En suite de ceci
et cela, et malgré le peu d’enthousiasme qui a suivi en guise de discussion, je vais continuer à développer les raisons pour lesquelles la profession d’enseignant devrait être déprofessionnalisée.
Un horaire normal de prof, s’il veut pouvoir louer un appartement pas trop moche à Bruxelles, c’est entre 20 et 22heures de cours (quelques-uns de mes collègues du cycle inférieur totalisaient parfois 24 heures). Un instit’, ça grimpe encore un peu plus, sans compter les heures “hors cours” (surveillance, administration, logistique, réunions de collègues ou de parents, etc.) et bien sûr les préparations, corrections, …
Un prof, c’est un esprit qui ne se repose jamais de ses élèves. Carnaval, Toussaint, c’est bien trop court pour déconnecter. Pâques et Noël (quand on ne part pas en voyage scolaire), c’est tout juste assez pour recharger les batteries psychologiques au minimum… Il reste les vacances d’été, où l’on continue à penser à nos gamins pendant plusieurs semaines “après” et au moins pendant dix ou quinze jours “avant”…
(Notez que penser à nos gamins n’est pas désagréable en soi, mais c’est prenant physiquement, moralement et mentalement.)
Être prof, c’est un boulot à temps plein au sens où il est hardu de ne se concentrer sur nos garnements moins de 50 heures par semaine. Si certains enseignants ne se reconnaissent pas au moins en partie dans ce portrait, je ne suis pas sûr qu’ils font le même métier que celui que je faisais.
Malheureusement, tout ce temps où nous sommes en même temps que profs, éducateurs, flics, assistants sociaux, psychologues, gardiens de prison, spécialistes en électricité et en plomberie appliquées, et autres joyeusetés, nous avons parfois du mal à nous mettre au parfum de ce qui ferait de nous des profs plus modernes, plus frais, plus adaptés au système qui ne cesse d’évoluer. On nous fourgue bien des formations, mais j’en ai vues qui semblaient n’avoir guère évoluer depuis un moment. Ça doit être l’exception…
Difficile aussi de discuter progrès avec un inspecteur qui n’a plus enseigné depuis quinze ans. Ou avec un préfet qui pense à vendre son école plus qu’à la rendre conviviale.
L’enseignant est largement coupé de sa hiérarchie par les exigences du métier que lui comme elle défendent. L’enseignant est là pour enseigner à des jeunes; la hiérarchie est là pour s’assurer que la démocratie parlementaire ait de longs et beaux jours devant elle.
Est-ce que j’exagère? Sûrement, notamment parce que nombre de mes collègues se satisfont, sinon de leur sort, du moins du rôle qui leur est attribué -si seulement ils pouvaient recevoir une plus grande part de dessert, ça serait parfait. Mais de nouveau on n’est pas dans la même perspective. Certains de mes collègues sont là pour faire “là où on leur dit de faire”. Les profs idéalistes, ceux qui sont repris dans les films avec plus ou moins de bonheur (Ça commence aujourd’hui étant sans doute un des tous meilleurs), ne sont pas si bien vus que ça dans la réalité. Surtout par leurs collègues.
L’école telle que nous la connaissons fut un progrès. Il fallait la faire. Il faut admettre qu’elle ne l’est plus et qu’il faut repenser l’enseignement.
L’enseignant n’a pas le temps d’être tout ce qu’il doit être en plus d’être un animal social. De nombreux collègues autour de moi travaillaient alcooliques, désillusionnés, dépressifs, divorcés, solitaires, avec un matériel vieux de dix ans, et parfois tout cela à la fois.
Un enseignant, dans la vision romantique, c’est quelqu’un qui a le temps de faire de beaux supports, de belles préparations, quelqu’un qui parvient à répondre à ses élèves quand ils veulent voir quelque chose qui sort du programme… Plein de belles et jolies idées.
J’en connais qui… et moi aussi, je m’y efforçais. Mes élèves me titillaient régulièrement pour qu’on sorte du programme -que je n’ai pas souvent fini. J’essayais de rendre le latin amusant et moderne en comparant un discours de général romain avec celui d’un président américain, par exemple. Pas évident tous les jours, le cours de latin… Plus facile était le cours d’histoire. Plus libre encore, le cours de morale…
Mais, bref, le rythme de travail que je m’imposais pour arriver à intéresser mes bambins entravait ma vie sociale et ma vie affective. Sans parler de ma vie militante…
Ce que je remarque, c’est que le professeur a besoin d’étendre son horizon pour parvenir à le ramener en classe. Et pour ça, il manque quelque chose à une grande quantité de mes collégues…
À mon sens, diminuer le temps de travail des profs (ce qui n’arrivera pas), les payer mieux (ce qui n’est pas à négliger, mais qui n’aidera pas), mieux les encadrer (ce qui me fait rire à l’avance) ou leur prémâcher les préparations (ce qui n’amènera pas d’enthousiasme en classe, car on ne peut pas porter la passion d’un autre) ne sont pas des solutions au problème.
Le problème, c’est le cloître, c’est la boîte, c’est l’entreprise…
Le problème, c’est l’école en tant que lieu de professionnalisation de l’enseignement.
Un des grands penseurs de cette idée, c’est Ivan illich, dont je ne peux que vous recommander la lecture de “Deschooling society”, qui a été improprement traduit en “Une société sans école”.
L’idée est toute simple: les enfants (comme les adultes d’ailleurs) ne se passionnent que pour ce qui les intéresse vraiment; ce qu’ils ont envie de faire (voir également pour ceci: Alexander S. Neill). Les agents de l’enseignement (généralement des adultes, mais ce n’est pas une règle) n’enseigneront jamais mieux que ce qu’ils maîtrisent avec plaisir. Enseigner de la géographie quand on aime l’histoire et vice-versa, ce n’est pas le grand pied. Faire de la chimie alors qu’on est prof de math, ce n’est pas toujours évident non plus. Il y en a qui aiment, évidemment. Il y en a qui n’aiment pas et à qui on ne demande pas d’enseigner ce qu’ils aiment.
Et puis il y a des adultes partout dans le monde qui seraient d’excellents profs, à qui des enfants adorent poser des questions… Mais ils ne sont pas disponibles parce qu’ils doivent travailler et parce que les gosses doivent aller à l’école…
Vous voyez où je veux en venir?