pas. Mais son travail risque aussi de desservir sa propre cause, qui était pourtant une cause de paix, car, en se voulant le porte-étendard d’une idée, il a débordé de ses propres compétences et a pris des positions dont il ne pouvait garantir les bases, s’exposant à la critique et se retrouvant dans la position des idéologues qu’il remettait en question. Ce sont ses élèves et d’autres savants qui pourront s’avancer sur ces terres, suivre les voies tracées par les “nouveaux historiens” ((Depuis les années 80, il existe en Israël un courant d’historiens trés contestés qui tentent de “revoir” –terme délicat- l’histoire officielle de leur pays, en mettant en lumière des documents peu ou pas exploités. Sand s’inscrit dans ce courant, mais en reste une figure particulière, car, jusqu’ici, ces nouveaux historiens se limitaient à l’histoire de l’Israël moderne. Remarque: cette note n’est pas le fruit d’une recherche exhaustive mais de quelques remarques faites par des auteurs rencontrés au cours de cette recherche. À prendre donc avec des pincettes.)), pour tenter, avec plus de science et moins de passion, d’établir une véritable histoire de ces communautés qu’il devient difficile de réunir en un peuple unique à la lecture du livre de Sand.

Le phénomène juif

D’apprendre que la religion juive fut la première grande prosélyte de l’histoire ((Voir son chapitre 3. Ce fait n’est pas contesté, ou alors de manière marginale. Par contre, l’importance de la conversion fait question. Sand et d’autres pensent qu’elle peut servir de base pour expliquer l’extension des communautés juives dans la plupart des cas: en pays Khazar, en Afrique du Nord, en Espagne, en Arabie, pour évoquer les principaux cas. D’autres pensent qu’elle est restée marginale et que la majeure partie des ascendants des juifs actuels sont originaires d’Israël et de Judée.)) ou qu’il a existé un royaume juif aux portes de l’Ukraine, un autre au Sud de la péninsule arabique et un troisième en pays berbère ((Voir le chapitre 4.)) ouvre bien des horizons: le phénomène juif est tout naturellement bien plus multiple qu’il ne paraît à l’exposé des problèmes actuels au Moyen-Orient. Le monde juif n’est pas plus endogène que les autres. Et si le connaisseur de la Bible a lu ces passages qui parlent de conversions, de parentés non-juives de certains juifs jusqu’aux plus célèbres comme David, de conquêtes, mais aussi du caractère non-marchand des juifs de l’antiquité ((Jusqu’à Flavius Josèphe qui évoque les juifs de son époque, rarement marchands ou marins, selon lui (Contre Apion, I, 12: “Or donc, nous n’habitons pas un pays maritime, nous ne nous plaisons pas au commerce, ni à la fréquentation des étrangers qui en résulte. Nos villes sont bâties loin de la mer, et, comme nous habitons un pays fertile, nous le cultivons avec ardeur, mettant surtout notre amour-propre à élever nos enfants, et faisant de l’observation des lois et des pratiques pieuses, qui nous ont été transmises conformément à ces lois, l’oeuvre la plus nécessaire de toute la vie.”))), Sand permet au “gentil” de découvrir une réalité qui contraste avec la terrible image d’Épinal que, malgré nous, nous portons dans notre imaginaire superficiel et préconceptueux ((Faites l’expérience chez vous: demandez à vos proches quelles sont, selon eux, les professions exercées généralement par les juifs dans l’histoire et demandez-leur pourquoi. Il y a fort à parier qu’ils évoquent les activités suivantes: rabbin, marchand ambulant, fourreur, banquier, usurier. Sur base de quels éléments historiques?)).

Avant de terminer, rappelons l’objectif premier de Sand: montrer que, comme toutes les autres nations, celle des Juifs d’Israël n’échappe pas à une construction mythologique la justifiant, mythologie développée et enrobée par quelques générations d’historiens, depuis la fin du XIXe Siècle. Mais on ne peut arrêter le propos du livre ici, désormais. Car il est devenu plus qu’un tremplin pour des milliers d’études à venir, indispensables, souhaitables, désirables, attendues, il est aussi un champ de bataille. Sur lui se sont rassemblés deux armées, celle de ses défenseurs et celle de ses adversaires. Il faudrait dire qu’il y aussi la présence de ceux qui ne sont ni ses défenseurs, ni ses adversaires et qui, posément, argumentent sans passion autour de son livre. Et donc, la plupart des personnes qui ont réagi au texte de Sand l’ont fait intégralement pour ou intégralement contre lui, sans nuance, considérant soit comme tout blanc, soit comme tout noir ce qu’il a pu écrire, il existe un troisième camp informel, celui des démineurs, pourrait-on dire, ils sont plus modérés et plus posés. Esther Benbassa, Alain Michel, Maurice Sartre, par exemple, font partie de ceux-ci en français. Leurs critiques et objections sont pertinentes, méritent d’être considérées, et en même temps ils reconnaissent à Sand et au livre des qualités diverses. Le problème étant de distinguer les trois camps distinctement.

Tout historien est à même de travailler sur des documents contemporains que sont des articles, des forums, des blogs, des comptes-rendus et toutes les autres sortes de réactions que ce livre a suscitées. Car, si nous sommes bien formés, nous autres historiens –mais nous ne sommes pas les seuls, heureusement- avons acquis cette compétence qui est de pouvoir analyser et critiquer les dires de nos contemporains en fonction des faits connaissables. Faire de la critique historique est la base de notre métier, est l’essence de notre travail. Les historiens sont les gardiens du bien dire les faits de l’histoire. Cela signifie que notre travail doit impliquer la surveillance de la manipulation de ceux-ci: nous avons pour charge d’empêcher toute personne, sous quelque étiquette que ce soit (juriste, scientifique, politicien, idéologue, amateur ou professionnel) d’utiliser l’histoire pour justifier tout ou son contraire. L’histoire est un matériel difficile à maîtriser. Aucun de nous ne peut prétendre la détenir, car elle est trop vaste et trop exigeante. Elle ne soutient éternellement aucune idéologie, car l’idéologie se voulant totale et étant marquée par l’espace-temps où elle est proclamée se brise sur l’écueil de l’impossibilité d’embrasser l’universalité et la complexité de l’histoire. L’historien le sait et, dans son humilité et sa compétence, doit le rappeler constamment à chacun.

Cela a-t-il bien été le cas de Sand ? On aura noté au cours de cet article que Sand agit en militant et a renoncé à certains principes de base de l’exposé scientifique de l’histoire. Pour commencer, il n’a pas écrit de bibliographie, ce qui est remarquablement dommage vu l’ampleur des sources qu’il cite. Par ailleurs, il pose de nombreux arguments sans en dire les sources. Il semble que son intuition et sa volonté de montrer quelque chose l’aient souvent guidé. D’un autre côté, on ne pourra lui reprocher, par exemple, d’avoir posé dès l’introduction l’objet de sa thèse : c’est une pratique courante aussi bien dans les articles que dans les livres d’histoire. Les introductions servent souvent, en effet, à prévenir le lecteur du chemin parcouru par le chercheur. De même que Sand a suivi nombre de voies, de sources, de lectures et l’a bien exposé, bien que de manière souvent brouillonne et chaotique. Ses conclusions portent une large part de vraisemblance et, à part quelques détails importants, on ne sent pas le faux flagrant qui lui est reproché par ses détracteurs les plus virulents. En outre, il a plusieurs fois dans son travail fait appel aux recherches futures de ceux que les sujets intéresseront. Enfin, dès le début, il a marqué son livre de sa subjectivité et l’on pourrait dès lors définir son travail comme un véritable essai historique, plutôt que comme un livre d’historien. Comme il est historien, cela pose les bases d’un problème qui est que, de notre caste, l’on attend des livres plus sérieux, plus finis, mais aussi, depuis au moins les Annales, plus pointus, se concentrant sur des sujets étroits, pas sur des parties de l’histoire qui nécessitent autant de spécialités dont l’auteur n’est pas pourvu.

Si Sand s’était contenté de ne faire que l’étude de l’historiographie de 1800 à nos jours, ce compte-rendu aurait pu le proclamer livre d’histoire. On doit donc classer ce livre dans la catégorie des essais d’ouverture scientifiques, produit par un intellectuel qui souhaitait engager le débat. Une fois ceci fait, il reste à ceux qui le désirent de faire la critique interne de chaque partie pour laquelle il se sent compétent. Et de laisser aux collègues le soin des autres. En espérant que ce livre aura effectivement ouvert la voie à une meilleure compréhension de l’histoire de la religion, des communautés, du peuple juif –avec toutes les précautions que ces termes réclament.

Je suis ma voiture… de trop près

Friday, May 14th, 2010

Dans un article récent ((Ici.)), j’ai prétendu (sans être le premier) que la propriété nous enferme, nous emprisonne. J’affirmais que notre propre bien était une prison ((J’utilisais les termes suivants: La propriété elle-même, par beaucoup considérée comme la plus importante des libertés, tant d’une personne que d’un État, est en fait la propre cage de l’individu qui a accepté de se transformer en personne, c’est-à-dire en titulaire des titres de biens matériels et immatériels qui lui serviront de limites et l’encercleront par opposition aux autres qui seront encerclés aussi, à la fois par les limites de cette première personne, par celles de toutes les autres personnes et par les leurs propres.)).

Même si j’aime beaucoup “Fight Club” en ce qu’il pose de manière audacieuse un grand problème lié à la militance ((L’engagement et son influence sur l’individu engagé.)) , je ne voulais pas dire cela dans le sens que “nous ne sommes pas notre portefeuille, nous ne sommes pas notre voiture, nous ne sommes pas notre putain de treillis”… pour paraphraser un Tyler en grande forme au milieu du film… ((You’re not your job. You’re not how much money you have in the bank. You’re not the car you drive. You’re not the contents of your wallet. You’re not your fucking khakis. You’re the all-singing, all-dancing crap of the world.))

Ce que je voulais dire, de manière plus générale, c’est que le fait d’être propriétaire d’un bien nous aliène à notre individu en nous réduisant à être son gardien. Il est vrai que nous perdons notre identité en laissant nos biens nous définir, et je suis bien d’accord avec cette autre réflexion (d’origine anarchiste) de Tyler: “Les choses que nous possédons finissent par nous posséder.” ((The things you used to own, now they own you.))

Ici, cependant, je m’attarde sur un autre point: les choses que nous possédons nous limitent par le fait même que nous les possédons… Sans compter qu’elles limitent les autres et que les biens des autres nous limitent également ((Voir l’article dont je parlais plus haut.)).

Rien n’est sans doute plus illustratif que la bagnole à cet égard. Outre que le fait d’être ou non propriétaire ((Attention, je dis bien propriétaire, pas autre chose comme possesseur, détenteur, usufruitier; s’il le faut je m’en expliquerai dans un autre article.)) d’une voiture x, y ou z nous range automatiquement dans une catégorie de personnes et crée de fait une inégalité qui, on s’en souviendra, réduit notre liberté ((Citant toujours le même article: l’égalité est indispensable à cette forme de liberté individuelle, et cela signifie qu’en aucun cas l’expression de la liberté d’un individu puisse être soumise au prétendu droit d’une personne, morale ou physique, à détenir en sa propriété, temporairement ou définitivement, les moyens qui permettraient à un ou plusieurs individus de se prémunir contre le froid, la chaleur, la faim, la soif, la maladie, l’inconfort ou toute autre chose qui accélère la mort. Par personne morale, j’entends aussi ici un État ou une administration “publique”.)), le droit que nous avons créé autour de cet objet de haut prix nous oblige à le garder, à en être à la fois le protecteur, le défenseur, le garde-chiourme. Nous craignons pour elle, nous dépensons beaucoup de notre temps et de notre espace à la défendre, par exemple lorsque nous réduisons une partie de notre maison à l’état de garage ou quand nous cherchons pendant des heures par an un espace sûr pour la stationner, de préférence dans un endroit illuminé avec des policiers autour ou dans un parking payant…

Outre que cette voiture, quand vous la déplacez, limite d’autant les déplacements des autres voitures, mais aussi des piétons, loin de vous assurer la liberté promise par la publicité, elle vous assigne à sa garde permanente, vous interdit de l’abandonner au milieu d’un bouchon, vous oblige à aller la chercher à la fourrière, ou à la porter chez le garagiste. Vous êtes inquiet pour elle, parfois plus que pour vos enfants, que pour vos proches et pour vos amis… Il y a quelque chose de maladif, là-dedans, il est temps de le reconnaître.

Mais il y a plus, c’est que, si la voiture peut paraître une forteresse pour certains qui la prennent grande, blindée, dotée d’une alarme et de vitres obscures, elle peut aussi devenir une cible par ce fait même qu’elle paraît plus ce qu’elle est exactement: un produit de luxe.

La voiture la plus haute, la plus rapide, la plus solide est également la plus enviée, la plus désirée, donc la plus facilement attaquable, soit qu’on la désire, elle, soit que l’on sait que la personne qui s’y trouve a fatalement quelque chose d’intéressant sur elle. Plus elle sera protégée et plus on trouvera de moyens pour en violer les protections.

Tout cela est tellement vrai, à São Paulo, bastion du libéralisme capitaliste abouti, que certains de ses habitants particulièrement privilégiés préfèrent se déplacer en hélicoptère. Selon une revue de droite, elle est la seconde ville en terme de flotte privée de ces engins. Mais il n’est probablement pas loin le temps où ce nouvel abri, cette nouvelle forteresse, se trouvera réduite, elle aussi, à l’état de cible. L’an dernier, un hélicoptère de la police militaire (les mêmes qui apparaissent dans le film “Tropa de Elite”) a été descendu par un lance-roquette depuis la favela qu’il survolait…

L’escalade de cette violence est l’exact reflet de l’escalade de l’extension de la propriété et de la nécessité de la défendre: nous nous transformons toujours plus en otages des biens qui nous défendent et que nous défendons. Ceci définit à quel point Diogène avait raison en brisant sa tasse le jour où il découvrit qu’il pouvait se passer de cette dernière possession et boire dans le creux de ses mains…

Multipliez maintenant ce problème lié à la voiture par l’ensemble des biens que vous considérez importants dans votre vie, et vous aurez une petite idée du problème qui lie la propriété privée et la liberté.