Si les mots sont importants…
April 4th, 2012L’Etat-Providence aurait, dit-on, fait son temps…
Il serait même, ose-t-on, contre-productif, conservateur, opposé au progrès.
On l’a lu.
On l’a entendu.
Le croirait-on?
Mais qu’est-ce que l’Etat-Providence?
L’Etat-Providence, c’est cette construction idéologique d’une collectivité représentée par un gouvernement dont la fonction aurait dépassé les seules prérogatives régaliennes (justice, police, défense), et qui se serait arrogé le droit d’étendre ses fonctions à une série de services à la population tels que l’assurance-chômage, la pension vieillesse, la santé publique, voire, pour les plus inconscients, la distribution du gaz, de l’électricité, de l’eau, du courrier… Et que sais-je encore?
Voilà donc ce que serait cette horreur réactionnaire selon les normes libérales.
Providence…
Etat-Providence…
Tiens, pourquoi Providence?
Que signifie Providence?
La Providence, mon-z’ami, c’est, eh oui, une espèce d’esprit (saint) qui penserait à notre place ce qui serait bon pour l’humanité et y pourvoirait de manière transcendante et automatique, sans qu’on n’y ait pris part, ni qu’on y ait aucune responsabilité, ni surtout qu’on ait travaillé pour. On lui doit les décès précoces de nos enfants, mais aussi les victoires de nos armées; les famines et les épidémies (les voies du seigneur sont, on le sait, impénétrables), mais aussi les moissons abondantes et les guérisons miraculeuses.
La Providence, on la représente souvent par cette espèce de conque tenue par une allégorie féminine et qu’on nomme “corne d’abondance”. Un machin auto-produit et auto-alimenté, d’où tout tombe indéfiniment.
Mais en quoi cela ressemble-t-il un instant à ce que nous connaissons de, euh, l’Etat-Providence?
Un, l’Etat-Providence (appelons-le encore un instant ainsi) est alimenté par nos impôts, c’est-à-dire par le fruit de notre travail;
Deux, loin d’être infini, il est limité dans ses bienfaits par des décisions immanentes -certains parlent même de démocratie, mais, chut, rien n’est moins sûr;
Trois, rien n’est automatique, rien n’y est considéré comme un dû: pour bénéficier des “bienfaits” de l’Etat-Providence, ses “usagers” (de moins en moins… de plus en plus “clients”) doivent le plus souvent faire la preuve qu’ils ont droit à ses avantages -on appelle ça l’administration;
Quatre, cette fameuse Providence, que l’on croyait immortelle, est en train de se liquéfier tout doucement (encore que, de plus en plus vite), on réalise peu à peu qu’elle reposait sur un compromis malade entre patronat et syndicats dans les sociétés occidentales, principalement européennes, et sur une espèce de partage inégal des revenus du reste du monde -surtout du Sud…
Bref, rien à voir avec une Providence…
Pourquoi l’a-t-on appelée ainsi? Selon toute vraisemblance, ce terme doit être attribué à Emile Ollivier, un conservateur français du XIXe Siècle, un “libéral”, comme on dit; il l’a inventé, ou en tout cas lui a donné de l’importance, pour critiquer ce rôle paternaliste de l’Etat, en 1864, à une époque où, franchement, cela prêtait encore à sourire. Jamais il n’aurait dû se pérenniser, surtout dans les bouches des partisans des travailleurs. Le terme Etat-Providence indique que les travailleurs sont des enfants à qui une Mère Nourricière doit tout en raison de leur statut d’enfants de la République, ou de la Nation. C’est un terme éminemment débilitant, déresponsabilisant.
Certes, il n’est pas seul à avoir joué ce rôle: une centaine d’années de contrôle social-démocrate de l’Etat se sont chargées de délier les travailleurs de leur rôle de surveillants de la machine publique, ou mieux de titulaires d’icelle.
Les mots sont importants, car ils ont contribué à la professionnalisation de la politique, partenaire de l’économie, dont les travailleurs ont été éloignés. Leurs représentants, syndicalistes et députés, sont devenus les partenaires de leurs exploiteurs. En échange, ils ont obtenu quelques assurances, histoire de calmer leurs troupes. Aujourd’hui, ces sécurités disparaissent peu à peu.
Pourvu qu’au moins ces heures sombres réveillent nos esprits embrumés. Que l’on détruise la notion même d’Etat-Providence -que l’on restaure la mutuelle, la coopérative, l’esprit même du syndicat, des cercles, des bases, des horizontales, et que s’abattent les pyramides, que disparaissent les représentants professionnels, que s’effondrent les structures verticales…
Godwin, Proudhon, Fourrier, Bakhounine, Michel, Jones, Kropotkine, Goldman, Malatesta, Durutti,… que ces noms résonnent comme des glaives sur des cloches de bronze.