Ze Marché of ze Nations
September 10th, 2012Après Johnny, le “Johnny national” des Français et des Belges, qui fut pourtant longtemps plus étatsunien qu’autre chose, c’est au tour d’un autre pauvre privilégié de la vie de venir demander la nationalité belge, un certain Bernard Arnault, l’homme le plus riche d’Europe, LVMH-man, l’un de ces hommes qui murmurent à l’oreille des présidents, tous partis confondus.
Dans le Canard Enchaîné de cette semaine, page 4, le non-lecteur de la Tribune ou des Echos apprend qu’il pourrait bien devenir moins intéressant pour un Français de mourir en Suisse, à partir de 2014, car le pays par excellence de l’évasion fiscale (bon, avec le Luxembourg, les Iles Caïmans, Gersey, le Liechtenstein, Monaco, Andorre, et une bonne cinquantaine d’autres destinations amusantes) pourrait en venir à taxer les successions comme en France suite à un accord avec son grand voisin.
En Belgique, une information sur un possible arrangement entre la Suisse et la Belgique concernant le secret bancaire et la taxation de capitaux discrets de certains de nos compatriotes a fait un petit buzz cette semaine. Mais comme Reynders n’est plus ministre des Phynances, il est possible que le côté un peu trop “One shot” de l’affaire, porteur électoralement, ne séduise pas tout le monde -mauvais joueurs!
Et on ose dire que le système n’est pas libéral…
Qu’est-ce que le libéralisme, sinon la possibilité pour le consommateur de choisir à son gré le produit qu’il désire sur un marché ouvert, en fonction du prix, des conditions, des contraintes? Si je veux acheter une voiture, sur un marché libre, en effet, je dois considérer son prix, ses qualités propres, ses défauts, mais aussi les conditions de vente: la garantie qui l’accompagne, par exemple, mais également les conditions de financement ou les conditions de reprise, bref, plein de choses.
L’intervention des Etats dans ces conditions joue aussi: il arrive que, pour relancer l’économie, un Etat décide de réduire temporairement une taxe sur un produit (le carburant par exemple) ou de proposer de meilleures conditions de reprise de véhicules anciens. Le consommateur averti -et dans un marché libéral idéal, le consommateur est averti- profitera de ces moments également. Donc, le temps devient aussi un facteur à considérer sur le marché de la consommation. Quelque part, l’Etat étend le marché libéral au-delà de l’espace, dans le temps ((Oui, je sais, le temps était *déjà* une dimension économique sans l’Etat, oh, on chipote.)). Le “lieu” du marché avance dans la quatrième dimension.
Avec la mécanique quantique et la théorie des cordes, qui sait où le marché s’arrêtera…
Ceci pour rappeler que l’Etat, loin d’être un obstacle au libéralisme, en tant qu’acteur agissant sur le marché (que le consommateur, comme le producteur, le distributeur, le vendeur, doit considérer), au contraire, l’entretient, fait jouer les axes de la loi de l’offre et la demande. Geindre sur l’Etat sous prétexte qu’il serait un frein au marché est de la dernière des hypocrisies. Au contraire, l’Etat augmente les facteurs de décision, propose des arguments dynamiques au marché lorsque celui-ci a trop tendance à s’endormir.
C’est l’Etat qui ouvre les vannes de l’immigration, quand les entrepreneurs ont besoin de main-d’oeuvre corvéable et d’un matelas de chômeurs officiels, ou qui les ferme, non pas tant pour réduire ce matelas que pour clandestiniser les nouveaux arrivants pour des raisons aussi économiques que politiques.
C’est aussi l’Etat qui relance les investissements, par le jeu des Partenariats Public-Privé ou par les guerres qu’il provoque un peu partout dans le monde. Sans l’Etat, toute une série de grands chantiers n’auraient pas vu le jour, car le privé, qui aime la sécurité, n’aurait pas osé les entreprendre. Ce qui explique aussi le jeu de balancier entre les privatisations et les nationalisations qui, loin d’être purement idéologiques, suivent également des trajectoires mercantiles, l’Etat intervenant plus souvent lorsque les acteurs privés n’en peuvent mais, ou qu’ils ont besoin d’un coup de pouce par manque de capitaux -après tout, une nation, c’est un très, très vaste capital disponible et qu’il n’est pas inintéressant d’exploiter, mais… il ne faut pas que ça se voie trop…
C’est aussi l’Etat qui joue des coudes pour favoriser -ou non- les entreprises “nationales” (expression bien comique quand on sait que le capital se fiche des frontières), dans un souci certes électoral, mais surtout parce que l’Etat, en tant que facteur agissant sur l’économie, est le lieu d’un marché d’influences très important: avoir un pied, un bras, ou plus, au sein du législatif, ou mieux de l’exécutif, c’est, après tout, un actif au sein de son capital, c’est, pour une entreprise, aussi important que d’avoir des liquidités disponibles ou des biens immobiliers.
Lorsqu’une nation propose de meilleures conditions de vie aux grandes fortunes de ce monde, celles-ci se posent la question: vaut-il la peine de m’exiler pour rejoindre d’autres foyers? Autrement dit, l’investissement de l’ensemble des formalités, en plus du déménagement sera-t-il amorti par les avantages que je trouverai en traversant la frontière et en m’installant à Bâle ou à Uccle? C’est exactement ce genre de raisonnment que se font ces grandes fortunes, et c’est exactement ce genre de raisonnement que l’on se fait lorsqu’on hésite entre conserver sa bonne vieille guimbarde qui consomme un peu trop ou acheter le dernier outil technologique à consommation hybride (qui, par ailleurs, ne préservera guère plus l’environnement que si on avait gardé la vieille, mais nous sortons du sujet). Si vous n’avez pas de voiture, reportez le même raisonnement sur vos récentes hésitations concernant tel outil de communication -téléphone portable, netbook, tablette, que sais-je? C’est exactement la même idée: la France, pour Bernard Arnault, c’était à ses yeux un gros portable en bout de course, et il a décidé de s’offrir la dernière tablette, parce qu’au fond, son utilisation lui reviendra moins chère.
En quoi sortons-nous des principes du libéralisme?
Eclairez-moi, car je ne vois pas…