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Trop de mois de silence

Friday, April 13th, 2018

Je travaille sur deux gros projets depuis -plusieurs mois pour l’un et plusieurs années pour l’autre. Ce qui explique mon peu d’application sur ce blog, sans le justifier. D’un autre côté (pour ne pas dire “en même temps”, désormais honni), bon, est-ce bien grave?

Ceci ne signifie pas que de temps en temps je ne voudrais pas écrire quelque chose sur les événements qui ont lieu.

Je me suis déjà exprimé longuement ici sur le Brésil; je voudrais pouvoir le faire plus sur le Vénézuéla, mais sur ce sujet je ne me sens pas qualifié. Je peux juste dire qu’à l’approche des événements prochains, je crains une intervention extérieure plus que toute autre chose.

Qu’apporterait-elle de bon? Nous savons tous que ces interventions dites “de la communauté internationale” n’ont en rien aidé les populations en Irak, en Libye, en Afghanistan, en Somalie, que nos gouvernants sont co-responsables des catastrophes humanitaires en RDC, au Rwanda, que leurs actions ont produit plus de terroristes qu’elles n’en ont détruit. Et qu’on finit par se demander s’il n’y a pas une intention… Incompétence ou malhonnêteté?

On voit que je n’ai pas le coeur à rigoler.

Il y aurait beaucoup à dire sur la politique intérieure des pays de l’Union Européenne, et c’est d’ailleurs l’un des deux gros sujets sur lesquels je travaille en ce moment. “Alerte gâcheuse” pour les mois à venir: je prépare actuellement un réquisitoire serré contre les traités de l’Union Européenne, contre les structures libérales et leurs défenseurs aux manettes et une plaidoirie pour une position alternative -qui existe, heureusement, mais que je m’échine à encourager du mieux que je peux: par la recherche des faits et par les propositions.

On pourrait, et on devrait parler longuement des élucubrations des gouvernants des pays de l’OTAN qui semblent participer d’une surenchère imbécile en vue d’une justification d’agression contre le plus grand pays du monde. Vu de l’espace, les USA et leurs alliés semblent à peine plus importants que la Russie, et pourtant, les budgets militaires corrélés des six pays les plus militarisés de l’Otan font plus de douze fois celui de l’horrible ours caché derrière son hiver sibérien. Les discours et actions des gouvernements turcs, hongrois et polonais devraient nous suffire pour nous convaincre que l’OTAN n’est pas dans le camp du bien. Mais non: elle nous protège d’une menace évidente; elle agit pour le bien du monde; elle se repait de son auto-justification dans des roulements d’épaules qui, je dois le dire, me font rouler des yeux d’étonnement tant j’ai du mal à comprendre l’aveuglement des peuples d’Europe Occidentale.

Nous avons, de l’Islande au Portugal, de l’Italie à la Norvège, les populations les plus éduquées depuis le début de l’humanité, un taux de croyance en l’irrationnel extrêmement bas comparé au reste du monde et surtout au reste de l’histoire, une capacité à comprendre les avancées de la science tout à fait exceptionnelle dans la plus grande partie de la population, un bagage de révolution et de réformes sociales qui n’a pas eu son pareil dans le passé -il est vrai aussi que le XVIIIe, le XIXe et le début du XXe siècles avaient nécessité de tels mouvement de foules pour arriver aux progrès que nous avons connu jusqu’aux années 1970, environ.

Et malgré cela, nos peuples semblent subjugués par les outils de propagande libérale (économiquement) et autoritaire (politiquement). Nous en connaissons les points forts: la “fin de l’histoire” a dressé le libéralisme économique comme seule solution “connue” et “souhaitable” -les autres ont cessé d’être considérées médiatiquement comme positives- et de nouveaux ennemis sont régulièrement avancés pour justifier la restriction de nos libertés civiles. Les causes de nos malheurs deviennent par sophisme les solutions à nos problèmes.

Les hommes (et les femmes) qui se sont assis sur les structures politiques pour justifier la domination économique libérale, les reculs successifs de la démocratie et la pollution générale de notre planète se présentent en sauveurs du monde en combattant de minuscules problèmes (en comparaison avec ceux qu’ils ont créés) présentés comme les obstacles à notre bonheur.

Aujourd’hui, c’est tout juste si la Russie, certes loin d’être parfaite, mais qui a atteint son plus haut degré de démocratie de toute son histoire -plus que millénaire-, n’est pas présentée, par association avec l’Iran -une République islamique, certes, pas rigolote, surtout si l’on est athée, mais où il est bien plus possible de s’exprimer qu’en Arabie Saoudite ou au Yémen– et la Syrie -qui, jusqu’il y a six ans, était un Etat non démocratique, mais laïque et ayant réussi à faire cohabiter des populations très différentes et théoriquement très désunies-, comme la cause de tous les maux de la Terre, en compagnie, évidemment de la Corée du Nord et, par extension, de la Chine et du Vénézuéla.

Je reste confiant dans l’idée que ni Trump, ni Macron, ni May ne veulent déclencher une guerre mondiale et resteront dans les limites de leurs rodomontades, parce qu’ils aspirent à dominer la scène politique et à favoriser leurs créanciers, et qu’ils ne chercheront pas à titiller “l’ogre russe” plus qu’il ne faut. Les nouvelles de ce matin semblent enclines à m’y conforter. Je crois que l’apparente irrationalité de Trump est tout à fait calculée et qu’il gère sa relation avec Poutine comme on gère des informations contradictoires à la corbeille.

On en vient presque à souhaiter que la CIA est bien derrière chaque dirigeant de l’OTAN, prête à les empêcher, en Hongrie ou en Pologne, par exemple, ou en dehors de l’OTAN, comme en Ukraine ou au Pakistan, de commettre l’irréparable, parce que, dans leur cynisme, ils restent rationnellement préoccupés par l’équilibre instable du monde -sinon, que pourraient-ils dominer?

Mais évidemment, aussitôt, on se rappelle leur incompétence manifeste dans nombre de dossiers (incompétence ou malhonnêteté? ou alors multiplicité des services entrainant ignorance par la main droite de ce que fait la main gauche?), l’incohérence de certaines actions… Evidemment encore, cela ne m’empêche pas de me souvenir que CIA, USAID, NSA sont derrière une quantité invraisemblable de crimes et de situations sociales et politiques désastreuses, en particulier sur le deuxième continent de ma vie: l’Amérique du Sud.

Donc, je disais “presque”.

Et puis, naturellement, après avoir -trop peu- considéré la situation des pays où l’on meurt encore régulièrement de la violence policière, de la faim, du manque de soins chroniques, de l’absence de normes sanitaires, des guerres plus ou moins civiles, de l’imposition des règles du marché et de la concurrence “libre et non faussée” qui ruinent la société agraire et forcent les gens à se vendre à quelques cents de l’heure dans des fabriques qui ne dépareraient pas dans l’Alost du XIXe Siècle, après tout cela, donc, il faut bien se pencher un petit peu sur nos malheurs belgo-belges.

La libéralisation des services publics, la fin des soins de santé à prix raisonnables, la division de l’enseignement non plus en deux, mais en trois, quatre, voire plus de niveaux de qualité, les transports en miettes, le gel des revenus, l’enfumage sur les salaires poches et sur la réduction du salaire brut, la politique sécuritaire sous prétexte de terrorisme, la poursuite du tout à la bagnole, totalement incompréhensible et irrationnelle, l’incohérence sur les argumentations obscures concernant le nucléaire, … On ne sait plus que choisir. A l’échelle de la crise brésilienne, je tiens à le dire, nos problèmes sont ridicules. Mais comme je suis belge, je tiens tout de même à poser ma petite humeur sur les axes de possibilités présentés par nos glorieux partis, Ecolo, cdH, PS, MR ou Defi, d’un côté, et leurs équivalents flamands de l’autre: ça tient dans un mouchoir de poche libéral et autoritaire, peu innovant dans une perspective à long terme et sans aucun intérêt si l’objectif est bien de servir de modèle au reste du monde.

La Belgique, à l’intérieur de ses contradictions communautaires -qui ont surtout pour objectif de nous faire oublier tout le reste-, suit avec un calme méprisable les préceptes capitalistes de l’Union Européenne.

Quand on connait un peu les Traités conclus au cours des décennies passées et les décisions du Conseil européen et de la Commission Européenne, on ne peut que le constater. Mais on doit aussi rappeler que nos gouvernants sont partie prenante de ces décisions, notamment du fait que ce sont nos ministres qui font partie du Conseil et que ce sont eux aussi qui se mettent d’accord sur la nomination des commissaires qui ont pour charge de mettre en forme le programme dressé par… les Etats.

La prochaine fois qu’un communicant gouvernemental vous fera le coup du “c’est la faute à l’Europe”, répondez-lui que son doigt, s’il était suffisamment long, en faisant le tour de la Terre, après être passé à travers la Commission, pointerait son dos.

Pour finir, une petite contribution à la polémique trop peu présente sur “néolibéralisme ou libéralisme?”. Le néolibéralisme, c’est le libéralisme à cent pour-cent sans concession, désireux de ne laisser aux Etats que leurs fonctions régaliennes. Bref, c’est le libéralisme rêvé par les puristes de la chose. Ce n’est certes pas l’idée d’Adam Smith, mais il ne faut pas oublier que ce dernier n’a fait que théoriser quelque chose qui existait déjà à l’échelle de certaines régions ou de certaines associations. Adam Smith avait sans doute le projet d’un libéralisme généreux, qui restait attentif aux déshérités et aux malchanceux (si, si, c’est prévu dans ses textes). Il avait sans doute le souci de convaincre le plus grand nombre. Smith faisait le pari d’un lectorat le plus large possible, alphabétisé, désireux de se lancer dans l’entreprise, à une époque où le salariat n’était pas encore la norme et où l’usine n’était pas l’enfer qu’allaient connaitre la toute grande majorité des ouvriers anglais un siècle plus tard. Il faut remettre Smith dans son contexte. De même qu’il faut remettre les néolibéraux dans le leur. De là à devenir keynésien, il n’y a qu’un pas -que je ne franchirai pas, comme vous vous en doutez.

Juan et les Picaros

Tuesday, August 22nd, 2017

« [Les voitures du pouvoir] réintroduisent cette variabilité, cette légère terreur dont ont besoin tous les pouvoirs pour, en sus des dispositifs paternalistes, réaffirmer leur autorité par l’angoisse.

picaros

Légères et lourdes à la fois, mystérieuses et insaisissables, ne respectant aucune des règles de la circulation, ces voitures et cortèges volant à toute vitesse nous rappellent l’existence d’une entité supérieure dans notre quotidien le plus banal. Elles peuvent surgir à n’importe quel moment, écraser en toute impunité. Elles n’ont ni nom, ni véritable identification.

voiture-officielle

Elles sont muettes, invisibles, inquiétantes. Elles ont les vitres teintées. Seules, elles sont comme des balles, nous rappelant le droit à l’arbitraire, les limites de notre liberté et de notre maitrise de l’espace. Jointes, elles forment un ensemble hypertrophié qui touche à l’absurde, se paralysant de lui-même, parabole de tant de régimes autoritaires.

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Comme tout dispositif de propagande, son exagération en fait apparaître le ridicule et la fragilité. Mais aussi le privilège affiché de pouvoir l’être impunément, le temps que ça ‘tienne’. »

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Juan Branco, L’ordre et le monde. Critique de la Cour Pénale Internationale, Fayard, 2016, p. 162

terrorisme vs terrorisme

Wednesday, May 24th, 2017

Je suppose que d’autres y ont pensé avant.

J’y pense à chaque attentat attribué aux forces djihadistes et associées, genre Daesh, Al-Quaeda et compagnie.

Je reviens sur les actes qualifiés de terroristes depuis, mettons, deux cents ou deux cent trente ans.

Je reprends les attentats des Brigades Rouges, de la Bande à Baader, d’Action Directe, et je les mets en parallèle avec ceux des partisans de la politique de la tension, Gladio ou les Tueurs du Brabant wallon, notamment. Les premiers n’effrayaient pas la population, mais bien les riches, les politiques et les forces de l’ordre. Les seconds avaient pour objectif de terroriser la population pour créer un tel état de tension que l’Etat s’en serait trouvé légitime d’imposer des mesures d’oppression sous couvert de sécurité.

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(Attentat à la bombe à la gare de Bologne en 1980, dont les responsables sont liés à un groupuscule ouvertement néo-fasciste italien; 85 morts, 200 blessés)

La méthode terroriste a aussi été utilisée par la mafia, en certaines occasions, comme lorsqu’elle fit exploser tout un pan d’autoroute afin d’exécuter un seul homme de la manière la plus spectaculaire, avec l’objectif d’épouvanter la population. Mais si les Italiens en furent effectivement choqués, l’effet a été presque contraire aux voeux de la mafia, puisque la population réclama par la suite plus de moyens dans la lutte contre le crime organisé.


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(assassinat de Falcone, 1992: 5 victimes, 10 blessés)

Plus ambigus sont les mouvements nationalistes en Espagne ou en Irlande du Nord, que l’on pourrait cataloguer parmi les activistes de la décolonisation. Certains mouvements, surtout en Afrique et en Asie, menèrent à de véritables guerres, d’autres se firent moins violemment. Pour autant, des attentats furent commis, touchant parfois des lieux populaires, tel en Algérie un dancing fréquenté par des jeunes métropolitains. Il y a sûrement des parallèles à faire entre ces attentats, que condamnait Camus, que comprenait déjà plus Sartre, et ceux qui égrènent le processus de non-paix au Moyen-Orient.

Les mouvements de décolonisation sont spécifiques à chaque situation, chaque période et chaque métropole. L’Inde et le Pakistan ont leur histoire propre qu’il faudrait analyser spécifiquement. Mais globalement, je pense que le récit ne change guère des éléments ici développés. De même qu’il faudrait un texte spécifique pour chaque mouvement s’opposant aux régimes en place en Amérique Latine.

Durant la 2e guerre mondiale, les attentats visaient les forces occupantes et les collaborateurs. Les résistants étaient appelés terroristes par l’administration nazie. Mais ce n’étaient pas eux qui terrorisaient la population…

Les attentats attribués aux anarchistes visaient des personnes bien précises, se focalisent sur des juges, des procureurs, des politiques. Leur message était clair: pointer du doigt la classe opprimante de la société. Une exception: celle des illégalistes; dans leur esprit, il ne s’agissait pas d’effrayer, mais de se réapproprier les biens spoliés par les bourgeois. Par ailleurs, ils s’attaquaient essentiellement aux beaux messieurs et à leurs serviteurs (domestiques et forces de l’ordre).

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(Attentat à la Chambre par Vaillant, 1893: quelques blessés. Les médias débiles existaient déjà à l’époque. Coïncidence? Leur titre principal s’appelait “Le petit journal”)

A la même époque, surgissent les anarchistes nihilistes russes, souvent associés aux courants évoqués dans les lignes précédentes, et les militants nationalistes, aux objectifs totalement opposés. Si les nationalistes reprennent les méthodes des anarchistes, et visent des personnalités particulières, ils ne partagent pas nécessairement les objectifs égalitaristes des anarchistes. En cela, ils peuvent être associés à l’assassin de Lincoln: ce sont des meurtriers par idéal dont l’espoir est d’influer par des actes individuels sur la politique générale.

Les attentats contre les sommités, Napoléon III, le duc de Berry ou Napoléon Ier, visent des personnes en particulier, cherchent à avoir un effet direct sur la politique en en supprimant ce qu’ils estiment être les pièces les plus importantes de l’échiquier. Glissons sur les parallèles des attentats contre de Gaulle, Kennedy, Ghandi, etc.

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(Assassinat du duc de Berry, 1820; j’adore celui-ci: j’essaie d’imaginer comment Louvel (un ouvrier réputé bonapartiste) est parvenu à se glisser entre tout ce beau monde sans éveiller les soupçons: on devrait s’en inspirer)

Il faut encore remonter pour rappeler les assassinats et tentatives d’assassinats à l’époque de la révolution françaises: Lepeletier de Saint-Fargeau est peut-être la première victime républicaine d’un acte terroriste. Député de la Convention, il venait tout juste de voter la mort de Louis XVI, qui allait être guillotiné le jour suivant. Marat sera ensuite assassiné par Charlotte Corday, elle aussi pensant pouvoir arrêter naïvement le cours de l’histoire en tuant l’homme qu’elle croyait à l’origine du sang répandu. L’année suivante, Robespierre et Collot d’Herbois sont les cibles d’une double tentative d’assassinat (présumée). Détail intéressant: Robespierre considérait -peut-être à raison- que cette double tentative faisait partie d’une machination plus large pour le discréditer et justifier la contre-révolution. Laquelle finit d’ailleurs par arriver.

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(L’assassinat de Lepeletier de Saint-Fargeau, le 20 janvier 1793. L’intérêt principal de ces gravures de la fin du XVIIIe Siècle est surtout de nous donner une idée des lieux représentés)

La Terreur -qui n’exista pas réellement, selon Jean-Clément Martin; qui fut même une invention après-coup, selon Hervé Leuwers-, était ce phénomène complexe dont l’objectif, lorsqu’elle était rouge, était de décourager les ennemis de la Révolution et, lorsqu’elle était blanche, avait l’objectif rigoureusement inverse. Il serait intéressant d’analyser en profondeur ces moments tragiques de l’histoire de France, tout en les recontextualisant par rapport à la période précédente (l’Ancien Régime, qui se manifestait par une moyenne de plusieurs centaines d’exécutions par an) et à la réaction contre-révolutionnaire. Mais ce texte prendrait des proportions insupportables.

On peut discuter à l’infini sur les motivations de tous ces auteurs, mais une chose est certaine: il n’y a eu, en Europe, que des terroristes d’extrême-droite pour abattre, aveuglément, le glaive, les balles, les bombes sur des groupes inoffensifs, avant l’arrivée des attentats qualifiés de djihadistes et liés aux courants Al-Quaida, Daesh, etc.

J’y pense à chaque attentat, et je le constate encore ce matin en lisant les nouvelles venues de Manchester.

S’attaquer à un concert de jeunes pour les jeunes, comme le fait de s’attaquer à des terrasses de café, des trains de navetteurs, des rames de métro ou des vacanciers dans un aéroport, outre évidemment le côté totalement inefficace de l’action (en quoi cela affaiblirait-il les positions stratégiques des agresseurs au Moyen-Orient? L’Otan se fiche complètement des victimes), outre le caractère éminemment, odieusement, pragmatiquement lâche de l’attaque (en s’attaquant à ce type de cibles, on évite le rapport de force, manifestement inégal dans d’autres occasions, mais on détruit des individus incapables de se défendre), ne peut signifier, dans l’esprit des auteurs, qu’une chose: oeil pour oeil, dent pour dent. Nous nous mettrons au niveau de vos avions qui bombardent nos villages, nos fêtes de mariage, nos écoles et nos hôpitaux; nous ferons pareil.

Les mouvements de gauche et les groupuscules anarchistes fidèles à leurs idées n’agissent pas de cette manière et évitent les attentats aveugles.

Si les gauchistes, les anarchistes avaient vraiment agi dans le même registre, ce n’est pas le patron de Renault ou le chef du syndicat patronal allemeand qu’ils auraient assassinés, mais leurs enfants; ce n’est pas Moro qu’on aurait retrouvé dans une voiture, mais des églises de beaux quartiers qui auraient sauté; ce n’est pas dans la chambre des députés que Vaillant aurait jeté une bombe, mais sur la place d’un marché.

Or, ce n’est pas ce qu’ils ont fait.

Death Porn

Friday, March 31st, 2017

L’exhibitionnisme n’est plus une maladie, mais la norme.

Qui ne s’exhibe pas devient suspect, sinon des autorités, au moins de l’audience générale.

L’inclusion est toujours plus excluante : qui n’est pas dedans est forcément dehors, et qui ne suit pas reste à la traine.

Le discours commun accompagne l’événement, et l’événement semble créé du discours commun. Illusion, mais généralisation d’un phénomène plusieurs fois centenaire, autrefois réservé à un espace relativement restreint, noblesse et cour, puis étendu à une classe, la bourgeoisie, qui, finalement, ne se distingue de la première que par un certain nombre de conventions et d’usages dont on discute la réalité1.

Ce phénomène de mode, de convention, fait de conformisme plus que de création, et d’exhibition de la personne plus que de l’individu2, s’est ensuite étendu à la classe moyenne. Et aujourd’hui, internet rend les choses plus rapides et plus immédiates. On partage des éléments de sa vie qui, autrefois, faisaient partie de notre intimité. Ce que nous portons, ce que nous achetons, les endroits où nous allons, sont partagés3, au sens qu’ils sont révélés, auprès de notre audience, dans le même esprit, mais à une échelle autrement plus importante, que ce que la bonne société faisait à travers les chroniques, les gazettes, puis les magazines qui en racontaient -et en racontent encore- les péripéties.

Mais ceci s’étend à des domaines auxquels on aurait pu ne pas s’attendre : si la dernière coiffure ou la couleur des ongles récemment adoptée ne surprennent plus, on peut s’étonner de la floraison des photos rapidement prises des plats préparés chez soi ou commandés au restaurant avant d’être mangés, et qui sont diffusés sur la toile bien avant leur digestion.

C’est tout juste si l’on ne pourrait pas supplier l’auteur des photos d’épargner sa nourriture tant la vitesse de partage a atteint des sommets.

L’internet sans fil disponible dans les restaurants permet d’éviter le décalage temporel entre l’exhibition et l’ingestion. Une boisson surmontée d’un petit parasol, une paire de gants ou de chaussures, achetées, consommées, ne sont pas moins fréquentes.

Les poètes anti-consuméristes ne sont pas en reste. « Une pierre, un arbre, un nuage » (C. McCullers) peuvent aussi servir de prétexte à un partage, sans doute plus gratuit, mais pas moins révélateurs d’un besoin d’exister aux yeux des autres non pas à travers un discours, un travail ou une pensée, mais via un élément hors de soi que l’on s’approprie par sa fixation dans l’image.

Il peut y avoir de la beauté dans cette futilité aussi.

Mais dans le même temps, les médias télévisuels multiplient les expériences dites de télé-réalité. Les exploits des appartements fermés partagés par une douzaine de candidats éliminés un à un par des systèmes d’élection au moins aussi douteux, sinon plus, que ceux des campagnes politiques, ont laissé la place à une multitude de variantes : des plus exotiques, et conservant un système sélectif pernicieux mais balancé par des voix suaves et des debriefings4 permettant une catharsis ambiguë, aux plus inattendues, telles ces émissions qui proposent à une personne de l’aider à métamorphoser son apparence physique ou celle de son appartement, en passant par des concours de cuisine ou des comparaisons professionnelles. Le concours devient permanent, l’exhibition se généralise dans tous les domaines. On peut s’interroger sur la moralité de telles émissions, mais il faut reconnaître que dans une société qui valorise les relations marchandes, les échanges commerciaux et dénigre de plus en plus les échanges sociaux fondés sur la gratuité et les relations désintéressées, où le héros est celui qui gagne, et non pas celui qui aide, il est difficile de culpabiliser des producteurs qui proposent simplement à des milliers, voire des millions d’individus, de prendre sa part de célébrité, puisqu’il s’agit précisément de ce que la société moderne sociale-libérale propose comme principale possibilité d’accomplissement de soi. On est loin de l’idéal de recherche de bonheur que proposait la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en 17895.

Reconnaissons-le, les jeux télévisés sont déjà très vieux et certains vainqueurs, par le passé, ont connu une certaine notoriété. Les compétences intellectuelles ou sportives étaient alors privilégiées, même si on peut s’interroger sur les critères d’excellence proposés par ces jeux, déjà. Puis, la chance, voire la fourberie ont commencé à être encouragés. La complexité des règles de certains jeux permet de faire gagner non pas celui qui sait plus ou fait mieux, mais celui qui a tiré les bonnes cartes. De nouveau, entre un principe méritocratique dont on peut discuter longtemps de la pertinence morale et une désignation par le sort d’un vainqueur, on ne sait trop à quoi donner sa préférence. Mais ensuite sont venus d’autres principes encouragés par ces jeux comme par les émissions de télé-réalité : le double-jeu, la traitrise, l’hypocrisie. Il s’agit d’éliminer l’autre avant qu’il vous élimine, quitte à réduire vos propres chances de victoire finale. Les affinités ou les intérêts communs passent au second plan, voire nous desservent. Forcément, les coups dans le dos se multiplient. C’est le règne de Loki, le dieu de la discorde. C’est le réflexe d’Apollon qui crache dans la bouche de Cassandre pour en dénigrer la parole. C’est la préférence de l’apparence au vrai. Il y a quelque chose de la tragédie grecque portée à son pinacle, mais surtout banalisée, généralisée, et, alors que le théâtre antique, lui, devait éveiller les spectateurs sur les excès à éviter, il semble que la télé-réalité cherche à nous inciter à la démesure et à l’orgueil. Non, plutôt à la vanité.

Et tout ceci de longue date est encouragé par des commentateurs, des animateurs, qui dédouanent le tricheur, voire encouragent ce qu’ils transforment en « beau geste ». Si tel joueur de football marque de la main, sans que l’arbitre ne le voie, il en est justifié par la cause qu’il défend, c’est-à-dire, bien sûr, non pas celle de son propre portefeuille, mais celle du pays qu’il propulse à l’étape suivante de la compétition. Si tel commentateur avait été irlandais et non pas français, dans un exemple célèbre, il n’aurait pu que condamner le geste du fauteur et réclamer la déchéance de l’équipe dont, dans notre dimension, il loue le jusqu’au-boutisme. Comment ensuite parvenir à un jugement cohérent lorsqu’il s’agit de responsables politiques ou de comportements des dirigeants de grandes entreprises ?

Perspectives.

Tout ceci ne nous dit pas vers quoi nous allons. La pornographie amateure, qu’on pourrait presque appelée « artisanale », si la pornographie professionnelle pouvait être qualifiée d’industrielle, devient le symbole des limites que l’on s’attend de mois en mois à voir franchir. J’avoue ne pas savoir laquelle des deux a précédé l’autre, de l’exhibition des plats au restaurant ou de celle des ébats sexuels. Mais c’est d’une synthèse des deux que m’est venue l’idée saugrenue qu’il ne m’étonnerait pas de voir surgir sur internet, voire à la télévision.

Peut-être cette idée est-elle plus révélatrice de l’état de démence de notre société que de mon propre état de santé mentale. Je ne suis guère qu’un historien qui tente d’observer le monde dans lequel il évolue en fonction du temps long, dans le souhait, d’ailleurs, que ce temps long l’emporte sur le temps court et sur l’immédiateté. Ce souhait, qui peut paraître arbitraire, est le produit d’une réflexion intellectuelle, que l’on retrouve chez des penseurs morts depuis longtemps, depuis Hegel, Marx ou Kropotkine, jusqu’à observateurs contemporains tels que Todd, Lordon, Onfray, Bricmont, Attali, etc. Des personnes qui ne sont pas sur la même longueur d’onde, donc, mais qui partagent au moins une chose : que la réalité ne se mesure pas sur le seul temps présent.

Prochaine frontière

La dernière intimité est peut-être aussi le dernier lieu de notre solitude.

Ce lieu, c’est celui de notre mort. On meurt solitaire. Que l’on agonise à l’hôpital, dans la compagnie d’autres malades et dans la sollicitude d’aides professionnelles, ou que l’on décède accidentellement chez soi sans avoir eu le temps d’appeler au secours, on meurt en réalité dans la solitude, parce qu’on est le seul ou la seule à mourir au moment où on le fait.

Même si l’on partage un accident de moyen de transport collectif ou si l’on meurt dans une bataille, la réalité du phénomène de la mort est qu’on ne la partage pas.

C’est sans doute ce qui fait qu’elle effraie le plus les hommes qui, généralement, n’aiment pas la solitude. C’est aussi sans doute a contrario pour cela que les plus stoïciennes d’entre nous, les moins pris par cette peur sont des solitaires, parfois misanthropes, même s’il s’agit parfois d’une façade de désillusion.

Mondragon allégorie de la mort

La mort est peut-être la dernière intimité. Et donc peut-être la prochaine barrière, la limite suivante qui sera franchie.

On peut l’imaginer sous deux profils différents.

Tout d’abord, sordide et crue, mais correspondant bien aussi bien à cette expansion de l’exhibition telle que nous la connaissons aujourd’hui, sans cependant exclure qu’elle suivrait un phénomène déjà très ancien. Monet peignait sa femme sur son lit de mort, Madame Tussaud réalisait des masques de cire à partir de masques mortuaires et les exposait au grand public, et ces masques mortuaires accompagnent les maisons depuis Agammemnon, depuis les cérémonies funéraires des Romains, qui exposaient les masques mortuaires des ancêtres à chaque enterrement. Les cérémonies américaines, « à cercueil ouvert », sont dans la même veine et ont sûrement une explication historique similaire. Demain, des sites nous proposeront des images, voire des films autour de morts, ou même d’agonisants. Il existe déjà des sites qui proposent aux proches d’un défunt de se recueillir ensemble autour de sa figure, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agira. Généralement, ces sites ne proposent pas d’images du défunt dans son dernier état, mais plutôt des photos souvenirs de l’époque où il partageait notre histoire. En fait, ce que ces nouveaux sites proposeront sera la généralisation de ce qui a été réalisé pour Lénine pendant plus de septante ans, l’exposition de sa momie, combiné à ce que l’on a pu voir pour le pape Jean-Paul II : une véritable exhibition de son agonie pour le plus grand plaisir des béats qui s’imaginaient assister à une ascension en direct. Quel dommage qu’il n’y ait pas eu de mise en scène telle que celle imaginée par Dino Risi dans « le bon roi Dagobert », où, à la fin, Coluche, mort, est monté à l’aide de treuils vers le ciel.

Aux plus belles assiettes pourraient succéder les plus belles agonies ou les plus belles figures mortuaires. Et plus seulement pour les seuls princes, présidents ou artistes, mais pour madame et pour monsieur tout-le-monde.

Enfin, la mise en scène de ce genre d’exhibition rejoindra le cadre d’une émission de télé-réalité. Une demi-douzaine de familles s’affronteront autour, chacune, d’un parent ou d’une parente sur le point de quitter cette vallée de larmes. Il s’agira de rivaliser d’inventivité pour promouvoir, par des critères esthétiques ou spectaculaires, celui ou celle qui est sur le point de nous quitter, mais avec le sentiment d’avoir une dernière fois contribué à la pérennité de sa maison. Une forme de retour ponctuel de l’importance des familles, de la manse, de la domus telle que l’histoire et l’anthropologie nous la présentent dans son importance à travers le temps et l’espace. Il y aura une forme de revanche un peu futile de la vieille ennemie de l’individu à travers cette émission6.

La mise en scène de la mort ne serait ni une nouveauté ni quelque chose d’incroyablement choquant. Mais notre société de consommation avait pris l’habitude de reléguer la mort à des espaces et des temps relativement restreints et isolés. On est loin de l’époque où le cimetière entourait l’église qui se trouvait au centre du village. Les cimetières ont progressivement été évacués des villes7.

Ce genre d’émission en arriverait à permettre des situations paradoxales, où deux mourants se faisant face pourraient être amenés à compatir l’un pour l’autre. Le premier mort aurait ainsi le privilège d’assister (presque) à la mort de celui ou celle qui mourra après lui. Jusqu’ici, le philosophe pouvait dire que la mort n’arrivait qu’aux autres, puisqu’on n’assistait jamais à la sienne propre, mais désormais, on pourra en direct visionner les images de sa propre agonie. On ne sait trop évidemment dans quel état, mais le sordide peut-il avoir des limites ?

  1. Joseph Morsel, dans son livre, L’aristocratie médiévale (Ve-XVe Siècle), Armand Colin, 2011, montre avec talent -même si j’ai des doutes sur quelques passages- que ce que nous appelons bourgeoisie, vue de notre temps, et réalité d’ancien régime, accompagne le pouvoir aristocrate, s’y greffe et s’y confond en grande partie. []
  2. En droit romain, la personne possède, l’individu existe. []
  3. Bien plus que ce que nous faisons. []
  4. Comme pour “Death porn”, je n’ai pas cherché de version française pour ce terme. []
  5. Et de la Constitution américaine. []
  6. Des émissions de jeu proposaient d’ailleurs ce type de promotion, où des familles s’affrontaient dans des épreuves amusantes. Mes souvenirs en remontent aux deux dernières décennies du XXe Siècle, mais je suppose que, ci ou là, le fait existe encore. []
  7. Je viens de lire que celui de Monaco a quitté le Rocher dans la décennie même où la Principauté adopta ce qui allait faire sa fortune, le tourisme et le casino, vers 1860. Ce n’est donc pas si ancien. Vienne avait exclu ses cimetières quelques temps avant la mort de Mozart, par souci d’hygiène. Quand on voit une ville tentaculaire comme São Paulo, on est en droit de se demander ce qui arrive aux défunts qui ne sont pas incinérés. Les Romains nous ont laissé des routes qui font penser un peu à l’idée exposée ci-avant : un étalage de tombes et de monuments mémoriels nous rappellent que nous sommes vivants et que nous allons mourir. Si les pierres tombales ont longtemps été le privilège des personnes aisées, voire riches, il arrive qu’elles nous cherchent à nous rappeler que le défunt continue de vivre avec nous. Les gisants se redressent, redeviennent altiers et s’exposent dans le meilleur de la forme de qui ils représentent []

Etre obligé de se justifier, etc. III

Monday, March 6th, 2017

Suite de ceci.

Depuis 2011, la guerre a ensanglanté la Syrie, l’Irak et d’autres lieux, périphériques ou non, pour des raisons qui se situent dans le Croissant fertile.

Je ne sais pas qui me dira le vrai de la guerre au présent; je ne suis pas plus capable de rejeter ou d’entériner un témoignage quel qu’il soit, qu’il s’agisse d’un journaliste de grand média, d’un reporter indépendant, d’un civil sur place, d’un civil émigré et réfugié chez nous. Toute personne est présumée de bonne foi jusqu’à preuve du contraire: je crois fermement dans ce principe, du moins tant qu’il s’agit de justice. Mais, en tant qu’historien, je ne peux que soumettre tout témoignage aux filtres de la critique historique.

Or, ces filtres sont à la fois nombreux et exigeants.

Il ne s’agit pas seulement de douter de la bonne foi du témoin, diplomate ou habitant d’une ville bombardée, général ou journaliste, mais aussi de poser la question de la partialité de son témoignage.

Ensuite, il faut rappeler que chaque témoin n’a pu qu’assister qu’à une portion étroite de la réalité que constitue une guerre. Le témoignage, outre partial, ne peut être que partiel. Il faut donc en cumuler de nombreux, souvent contradictoires, pour envisager une vision d’ensemble.

En outre, l’interprétation des faits auxquels chaque témoin a assisté peut être faussée par des éléments de mise en scène, des mensonges, des masques. La guerre de Mandchourie a été déclenchée par un attentat ferroviaire attribué à un camp et en réalité fomenté par un autre. Les provocations telles que la canonnière du Nankin, la dépêche d’Ulm, le couloir de Dantzig, l’appel à l’aide des Eduens, etc. Dans le cas syrien, les deux parties attribuent à l’autre les mêmes faits criminels. On sait tout de suite de quoi je parle.

Enfin, et ce filtre n’est pas le plus mince, la guerre crée des moments de stress incomparables, des situations extrêmement vives, ne permettant pas d’asseoir un témoignage sur une sereine ataraxie, mais aussi des traumatismes violents qu’il serait pour le moins maladroit de laisser de côté.

Quadruple raison pour laquelle le jugement à chaud de la situation d’une guerre ne saurait être légitime pour produire une réaction en rapport avec le juste.

Ce n’est pas parce qu’un témoin, en toute bonne foi, attribue à un camp tout le malheur qui s’est abattu sur sa famille que cela nous légitimerait à prendre parti contre ce camp et, a fortiori, en faveur d’un second camp. Pour un témoin dans un sens, on en trouvera un dans l’autre. Par ailleurs, le premier témoin, toujours de bonne foi, aura pu assister à une toute petite séquence de la guerre qu’il subit. Dans chaque guerre, les armées sont composées de soldats capables d’agir dans des sens très opposés. Peut-on imaginer qu’il y a autant de militants sincèrement égalitaires d’un côté que de l’autre? Et si je me trompe, cela signifie qu’une moitié des personnes que je connais et qui ont pris parti pour un côté mus par ce sentiment se trompent.

Il ne s’agit pas ici de prétendre à une neutralité confortable ou munichienne. Le prétendre est se tromper, voire tromper. La neutralité, d’ailleurs, n’est jamais confortable, car elle s’attire les foudres des deux côtés.

N’allez pas croire que je n’ai aucune empathie pour les images qui nous arrivent de Syrie ou pour les témoignages oraux ou écrits. Mais aucune autorité déléguée n’apparait légitime pour obtenir moyens, armes ou hommes dans le conflit en question, tant les parties y sont floues et discutables. Il y a des communistes du côté d’Assad, des Kurdes au milieu, des militants légitimes de l’autre côté. Mais surtout, il y a de tous côtés des pions dangereux et illégitimes, des arrivistes et des criminels, des éléments arrivés d’autres côtés de la frontière syrienne et dont les motivations ne sont ni démocratiques, ni libertaires, ni égalitaires. Les alliances se renversent, les cibles changent, les civils souffrent au milieu. Les sondages, les enquêtes, les humanitaires lancent des messages contradictoires.

Je ne prétends pas non plus me laver les mains de tout cela. J’écoute souvent des avis qui ne sont pas les miens. J’ai changé d’opinion sur bien des sujets ces vingt dernières années, et je ne prétends pas avoir raison sur tout. Mais je pense avoir toujours été et être encore fidèle à mes valeurs de gauche, de liberté et d’égalité, sans lesquelles je me sens démuni de mon identité.

La réalité de la Syrie n’était pas très différente de la réalité du Congo, par exemple, au moment de son explosion. L’état de la Syrie d’aujourd’hui n’est pas très éloignée de celui de bien d’autres régions où l’Otan et ses affidés sont intervenus. Des millions de gens souffrent, sont exilés, blessés, mutilés, tués. Des millions d’individus. Mais c’est le cas dans de nombreuses régions du monde, et il semble que seules certaines doivent faire l’objet de nos foudres vengeresses. Ces plaintes sélectives n’ont aucun sens.

Etre obligé de se justifier de toute une vie de gauche (II)

Thursday, March 2nd, 2017

Suite de ceci.

La guerre civile n’est que très rarement… une guerre civile.

Une guerre civile, ce n’est pas une révolution. Par ailleurs, par guerre civile on entend avant tout une guerre qui oppose des parties de la population d’un pays à d’autres parties de cette même population. Or, ce genre de concept est difficilement adaptable à la situation complexe d’une réalité historique. Y’a-t-il eu guerre civile en Vendée en 1793? Il faudrait retirer toute ingérence extérieure et, notamment, couper le conflit vendéen des agressions prussienne et autrichienne à l’Est. Or, il n’y aurait pas eu de guerre en Vendée sans la déclaration de guerre d’avril 1792 et la levée en masse girondine qui s’en suivit. Guerre civile en 1917-1921? Si l’on exclut l’intervention des forces “alliées”, françaises et anglaises surtout, alors, soit. Mais est-ce crédible? Guerre civile, la guerre de Trente Ans? A condition de considérer les principautés germaniques comme un tout et l’intervention des Français comme négligeable. Guerre civile, celle de César contre Pompée, qui eut lieu partout sauf à Rome?

Et puis 1936, Espagne: guerre civile? Aucune intervention extérieure? Si, mais précisément la noblesse -jugement de l’histoire- des Brigades Internationales n’a-t-elle pas été de n’être bénie par aucun Etat? Coïncidence de l’histoire? Serait-ce que la seule intervention d’Européens dans une guerre qui trouve grâce à mes yeux doive n’avoir obtenu l’aval d’aucun gouvernement? Ou bien est-ce le contraire: la seule intervention louable et justifiée -bien qu’ayant essuyé un échec cuisant- ne pouvait, du fait de la justesse de ses motivations, ne trouver aucun appui des Etats qui se disaient démocratiques et qui craignaient en réalité un gouvernement qui l’était (admettons).

Or, et de toute façon, nous n’avons pas affaire, en Syrie, à des joyeuses bandes de Brigadistes désireux de soutenir un gouvernement républicain de gauche, limite anarchiste, à l’instar de ce qui se produisit en Espagne en 1936.

Certes, parmi les combattants à l’oppression de Bachar el-Assad, il ne peut manquer d’y avoir des militants sincères d’une société juste et égalitaire, voulant rassembler les Syriens dans une grande nation souveraine et démocratique (et donc échappant aux influences des puissances régionales, voire mondiales). Mais en quelle mesure, et dans quelles proportions, cependant, s’exprimeraient, à notre grande joie ces combattants de la liberté sur la place inversement proportionnelle de la religion et de la femme, naturellement, quand on voit ce qu’ont réalisé les révoltes anti-soviétiques en Afghanistan ou ce que sont devenus les droits des femmes dans les chefferies libyennes après la mort de Khaddafi.

Mais qui suis-je encore pour juger du choix des peuples à préférer enfermer leurs femmes dans des sacs? L’Afghanistan n’est-il pas meilleur aujourd’hui que sous le joug soviétique? Et la Libye n’est-elle pas débarrassée avec profit de son tyran? Ironie, ironie…

Procès d’intention indigne de ma part! Il existe des laïques féministes qui se dressent vaillamment contre le régime de l’infâme Bachar, lequel, pourtant, s’il n’est sans doute pas féministe, n’a jamais été enclin à s’appuyer sur une vision de la religion pour imposer son régime de fer. Il en aurait été malvenu, tant la minorité dont il est issu est… minoritaire. Pour autant, je réclame des chiffres: quelle proportion de laïques, égalitaires et syriens désintéressés parmi ces occidento-proclamés rebelles?

La réalité de la guerre réputée civile syrienne, c’est qu’une bonne partie du monde, tant issue de la région médio-orientale, que de la “communauté internationale” (celle de l’OCDE, du FMI et surtout de l’OTAN, et donc à l’exclusion de trois quarts de la population mondiale1 ), est intervenue dans ce conflit d’une manière ou d’une autre.

Des soldats du régime Assad n’ont-ils pas été bombardés “par erreur” par les forces de l’OTAN en 20162? On a aussi parlé d’officiers britanniques, israéliens, turcs et saoudiens présents sur le terrain. Pourquoi les Américains ont-ils demandé l’été dernier d’épargner Al-Nosra dans leurs bombardements? Est-ce d’ailleurs vrai? Ne suis-je pas intoxiqué par des agences russes? Pourquoi le Figaro alors s’en faisait-il régulièrement l’écho? Peut-être parce que Dassault espère encore vendre son matériel à l’infâme nouveau Tsar?

Le genre d’information qui s’égare dans les rédactions, guère confirmées, ni démenties…

(à suivre)

  1. Aucune intervention sud-américaine, chinoise, indienne, et je ne me rappelle guère de mouvements africains interventionnistes, sinon du côté des Islamistes. []
  2. Il semble que des avions russes viennent de rendre “la pareille” en ce début de mars 2017, mais c’est une pure coïncidence: mon papier était déjà presque terminé en décembre. []

Être obligé de se justifier de toute une vie de gauche

Wednesday, March 1st, 2017

Trois mois sans hérisson… C’est que j’ai encaissé salement ces derniers temps.

Ce fut la goutte qui…

Alors bon.

Si j’étais né syrien, n’aurais-je pas, à la suite des printemps arabes, levé mon poing, pris mon arme (que j’aurais naturellement trouvée sous mon matelas) et suivi les mouvements rebelles désireux de renverser Bachar el-Assad?

Assurément, de ce que je sais des gouvernements médio-orientaux, et comparés avec ceux que je critique déjà en Occident, il ne fait aucun doute que je ne me serais pas réjoui (supposant qu’y naissant, j’aurais développé les mêmes idées que les miennes d’ici et maintenant) des dynasties syrienne, jordanienne ou saoudienne, pas plus que de la main de fer de Saddam Hussein ou du régime religieux chiite en Iran. Aurais-je décidé de fonder une famille dans cette situation? N’aurais-je pas tenté de fuir? Mais où? Qui m’aurait accueilli en temps de paix?

Et quoi? Ceci me permet-il, à moi, de me substituer au jugement des peuples?

Ingérence humanitaire.

Ah oui, l’ingérence humanitaire.

Je plaide coupable. C’est la seule chose qu’acceptera le lecteur intransigeant défenseur des droits de l’homme -pourvu qu’il s’agisse des droits de l’homme sélectionné (l’homme) par les intérêts gérés par la triplice \gouvernants-médias-entreprises&finances/ dominante sous l’égide de l’Otan.

Mais moi, pas plus malin ni introduit qu’un autre, je me contente de suivre l’histoire, et essentiellement l’histoire des principes de la propagande de guerre, et de constater que tous les gouvernements, médias et producteurs qui, au moins depuis l’antiquité grecque et romaine, ont désiré lancer une guerre contre un opposant qui, jusqu’alors, ne semblait pas plus dangereux pour la population à convaincre, ont usé de tout ou partie desdits principes1.

JE NE SUIS POUR AUCUNE GUERRE, parce que je sais, pour être pratiquement une loi scientifique tant ces faits se sont répétés à travers l’histoire, que toutes les guerres, sans exception depuis qu’elles sont documentées, contiennent en elles-mêmes des éléments de justification dont l’objectif est de cacher les réelles motivations des fauteurs, lesquels sont rarement les fauteurs officiels, mais curieusement toujours les vaincus. Officiellement. Heureusement, quelques générations d’historiens tendent à rectifier ce genre de principes. On y travaille.

En attendant, ni des armes produites au nom de nos élus, ni de l’argent versé de mes revenus, ni des hommes que j’aurais connus…

En tout cas, pas en mon nom.

(à suivre)

  1. On lira avec profit les “Principes élémentaires de propagande de guerre” d’Anne Morelli, qui reprenait avec bonheur les thèses d’Arthur Ponsonby []

Contre-révolution

Friday, November 11th, 2016

Ce post ne fait pas suite aux clowneries récemment arrivées aux USA, en France ou au Brésil.

IL y a quelques mois, je publiais ici-même un bref aperçu de la révolution française, insistant sur certains éléments de cet événement avec l’objectif de faire réfléchir le lecteur sur les possibilités de parallèle avec notre époque. De parallèles, pas de comparaison.

La Terreur?

Les époques ne sont jamais comparables et les leçons de l’histoire sont avant tout des pistes de réflexion, pas des modèles à suivre ou à rejeter. Il ne s’agit pas non plus de faire croire que nous serions à la veille d’une nouvelle révolution française. L’idée n’est pas là, même s’il est vrai qu’il m’arrive de dire que “nous sommes en 1788”. Mon objectif, en proférant cette phrase qui peut paraître choquante (après tout, 1793 n’est qu’à quelques années de 1788, et nombre de personnes au capital culturel élevé pourraient penser que quelque chose leur pend au nez), n’est pas d’effrayer, mais de faire réfléchir sur les options à venir. A en illustrer aussi les possibilités sans devoir rallonger ce texte.

Car si la révolution française a fini par échouer entre les mains d’un dictateur (je parle de Napoléon, pour les esprits les moins éclairés et pour les savants les plus obtus), dont les crimes sont à mettre au même niveau que ceux des rois qui l’ont précédé ou des maniaques de ces deux derniers siècles que l’on a l’habitude d’honorer sans beaucoup réfléchir, si la révolution française n’est pas parvenue à résoudre les équations de la liberté et de l’égalité, ce n’était pas une fatalité.

Différentes routes plus ou moins rationnelles

Aujourd’hui non plus: il n’y a aucune fatalité dans le processus de dégradation de la démocratie, de réduction des acquis sociaux, de menaces sur les minorités. Il ne s’agit pas dans un premier temps de mettre des noms sur ces phénomènes, cela ne pourrait m’amener qu’à en oublier certains, lesquels seraient susceptibles de remplacer les pointés du doigt. Ce qui serait l’inverse de l’objectif. Il n’y aurait de fatalités que si nous acceptons de ne rien changer des structures de nos sociétés.

Il ne s’agit pas non plus de réduire l’avenir à deux possibilités, ce serait une erreur; il y en a au moins trois que j’identifie clairement et une quatrième que j’espère encore.

Il y en a peut-être d’autres, évidemment. Je ne suis pas éditorialiste, chroniqueur ou essayiste invité sur les chaines autorisées; je ne me ferme pas à mes propres spéculations.

Dégringolade

La première, et la plus évidente à l’oeil nu, quoique pas nécessairement la plus viable, est la poursuite de cette lente dégradation des conditions de vie, tant aux USA qu’en Europe, et qu’accompagnera une stagnation, voire un recul aussi, des conditions de vie dans le reste du monde: en raison de la fin de la croissance économique, par la force des choses, et en dépit des délires maniaques de certains économistes qui s’imaginent que l’économie virtuelle et financière peut poursuivre sans fin son ascension sur la famine des deux tiers de l’humanité, pour cette raison donc, le gâteau cessant de croitre, les prédateurs poursuivant leur quête d’accumulation, les parts congrues qui resteront aux classes inférieures (dont nous sommes, à moins que nous ne fassions partie des prédateurs) se réduiront petit à petit, le plus lentement possible pour réduire les risques de révoltes, ou en tout cas réduire le nombre de révoltés à chaque incident.

Le jour des morts

La deuxième possibilité serait que les prédateurs ne se satisfassent pas de cet arrêt de la croissance auquel ils refusent de croire parce qu’il n’est pas inscrit dans leur idéologie libérale. Le libéralisme, à l’instar du requin, réclame un mouvement continu, croissant, sans lequel il n’est plus nourri et meurt. Si les prédateurs refusent de se contenter de la lente réduction des avantages du plus grand nombre pour leur permettre de continuer à se goinfrer, mais trop raisonnablement à leur goût, alors le risque est qu’un nombre de plus en plus important de ces psycho-sociopathes tentent des coups de plus en plus audacieux, susceptibles de produire de plus en plus de victimes. Jusqu’au jour où l’enjeu pourrait en être une telle somme de vies, d’années de vie potentielles, d’environnements, de sociétés, d’acquis de base, que, ces prédateurs n’étant pas alliés, mais en concurrence perpétuelles, et leurs enjeux étant donc contradictoires, on en viendrait à une profusion telle de conflits, tournant en guerres toujours plus brutales, que l’espèce humaine pourrait disparaitre rapidement.

Certes, le risque d’une disparition prochaine de l’humanité est envisagée par une bonne série de futurologues, et comment pourrait-on ne pas être d’accord, puisque la théorie de l’évolution nous apprend que nous ne sommes qu’une étape dans le processus évolutif. Mais alors que le processus scientifiquement établi nous laissait espérer que notre espèce ne disparaitrait que progressivement au bénéfice d’une suivante, produit de notre propre espèce par filiation, cette seconde possibilité, elle, amènerait l’humanité à un stupide processus d’auto-destruction, triste, définitif et pourtant absolument pas inéluctable.

Autorité

La troisième possibilité, qui pourrait être la plus probable, si l’on admet que la plus grande partie de ces prédateurs aiment leurs enfants, c’est que ces derniers s’emparent par quartiers gigantesques des différents espaces de pouvoirs en jeu (géographiques, économiques, intellectuels, symboliques) et s’arrangent pour les conserver de manière autoritaire, quitte à laisser le reste de l’humanité dans un marasme qui les indiffère. Aux yeux des trois quarts de la population, cette situation est d’ores et déjà une réalité. Peut-être même ces trois-quarts souhaitent-ils que la même chose nous arrive… Un peu comme je me réjouissais hier de voir ces Etatsuniens crier “not our president”… Je me disais, tiens, c’est bien leur tour…

Peut-être que c’est notre tour… après tout, combien sommes-nous à avoir pleurer sur nos colonies? et sur nos néo-colonies?

Révolution et contre-révolution

Bien sûr, au cours du XXe Siècle, et même depuis la fin du XVIIIe Siècle, des mouvements laissaient entrevoir que la démocratie réelle puisse faire des progrès. La participation au pouvoir augmentait. Le pouvoir personnel tendait à diminuer. Mais les lieux de pouvoir se multipliaient, les richesses cumulables aussi et nous avons laissé nombre de leviers de pouvoirs entre les mains d’une poignée d’individus imbus de leurs puissances et de leurs avoirs.

De cette erreur sont nés les mouvements contre-révolutionnaires qui tendent à s’imposer depuis une cinquantaine d’années. Alors que nous avions gagné toute une série de droits, du moins en Europe Occidentale, et même aux USA, alors que ces droits et ces avantages semblaient s’étendre de plus en plus loin, en dépit de nombreux contre-feux, dans les pays qualifiés d’émergents, ce mouvement, désormais, peut-être en partie en raison de l’émancipation d’une grande partie du monde, mais plus sûrement parce que le capitalisme est arrivé au bout des possibilités de ses conquêtes sans réduire les acquis du plus grand nombre, est arrivé à son terme dans le cadre de la sociale-démocratie, espèce de compromis fragile entre le capitalisme libéré et la démocratie parlementaire. Désormais, la sociale-démocratie est faillie. Le capitalisme en a pris possession et refuse tout nouveau compromis, ayant mis sur le bûcher les traces des précédents.

La première et la troisième possibilités peuvent évidemment se combiner, et cela aussi ressemble à notre présent. La deuxième est une fin possible des deux autres.

Positive

Reste la quatrième, la plus souhaitable, moralement si on a un peu de morale, et surtout pour la plus grande partie de la population. Encore faut-il qu’elle parvienne à s’en convaincre.

La quatrième, c’est que nous soyons effectivement en 1788, que nous nous jetions avec allégresse sur 1789, et que nous arrêtions le processus entre 1793 et 1794, sans passer par la case Thermidor1, et encore moins par celle de Brumaire2, pour éviter la Restauration3 et le retour à la case départ, aggravée par le processus de concentration capitaliste qui en est résulté. Autrement dit, que la prochaine explosion démocratique ne se laisse pas embobiner effectivement par la minorité possédante soucieuse de conserver son pouvoir de domination -et de nuisance, bien que je veuille croire que cela ne soit qu’incidentel dans le processus-, ce qui implique que nous établissions très vite après cette explosion démocratique des structures qui empêchent le retour de toute concentration du pouvoir entre ceux qui ont intérêt à ce qu’il le reste.

Les occasions ont existé dans le passé, et cela doit plus nous donner de l’espoir que nous désespérer. La réalité est que les Thiers, les Barras, les Sieyès, les Poincaré ont souvent eu peur de tout perdre, et qu’ils ont été obligés de plonger leur pays dans des horreurs sans nom pour que leurs donneurs d’ordre ne perdent leurs quartiers.

L’argument de la contre-révolution restera toujours le même: seuls les possédants savent ce qui est bon pour le peuple. C’est le seul argument qui explique, par exemple, que les sièges d’administrateurs se trouvent cumulés entre les mains de quelques individus, que le gouvernement français vienne encore de décider de réduire le temps de parole des “petits candidats”, que les deux partis qui se partagent le pouvoir aux USA soient ceux qui reçoivent les financements des plus grands entrepreneurs du pays. Le simple fait que l’on ait fixé par la loi et les faits, quoique pas explicitement, que la liberté d’expression soit liée à la propriété des médias, et que ces derniers se trouvent dans la plus large proportion entre les mains d’une toute petite minorité liée au pouvoir financier et au pouvoir politique, que les rares tentatives de contester ce pouvoir, au Brésil ou au Vénézuéla, par exemple, soient agressivement condamnées avec une unanimité violente et sans aucune hésitation par les médias des autres pays, ce simple fait suffit à montrer que, effectivement, la lutte des classes est bien d’actualité, et que la classe du dessus veille bien à ce que les classes inférieures ne l’approchent jamais de trop près.

La conclusion de ce post se trouve dans tous ceux qui précèdent.

Certes, ce genre de discours risque fort de tomber sous le coup de l’accusation selon laquelle des individus comme moi veulent “couper tout ce qui dépasse” et “niveler par le bas”.

Inutile de dire que cet argument ne tient que pour leurs avantages, et que leur objectif en nous accusant de cela est de refuser de considérer la souffrance et la douleur qu’eux-mêmes ont produit, produisent et produiront encore si, effectivement, on ne coupe pas ce qui dépasse de leur jeans et qu’on ne nivelle pas leur pouvoir.

  1. Le succès de la contre-révolution bourgeoise avec la chute des Montagnards, dont la figure la plus connue est Robespierre. []
  2. 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), premier temps de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte. []
  3. de Louis XVIII en 1814-1815. []

abstention, piège à cons?

Sunday, October 23rd, 2016

Anarchiste, je ne me suis pas toujours abstenu. D’ailleurs l’abstention dogmatique irait à l’encontre même de mes principes, supposant la remise en question des idées, les adaptant au contexte, à la matière, au réel.

On s’abstient, en effet, lorsque les propositions en présence n’ont pas plus d’intérêt l’une que l’autre (ou les unes que les autres).

A contrario, si l’on estime (et on a le droit de se tromper) qu’en votant pour un parti ou une personnalité, on peut influer, même d’une plume dans le vent, par un message, on a le droit de considérer son vote utile. Une circonstance pourrait en être que le programme proposé induirait la fin du système imposé, par exemple.

Personnellement, ça m’est peu arrivé. En Belgique, on est un peu coincés. On n’a pas de personnalités comme Besancenot (première période), Arlette Laguiller ou Mélenchon. On n’en a tout simplement pas. On sait bien, malheureusement, que même si Raoul et Marco parvenaient à électriser les foules -parce que, dans un premier temps, malheureusement, l’enjeu est là-, le problème du PTB n’est pas tant qu’il est autoritaire (ce qui est sans doute le cas), mais que ses cadres compétents sont peu nombreux et que leur base n’est pas adaptée à une “démocratie représentative”. On ne peut les en blâmer: ce genre de système parlementaire est tout simplement contraire aux intérêts des classes sociales “passives”. La seule solution, pour le PTB, serait de s’ouvrir de manière positive à des figures compétentes existant dans la société civile et qui, jusqu’ici, ont refusé de s’attacher la patte aux anneaux du parti. Je pense à plusieurs de mes amis qui se reconnaitront (des noms! des noms!), et qui individuellement se croient incompétents ou impréparés, mais qui, pris ensemble, pourraient former un collège très puissant1. Je suis sûr qu’ils ont les mêmes en Flandre. On pourrait même piquer les quelques personnalités intéressantes chez les Zécolos, pour peu qu’ils acceptent de céder aux sirènes de la gauche, et qu’ils cessent de préférer des alliances contre-nature avec la droite sous prétexte que le PTB a un passé maoïste et stalinien.
C’est vrai, mais le PS, les libéraux et les chrétiens-démocrates ont un passé colonialiste…

***

Revenons au raisonnement.

Je me souviens de mes vieilles lectures que tant Proudhon, que Malatesta ou Durutti, dans leurs contextes, ont justifié la participation aux élections. Le principal est de rappeler ces mots: “dans leurs contextes”. Là-dessus, un bon débat, et chacun en sort avec une conviction personnelle. Pour alimenter ces débats à une échelle critique, évidemment, il faudrait s’impliquer dans des actions qui débordent la bourgeoisie sur sa gauche. Par exemple, assiéger tous les bureaux de Libé pour en prendre possession et y faire paraitre des vraies infos, de sorte que les (derniers) abonnés de Libé en restent sur le cul. Par exemple. On pourrait faire pareil, en Belgique, avec le Soir et de Morgen… Ou avec RTL et la RTBF… Mais qui nous prêtera les canons pour empêcher la cavalerie de la réaction bourgeoise de nous en déloger?

Ce dont je rêve, c’est qu’on trouve une solution pour que les casqués lâchent leurs maimaitres… Si quelqu’un a une idée…

J’ai cru un moment qu’en Grèce c’était en train d’arriver. Ce n’est pas de l’ordre de l’impossible, c’est arrivé dans l’histoire… Il suffit de lire quelques bouquins sur la Révolution Française ou le précieux Howard Zinn pour s’en persuader. Une fois de plus, c’est une question de contexte et de remise en question des idées… Ils le savent, eux, que rien n’est acquis, et c’est pour cela qu’ils continuer de taper toujours plus fort dans le même sens.

“Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra?”
“Jusque à quand, Catilina, oseras-tu abuser de notre patience?”2

  1. Je suis même prêt à y faire ma part, même si on me réduit à la charge des traductions. Ca me plairait d’ailleurs: c’est là qu’on apprend tout ce qu’il est important de savoir. []
  2. Oui, oui, je sais, Cicéron fait plutôt partie de la réaction, mais il écrivait si bien. []

La Révolution Française, c’est (peut-être) maintenant.

Saturday, April 23rd, 2016

Les événements ou personnages de l’histoire qui suit paraîtront familiers à certains. Ce n’est pas une coïncidence.

En 1788, l’État du royaume de France était ruiné.
En 1788, le principal ministre du roi était un financier genevois.
En 1788, les paysans souffraient de la disette, des prix pratiqués par les spéculateurs et du droit féodal
En 1788, les « ouvriers parisiens » et des autres centres urbains souffraient de la disette, des prix pratiqués par les spéculateurs et de la faiblesse des investissements.
En 1788, une bonne partie de la bourgeoisie française vivait du commerce des colonies, et donc des esclaves.
En 1788, des petits-bourgeois lisaient Rousseau.

En 1789, la révolution n’était pas à l’ordre du jour.
En 1789, les bourgeois parvinrent à s’imposer au roi dans le rôle de réformateurs.
En 1789, il n’était pas question pour les « ouvriers parisiens » et de quelques autres centres urbains de se soucier des intérêts de classe de la bourgeoisie, laquelle aspirait à quelques changements en sa faveur.
En 1789, les « ouvriers parisiens » prirent la Bastille. Sans les paysans, qui honoraient le roi, ni les bourgeois, qui peinaient à conserver leur place de réformateurs.
En 1789, des paysans brûlaient des châteaux. Ce n’était pas la première fois, mais l’ampleur en était telle que le 4 août les « Saigneurs » de la terre firent semblant de mettre fin à un régime inique vieux de plusieurs centaines d’années.
En 1789, ce sont les femmes qui ramenèrent le roi à Paris pour le mettre sous la surveillance du peuple. C’était les journées des 5 et 6 octobre.
En 1789, quelques bourgeois écrivirent la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Dans les mois qui suivirent, ils spécifièrent que n’était pas citoyen toute personne qui voulait. Encore fallait-il le mériter. Par la bourse.
En 1789, des petits-bourgeois populomanes1 tentèrent de remettre en question la situation des esclaves dans les colonies. On leur répondit, depuis les bancs de la bourgeoisie, que l’économie en dépendait et qu’il fallait rester raisonnable.

En 1790, on se dit dans les salons bourgeois que la révolution, qui n’était pas à l’ordre du jour, était allée suffisamment loin.

En 1791, ouvriers et paysans continuèrent de s’agiter d’insatisfaction, ne se concertant pas, parlant peu. Quant aux esclaves, beaucoup ne savaient même pas ce que ce mot recoupait qui puisse être pire que leur propre condition.
En 1791, la garde bourgeoise fit feu sur les « ouvriers parisiens ».
En 1791, la garde bourgeoise mata des révoltes paysannes dans le sang.
En 1791, les premières révoltes d’esclaves ayant entendu parler de la Déclaration furent maitrisées.
En 1791, pourtant, le roi trahit les bourgeois…

En 1792, les bourgeois au pouvoir déclarèrent la guerre à l’étranger pour calmer les ardeurs des « ouvriers parisiens » et des paysans éparpillés dans tout le royaume.
En 1792, les « ouvriers parisiens », aidés par les fédérés de Brest et de Marseille, s’assemblaient démocratiquement et décidaient de, décidément, agiter l’Assemblée bourgeoise. Ce fut l’insurrection de la Commune, des sections. Ce fut le 10 août.
En 1792, des petits-bourgeois populomanes réclamèrent la citoyenneté pour tous. Quel scandale ! Mais les bourgeois s’y plièrent à certaines conditions : ils avaient entendu parler des moyens qui existaient pour manipuler les élections. En dépit des appels de certains petits-bourgeois (c’est peu connu), les femmes perdirent le peu de droits qu’elle avaient eu par le passé.
En 1792, les bourgeois furent forcés par la rue parisienne de déclarer la déchéance du roi et l’avènement de la République.
En 1792, les bourgeois, sous la pression, toujours, mais cette fois des flambées paysannes, appliquèrent une série de mesure pour réduire les droits des seigneurs (eh oui, le 4 août avait été une farce).
En 1792, une nouvelle Constituante fut élue majoritairement par les paysans, lesquels avaient bien d’autres soucis en tête -c’était la moisson, leurs gamins étaient à la guerre- et y envoyèrent les bourgeois locaux qui n’avaient rien à faire de leurs journées.

En 1793, les bourgeois sacrifièrent le roi, qu’ils ne pouvaient plus défendre aux yeux des « ouvriers parisiens », désormais « sans-culottes » et trop souvent trahis. Les paysans, désinformés, ne comprirent pas. On ne leur rendait toujours pas leurs terres.
En 1793, les bourgeois assemblés à Paris furent si effrayés par les « ouvriers parisiens » et leurs amis, qu’ils laissèrent les quelques petits-bourgeois populomanes parmi eux écrire une nouvelle Déclaration et une nouvelle Constitution. Ces textes furent les plus révolutionnaires établis par une Constituante jamais promulgués en France.
En 1793, les petits-bourgeois populomanes voulurent abolir l’esclavage dans les colonies. Les bourgeois des colonies tinrent bon, durent faire face à des révoltes. Mais c’était loin, les colonies. Les « ouvriers parisiens » et les paysans avaient d’autres soucis : la guerre, les spéculateurs, les moissons, le manque de travail.
En 1793, un petit-bourgeois populomane nommé Marat fut assassiné par une gamine manipulée par des bourgeois partis agiter le bocage normand contre la révolution.
En 1793, les petits-bourgeois populomanes abolirent les droits seigneuriaux qui persistaient.
En 1793, les bourgeois parvinrent à rejeter la faute de leurs torts sur les paysans. Ils furent considérablement aidés en cela par les bondieusards récalcitrants au progrès social. Plus tard, les bourgeois mirent sur le compte des populomanes les massacres de Vendée.
En 1793, il faut bien le dire, les petits-bourgeois populomanes animés de bonnes intentions étaient peu nombreux, mais en plus, certains de leurs idées, ils passaient trop de temps à se critiquer les uns les autres, voire à se battre. C’est sûr, ils n’étaient pas préparés à tout ça. C’est sûr, c’était encore de grands enfants. C’est sûr, on a des conclusions à en tirer.

En 1794, les petits-bourgeois populomanes s’attaquèrent aux spéculateurs. Ils en supprimèrent bien quelques-uns, mais il en restait tant…
En 1794, ayant bien divisé les « ouvriers parisiens », les paysans et les petits-bourgeois populomanes, les bourgeois firent massacrer ces derniers, qui commençaient à devenir sacrément prétentieux avec leurs mesures de gauche. Parmi eux, quelques noms –Robespierre, Saint-Just, Couthon– devinrent symboles de monstruosité. On ne lutte pas contre la liberté d’entreprendre impunément. C’était Thermidor.
En 1794, une fois seuls au pouvoir, les bourgeois réprimèrent les « ouvriers parisiens ». Les paysans étaient loin, et de toute façon ils avaient des guerres et des moissons devant eux.
En 1794, les bourgeois confirmèrent qu’ils ne s’attaqueraient plus à la spéculation et firent semblant de regarder ailleurs quand on leur parlait d’esclavage.

En 1795, les bourgeois mirent fin à la guerre qu’ils avaient allumée contre les paysans. Ils comptaient bien réutiliser quelques fois le stratagème.
En 1795, les bourgeois réécrivirent encore une fois la Déclaration et la Constitution. Ce fut le grand bond en arrière.

En 1799, comme les bourgeois ne parvenaient pas à gérer les guerres extérieures qu’ils avaient allumées et les miettes de démocratie qu’ils avaient conservées à leur avantage, ils désignèrent les plus cupides d’entre eux qui choisirent le plus retors d’entre eux, lequel fit la guerre aux paysans et aux ouvriers de l’Europe entière pendant seize ans. Toussaint Louverture creva seul dans une cellule. L’esclavage fut rétabli officiellement et ne fut aboli qu’en 1848.

On ne résume pas la Révolution française en quelques lignes.

Mais si, en fait, on peut le faire. On vient de le faire.

Et ensuite, on s’interroge, et on cherche à voir si on ne peut pas remplacer certains mots par d’autres, peut-être en changeant quelques faits, en allongeant les délais, en se demandant si certaines choses ne se sont pas déjà répétées à quelques reprises…

Ceci est ma tentative d’appui à la réflexion qui marine en ce moment sur les Nuit debout et autres mouvements plus ou moins actifs, plus ou moins conscients, qui, à l’échelle de la France, de la Belgique, de l’Europe peut-être, s’agitent, se demandent, hésitent à s’allier.

Alors, certes, tous n’ont pas les mêmes ambitions, les mêmes problèmes, les mêmes soucis.

Mais tant qu’ils ne chercheront pas à s’associer, ils continueront de faire rire les bourgeois

Paysans, “ouvriers parisiens”, esclaves, petits-bourgeois, français, européens, de plus loin… Il n’y a pas de centres, évidemment, mais si les choses doivent partir de Paris, si les choses doivent partir d’un milieu social plutôt que d’un autre, si le résultat pouvait en être un grand chambardement, pourvu que nul ne s’en réclame pour s’arroger de place ensuite, qu’importe, et qu’elles partent…

  1. C’est de ce terme que Robespierre était qualifié par la Gazette de Paris en 1790. Burgot traitera plus tard les Jacobins de « populaciers ». Le mot populiste est une excellente alternative à populomane aujourd’hui. []