Je suis révolutionnaire.
C’est-à-dire que je *sais* pertinemment qu’aucun changement en profondeur ne pourra avoir lieu sans une reconstruction de la société sur d’autres bases que celles prétendument démocrates qui existent dans les principaux pays d’Europe, aux États-Unis, au Canada, et dans d’autres recoins prétentieux du monde (de plus en plus rarement dit libre, curieusement).
Je sais que le capitalisme est une théolog… une idéologie sacrificielle qui ne mène qu’au confort d’une minorité aux dépens d’une majorité pour qui le progrès social est toujours pour demain.
je sais que le libéralisme ne se distinguera jamais du capitalisme et que prétendre le contraire est une supercherie de politicards vides.
Je sais que la démocratie représentative ne connaîtra jamais une véritable concrétisation, car, de démocratie elle n’aura jamais que le nom, ainsi qu’un parti populaire.
Je sais que l’égalité des chances ne signifie que ce que les libéraux de tous poils veulent que cela signifie, autrement dit rien de bon.
Je sais que le salariat, si ce n’est pas l’esclavage, si ce n’est pas la prison, n’en est guère éloigné.
Je sais que l’État par essence cherchera toujours à reproduire et augmenter son pouvoir, jamais à le réduire et encore moins à le remettre à la population.
XXX
Alors, nous voilà devant le dilemme de l’attitude à prendre: celle d’avant et celle de pendant et après la révolution. Car, si je pense que, du jour où je me retrouverai devant le mur des fusillés pour “attitude petit-bourgeoise” dans le cadre de la très ou pas si prochaine révolution -je plaisante, je veux dire au jour de la libération des peuples (et non pas des nations) et des individus (et non pas des personnes), nous aurons une vision plus ou moins commune de la vie libre en coopération, nous devons prendre une position “en attendant”.
En septembre, comme le dirait Noir Désir…
Ce qui fait que l’on ne peut, d’ici là, prétendre à des solutions miracles, car, de toute façon, à tous nos idéaux, l’État et le capitalisme posent des limites étroites.
Le risque est réel de passer de la politique du pire à la compassion du prêtre… L’équilibre est difficile, la réflexion pointue.
Devons-nous soutenir le travailleur qui risque de perdre son travail ou se féliciter de la fermeture d’une usine à engins de mort?
Avons-nous le droit de juger des hommes qui exercent une profession de “valet de capitalisme”, quand, si l’on y réfléchit un peu, nous contribuons tous ou presque (**ou presque, dis-je**) à sa reproduction?
Et, pour prendre un exemple qui nous a touchés, moi et mes amis, tout récemment, avons-nous le devoir de dénoncer une pratique manifestement reproductrice du patriarcat tout en sachant que, ce faisant, on marginalise les premières victimes de celle-ci (mais avec la volonté, au contraire, de les sauver)? Ou devons-nous tenter d’offrir à celles-ci une possibilité de reconnaissance supérieure pour qu’elles puissent s’organiser mieux -qui sait, en vue d’une remise en question de leur propre activité- même si nous savons que, de ce fait, nous repoussons la lutte contre le patriarcat à plus tard? Je sais que cette définition du problème est limitée, mais on s’y reconnaîtra et on me pardonnera de l’avoir fait pour se concentrer sur la proposition globale de ce post.
Je m’en voudrais de prétendre que j’ai eu, que j’ai ou que j’aurai raison sur ce type de questions (qui, ici, portait sur la prostitution), car, d’une part je ne me sens pas qualifié pour le faire, et d’autre part, de nombreuses personnes ont participé à ce débat et j’ai pu noter que, depuis une génération au moins, sinon deux ou plus (considérant les positions de militantes et militants féministes dès le début du XXe Siècle), les positions se sont cristallisées sur ce sujet à gauche. Je pense que les deux types de position se sont suffisamment bien assises pour s’expliquer dans un contexte prérévolutionnaire.
Lorsqu’un tel problème surgit dans ce que j’estime être ma famille politique (la gauche, ce que j’appelle la gauche, et ce n’est pas rien de le dire), nous ne sommes pas en mesure de réclamer d’elle qu’elle se réduise à une position unique.
J’ai surpris, j’ai déçu, j’ai outré, même. Tout à fait involontairement, car, en réalité, ma position est tout simplement qu’il existe des sujets qui, prérévolutionnairement, sont insolubles. Et j’ai voulu défendre celle que j’estimais aussi légitime que l’autre, tout en étant d’ailleurs une position qui n’avait pris pour moi du crédit que relativement récemment, dans un contexte particulier, hors statistique, recherche et discussion scientifique -toutes choses que j’ai découvertes plus tard.
Tant que l’État et le capitalisme existeront, ou même l’un sans l’autre (ce qui me paraît impossible, mais certains y “croient”), la prostitution existera. De même que le patriarcat. C’est un fait que l’on peut qualifier de scientifique, si l’on considère l’équation: capitalisme = reproduction du capital = nécessité de la succession = sacralisation de la famille = supériorité du père et du fils = dévalorisation de la femme = patriarcat. Que l’on se trouve, depuis Marx et les anarchistes, dans un creuset qui ait permis -et j’en suis heureux- aux femmes de contester cet état de fait n’empêche en rien que, si l’on regarde l’histoire avec l’oeil d’un être froid et extérieur, cet épisode qui coïncide précisément avec la mise en question du capitalisme est ridiculement restreint dans le temps et dans l’espace et risque de se voir repousser “au fourneau” à tout moment si l’on n’y prend garde.
Après la révolution, si celle-ci doit mener à la fin du patriarcat, de l’État et du capitalisme (sinon, ce n’est pas la révolution), nous nous retrouverons dans une situation qui nécessitera beaucoup de remises en question de bien des gens, mais, alors, la prostitution, comme toute autre activité qui consiste à vendre quelque chose qui nous est propre -et je ne préciserai rien ici-, disparaîtront d’elles-mêmes, parce qu’elles ne correspondront tout simplement plus à la réalité socio-économique en présence.
En attendant…