Archive for the ‘lectures dispensables’ Category

Patrocle à Achille

Monday, September 15th, 2008

Tu dors, Achille. Déjà, tu m’as oublié –
La solitude, tu sais, c’est l’ennui, le froid.
Le vent tiède et pur, ami, sache apprécier
Le vent un peu vif, serein, qui calme l’effroi.

Tu dors, Achille. Déjà, tu m’es étranger –
Le franc souvenir, lointain, des emportements,
Qu’en vain je tentais, parfois, de décourager,
N’est plus qu’un reflet, éteint, un flou grondement.

Ta chaleur me manque, ami, ton souffle, ta voix,
Ton regard, tes bras, tes mains, l’or que j’entrevois,
Comme en ces temps bleus, Achille, où mes sens vivaient.

La nuit est noire, mon frère, au-delà du Styx,
J’aurais donné tant, de rien, pour être Phénix…
Quand toi, tu dormais, Achille, et je t’enviais.



Poème écrit, oulala, il y a près de quinze ans… parmi bien d’autres, mais que, tout à coup, il me plaît de mettre en ligne… Histoire d’alléger…

Qui va m’offrir un abonnement pour mon anniversaire?

Thursday, September 11th, 2008

http://www.sinehebdo.eu/

Siné foutu à la porte par Val, on dirait presque que ce dernier voulait lui faire un cadeau, ou le remercier pour service rendu… De la part du patron (dans tous les sens du terme) du Charlie Hebdo-dernière période, un licenciement, c’est comme une médaille…

Alors, histoire de, il lance son hebdo avec une cinquantaine de potes…
Et quels potes…
Lefred-thouron, Tardi, Michel Onfray, Godin, Jackie Berroyer, Carali, … Belle bande…

En espérant que Charb reviendra de ce premier faux pas dans sa carrière…

J’ai fini le tome trois

Sunday, September 7th, 2008

… Pas de Harry Potter, hein, non… De la Recherche…

Il m’aura fallu lire 247 pages pour me rendre compte que Proust est effectivement un tout grand écrivain.

185 pages, d’abord, de résistance contre moi-même… D’auto-discipline, oserais-je dire, puisque je voulais enfin vaincre ce signe indien qui m’empêchait d’arriver à la fin d’un Proust -et que je voulais bêtement commencer par le premier -Combray.

Apparemment, c’est le plus hard… en tout cas, il m’a permis de m’endormir tôt à plusieurs occasions. Quelle barbe!

Même si je voyais “où il voulait en venir”, je comprenais le jugement de Gide qui avait déconseillé aux éditeurs à qui Proust l’avait envoyé de le publier. Jugement qu’il regretta ensuite amèrement, mais qui s’explique par l’ennui profond où plonge un récit sans intrigue, l’évocation imbriquée de souvenirs, de sensations et de descriptions d’émotions, d’attitudes, d’habitudes longues, minutieuses, fastidieuses.

Au total, un portrait qu’on pourrait qualifier d’impressionniste (je ne sais pas si je suis original, ici, je suppose que non, puisque Proust aimait les impressionnistes), difficile, mais qui nous permet d’entrer dans un univers intellectuel remarquablement transmis.

Mais malgré tout, donc, une course contre l’ennui…

Et puis vient Un amour de Swann. Avec deux n. Je l’avais bien lu à quinze ans pour faire plaisir à un professeur de français, mais je ne m’en souvenais guère, et pas de manière très positive.

En réalité, je suis conquis par les pages déjà lues. Et, de l’ennui, je suis passé à l’enthousiasme. Comment peut-on expliquer qu’un même auteur, qui a la prétention d’une unité d’oeuvre, puisse provoquer des sentiments aussi disparates chez moi (et pas seulement à vingt ans de distance, mais simplement à quelques dizaines de pages).

Il faut admettre que la causticité de Marcel ne transparaît pas facilement -à première vue. Ce n’est qu’après soixante pages d’Un amour de Swann que j’ai commencé à vraiment la percevoir. Que j’ai compris que Proust avait un oeil critique et lucide sur la classe sociale qui l’avait élevé.

Swann, d’ailleurs, n’échappe pas aux critiques du narrateur, et lorsque l’on sait qu’il en était un miroir, on ne peut que se dire qu’il y a une forme de réflexion acerbe à son propre endroit dans l’ouvrage.

Alors, Proust? Premier stalinien à avoir fait son auto-critique?

Non, sûrement pas. C’est aussi chez Proust que l’on montre, a contrario, que l’amour est tout sauf bourgeois. Dans le monde superficiel des agents de change et des médecins mondains qu’il nous décrit, Proust parvient à faire sortir tous ces détails qui différencient précisément l’amour de ce que la bourgeoisie de son temps pratique par conformisme. Swann n’est bourgeois que lorsqu’il oublie qu’il est amoureux -et, lorsqu’il aime, il est vite rejeté par son entourage bourgeois. Lorsqu’il cesse d’être amoureux, ou qu’il se pare pour la galerie, il est aussi insupportable que les autres personnages.

Même chose pour le personnage du narrateur qui, dans À l’ombre des jeunes filles en fleur et Du côté de Guermantes, est capable des pires mesquineries dont il émiette sa vie. Les aristocrates, au travers de litotes, de détours, d’anecdotes, sont vus sous leur vrai jour. Cette duchesse qui, dit-on, traite si bien ses domestiques ne cesse de les brimer, de les empêcher de vivre; elle qui méprise le petit esprit de la plupart de ses pairs n’en a guère plus. Mais tout ceci n’est jamais présenté de manière directe. Tout est suggéré, présenté dans les scènes mondaines, dans les dialogues, alors que les descriptions rappellent plutôt les films en costume genre Sissi…

Le narrateur de La recherche est en permanence attaché à ces petits détails qui émaillent la vie amoureuse et qui ressemblent tellement à ce que nous vivons dans l’état passionné.
C’est probablement en lisant Proust que certains cocos tendance mao ou stal ont décrété que l’amour était un sentiment bourgeois, alors que c’est tout le contraire: c’est lorsque nous sommes amoureux que nous le sommes le moins.
(je vais encore me faire des amis à gauche, moi)

septante

Monday, May 12th, 2008

Histoire de se faire une idée de mes lectures récentes…

On notera qu’aussi bien Boris Vian (qui compte dans l’Écume des jours le nombre de musiciens -septante-trois- au mariage de Chloé et Colin) que Proust (dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs) utilisent le terme de septante plutôt que soixante-dix en certaines occasions. Peut-être chez Proust cela a-t-il un rapport avec un décompte biblique. Dans le chapitre “Autour de Mme Swann”:

“Mme Verdurin n’en était pas encore à la période d’incubation où on suspend les grandes fêtes dans lesquelles les rares éléments brillants récemment acquis seraient noyés dans trop de tourbe et où on préfère attendre que le pouvoir générateur des dix justes qu’on a réussi à attirer en ait produit septante fois dix.”

(phrase courte du sieur Marcel)

Dans le sketch “Le douanier“, Fernand Reynaud fait dire à l’étranger du village: mille neuf cent septante-deux.

D’après le site Wikipedia, les mots septante et nonante ont une histoire française également.

“C’est au XVIIe siècle, sous l’influence de Vaugelas et de Ménage, que l’Académie et les autres auteurs de dictionnaires ont adopté définitivement les formes soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix au lieu de septante, octante, nonante. Pourtant, les mots septante, octante, nonante figurent dans toutes les éditions du Dictionnaire de l’Académie française. Encore conseillés par les Instructions officielles de 1945 pour faciliter l’apprentissage du calcul, ils restent connus dans l’usage parlé de nombreuses régions de l’Est et du Midi de la France, ainsi qu’en Acadie.”

C’est intéressant, hein?

L’engagement, le compromis, les mains sales

Sunday, April 6th, 2008

Je viens d’assister au film de Robert Redford “Lions for lambs, dans lequel six personnages s’affrontent de manière rhétorique mais également réelle et pratique sur la question de l’engagement, de la prise de responsabilité, de ce que nous sommes capables de faire, de ce que nous faisons vraiment, et donc des décisions que nous prenons pour passer de l’une à l’autre avec tout ce que cela implique.

Les décisions des deux garçons qui partent en Afghanistan dans le but de revenir comme interlocuteurs politiques crédibles, en tant que vétérans -l’un noir, l’autre mexicain-, sont discutables mais donnent corps à une réflexion intéressante: jusqu’où est-on prêt à s’engager pour aboutir à nos objectifs?
Ernest et Arian partent faire une guerre injuste, pour en retirer des fruits qui leur permettront d’en mener une plus juste. Ils sont certainement sincères; en tout cas le réalisateur nous les présentent tels. Les risques qu’ils prennent sont réels (ils en paient le prix), mais ils sont prêts à les courir pour atteindre des objectifs plus nobles. Deux choses me restent en travers de la gorge. La première est qu’ils sont surtout partants pour affronter des gens dont ils ne savent rien, qui leur sont totalement étrangers, pour changer leur propre société. La seconde est qu’ils finiront par payer un prix qui bénéficiera à leur adversaire -ici le sénateur républicain- et qu’ils auraient pu s’en douter.

Ce dernier est-il sincère? Le personnage conservateur qui, faussement humble, reconnaît ses erreurs pour justifier de ses nouveaux assauts peut-il bénéficier de notre doute? Ici, le film laisse peu de place au doute chez un esprit un peu critique. À son sujet suffit un seul paragraphe de réflexion. Sa prise de position n’est pas, contrairement à ce qu’il essaie de nous faire croire, une question qui doit être résolue de manière immédiate, sans réflexion. Il veut nous imposer l’urgence d’une situation qu’il a lui-même (ainsi que ses proches et alliés) créée, de la vie de ses soldats engagés sous sa responsabilité et pour lesquels il réclame notre foi, notre soutien. Nous savons que nous ne pouvons lui laisser cet avantage. Que son point de vue n’est même pas à notre ordre du jour.

Le personnage de la journaliste, qui reconnaît elle aussi ses erreurs passées, mais se retrouve confrontée à ses propres besoins matériels, hésite à lui répondre lorsqu’il pose des questions apparemment triviales, en tout cas manichéennes. Et lorsqu’il tente de l’empêcher de tergiverser, elle n’est sauvée que par un élément extérieur -un effet de théâtre d’un triste effet, car nous avions là une ouverture de débat qui, comme souvent dans les films américains, ne se concrétisera pas, parce qu’il est difficile d’arriver à un débat sain entre deux parties où l’une des deux est incapable d’accepter d’autres prémisses que les siennes et l’autre est tiraillée par des problèmes de conscience et de problèmes personnels.

Deux personnages se ressemblent un peu: celui de la journaliste et celui du professeur d’université. Ils ont à peu près le même âge, ont probablement assumé des choix similaires étant jeunes et ont tenté de servir leurs idées libérales (au sens politique du terme, pas économique) au cours de leur carrière. Ils ont vu croître leurs désillusions et ont été confrontés à des choix cornéliens leur imposant des compromis que l’une a dû assumer (jusqu’à prendre des positions carrément liberticides) et que l’autre a eu le confort de ne pas devoir affronter. Le professeur, en effet, a plus de licence, plus de liberté car ses choix influent moins sur le paysage audiovisuel et politique du pays. Il est une espèce de Chomsky à son niveau dont les publications, les idées, les analyses sont peu connues et n’auront finalement qu’un impact ridicule sur l’électorat, et encore moins sur les mouvements sociaux -et sur ce qui importerait pour que changent les choses dans la plus grande démocratie du monde.

La journaliste en revanche sert des intérêts, et à elle revient de choisir ses patrons. En tout cas, on peut l’espérer. Comme on peut espérer qu’elle a été sincère lorsqu’elle prétend qu’en septembre 2001 elle croyait qu’il fallait appuyer l’intervention militaire en Afghanistan, par exemple. Mais nous sommes en droit d’en douter, après des générations de colportage fallacieux de la part des journalistes professionnels de la presse dominante dans le Premier Monde. Son personnage tenaillé par les doutes et les remises en question est le moins crédible des six.

Résumons: nous avons un sénateur de toute façon acquis à des objectifs et des méthodes qui lui permettent de promouvoir n’importe quel type d’engagement, au prix de sa seule réputation -et encore une bonne partie de l’intelligentsia américaine lui est-elle acquise quoi qu’il arrive; nous avons une journaliste dont le salaire dépend de ses prises de position, ce qui nous garantit qu’elle ne sera pas indépendante ou que, si elle s’engage dans la dissidence, elle perdra toute sécurité matérielle; nous avons deux étudiants qui, pour atteindre leurs objectifs, sont prêts à se salir les mains de la plus terrible des manières en se compromettant dans un mécanisme opposé à leurs idées -seront-ils, tels de nouveaux Hugo, récupérables?-; nous avons un professeur proche de la retraite dont les idées généreuses ne se concrétisent que dans la fréquentation de jeunes gens qu’il va inciter à s’engager à sa place; enfin, nous avons un dernier personnage dont nous n’avons pas encore parlé, un jeune étudiant privilégié (contrairement aux deux précédents) qui, bien qu’esprit brillant et lucide, se complaît dans une vie agréable, sans risque (mais pour combien de temps, le prévient le professeur), sans autre souci que celui de sa conscience qu’il sembe avoir anesthésiée. Il ne croit plus en un engagement possible au moment où commence le film et produit un discours cynique et désabusé à un âge où l’on attendrait plus d’audace. C’est cette audace que le professeur tentera de réveiller chez lui.

Dans ce film de Robert Redford, c’est Camus et Sartre, donc, qui sont revisités -sans qu’aucune référence ne leur soit faite, mais on ne peut toute de même pas trop demander d’un film américain, même si son réalisateur est l’un des plus engagés de la profession. Le dialogue final entre le professeur et l’étudiant rappelle le Mythe de Sysiphe de Camus -où l’engagement vaut toujours mieux que le renoncement-; celui que le premier tient avec les deux étudiants engagés sur le front afghan tient -on l’a dit- plus des Mains sales de Sartre. On n’aborde cependant pas les problèmes les plus profonds de l’oeuvre de Sartre en une heure et demi, naturellement.

La thèse du professeur, pourtant très passif en apparence, est sans doute celle qui se détache le mieux dans l’histoire: il admire les deux héros qui prennent des risques insensés pour leur cause et tente de convaincre le troisième étudiant, sinon d’approuver leur attitude (lui-même ne l’approuve pas), du moins d’en trouver une autre pour que le potentiel qu’il possède ne soit pas perdu.

Un bon film malgré ses faiblesses réelles, qui réactualise les idées des deux philosophes français; une bonne idée aussi et de bonnes interprétations. Une fin ouverte, qui interroge sans doute plus le spectateur, lui demandant: “Et toi, que vas-tu faire, en plus de voter pour les démocrates?” Stylistiquement, on saluera l’audace -cependant quelque peu artificielle- de faire se dérouler l’ensemble de l’action sur un peu plus d’une heure de temps dans trois endroits différents -à l’exclusion de quelques flashbacks.

D’après l’article sur Wikipedia en anglais, le film a été plutôt mal reçu par la critique américaine, reprochant son côté circulaire (“Où va-t-on?”) et prêcheur. Un film où l’on parle plus que l’on agit risque ce genre de commentaires. Le spectateur est laissé seul juge de la sincérité des personnages qui ne sont pas caricaturaux. Il est également mis devant ses propres responsabilités: voilà quelque chose que les critiques américains n’aiment peut-être pas trop. Si je concorde avec le fait que le film n’aboutit pas à une conclusion, je ne le trouve pas moraliste. Chacun trouvera dans l’attitude des personnages une grande liberté et une certaine souplesses d’attitude -à part peut-être pour les deux soldats qui n’ont plus guère de choix et subissent l’ensemble de l’action dans l’heure que dure le récit, deux personnages qui, marqués socialement par bien plus d’entraves que les autres, ont pris les décisions les plus lourdes de conséquences. Le côté blabla qui tourne en rond me plaît aussi parce qu’il me rappelle de bons films américains, comme Douze hommes en colère, Ghostworld ou Tootsie, films où le spectateur bourgeois est invité à une réflexion sans qu’il ait pu obtenir de réponses à toutes ses questions et où il doit faire usage de son esprit critique à long terme -y compris une fois sorti de la salle ou de son home cinéma… C’est ça qui peut rendre précieux un film américain -et du premier monde en général-: quand il ne vous demande pas de prendre une décision en fonction des seuls éléments proposés, mais de vous sortir de votre léthargie pour pêcher d’autres éléments de réflexion.

C’est ce qui fait qu’un bon film du Premier Monde est si rare.

Qui a dit…?

Thursday, March 20th, 2008

Qui est l’auteur de la maxime suivante:

Celui qui veut tout garder perdra tout.

a) Guy Debord dans “Le jeu de la guerre”?
b) Jésus Christ (ou du moins l’un de ses évangélistes)
c) Jérôme Kerviel, dans un moment de lucidité
d) Nicolas Sarkozy, juste après l’envoi d’un certain SMS
e) Didier Barbelivien dans un de ses derniers tubes “C’est l’hiver, mais j’ai chaud près de toi”
f) quelqu’un d’autre.

Course

Tuesday, February 26th, 2008

En rapport avec le très joli texte de Ju, sur sa préparation aux 20km de Bruxelles, je vous en propose un de moi en prose poétique qui vient de fêter ses dix ans.

Course

Je m’étais déguisé en semi-pro -pas certain d’être vrai -je ne sais pas. J’ai remonté les nids jaunes, les oreilles accrochées à ces diables de rythmes en boîte. L’espace était encore doré. Mes jambes étaient déjà lourdes. Je digérais. Les chars de l’enfer et les fureurs rouges, orange et vertes me faisaient tordre la tête -une colonne de fumée me ralentit aux portes du souverain. Les échos de la ville ne m’effleuraient pas. Les contours alentours m’arrivaient flous. Je ne respirais que pour vivre. Seuls mes pieds touchaient parfois terre. La visière sur le front, sur la nuque, un cliquetis de tour Eiffel sinistre, un décodeur magnétique adroit, mes lèvres murmuraient parfois les sorties de théâtres, les coeurs autour du monde, les samplings lunaires -j’aimais ça. Ma hanche droite m’a alerté dans la première ascension -je touchais à nouveau terre plus souvent -plus lourdement -ce corps se rappelait à moi -j’ai tenté un saut dans les champs dorés -je passais alors devant l’empire du plastique (brutal retour).

Plus loin. Déjà un demi-tour. Je me sens proche. Un couple, un cycliste, un chien et le truc qui l’accompagne en général au bout d’une laisse. La terre est toujours bien là. Elle m’enfonce un peu plus quand j’accroche dans l’ombre de mes rétines les cannes d’anciennes étoiles proches du trou noir.

Je passe une dernière vitesse -j’accroche- c’est plus difficile que… Là-bas, au loin, les aiguilles me narguent de leur invisibilité -quelques frères d’armes me soutiennent -mais de réaliser qu’elle est encore si loin -je ne comprends pas tout de suite que je marche… que mes pieds brûlent dans leurs cuirs… que mes poumons réclament l’Everest -il n’était plus loin mais il m’écrasait de sa proximité -pourquoi hésitons-nous encore là?

Est-ce en rêve que j’ai repris ma course? Était-ce réel lorsque le bronze incohérent de liberté sembla se révéler à moi? et ces insectes écrasés qui me grimpaient sur les cuisses et le dos -d’où venaient-ils?

Je pédalais encore dans le vide -bien sûr, qui espère arriver? Je souffrais en cadence, écroulé, le coeur à la Chaplin, au vinyl d’avant-guerre. Mes bras lançaient d’un côté, de l’autre. Ma langue était jaune, je me ramassais sur moi, je m’étendais le plus loin possible. Mes chaussures à bas, mes cuirs à l’air, ma chemise en feu. Je sentis distinctement, alors, pendant une longue minute -une minute bercée d’Islande- ce dont on me parlait quelques fois, qu’on me disait essentiel pour éprouver la beauté de la matière, fondre en elle et crier aux ciels, je sentis seul, sans les mains, le nez aux étoiles effacées par les richesses de la ville, je sentis la mer allée avec le soleil.

Je me revoulus ivre.

professeurs protégés 2

Wednesday, February 13th, 2008

En suite de ceci
et cela, et malgré le peu d’enthousiasme qui a suivi en guise de discussion, je vais continuer à développer les raisons pour lesquelles la profession d’enseignant devrait être déprofessionnalisée.

Un horaire normal de prof, s’il veut pouvoir louer un appartement pas trop moche à Bruxelles, c’est entre 20 et 22heures de cours (quelques-uns de mes collègues du cycle inférieur totalisaient parfois 24 heures). Un instit’, ça grimpe encore un peu plus, sans compter les heures “hors cours” (surveillance, administration, logistique, réunions de collègues ou de parents, etc.) et bien sûr les préparations, corrections, …

Un prof, c’est un esprit qui ne se repose jamais de ses élèves. Carnaval, Toussaint, c’est bien trop court pour déconnecter. Pâques et Noël (quand on ne part pas en voyage scolaire), c’est tout juste assez pour recharger les batteries psychologiques au minimum… Il reste les vacances d’été, où l’on continue à penser à nos gamins pendant plusieurs semaines “après” et au moins pendant dix ou quinze jours “avant”…

(Notez que penser à nos gamins n’est pas désagréable en soi, mais c’est prenant physiquement, moralement et mentalement.)

Être prof, c’est un boulot à temps plein au sens où il est hardu de ne se concentrer sur nos garnements moins de 50 heures par semaine. Si certains enseignants ne se reconnaissent pas au moins en partie dans ce portrait, je ne suis pas sûr qu’ils font le même métier que celui que je faisais.

Malheureusement, tout ce temps où nous sommes en même temps que profs, éducateurs, flics, assistants sociaux, psychologues, gardiens de prison, spécialistes en électricité et en plomberie appliquées, et autres joyeusetés, nous avons parfois du mal à nous mettre au parfum de ce qui ferait de nous des profs plus modernes, plus frais, plus adaptés au système qui ne cesse d’évoluer. On nous fourgue bien des formations, mais j’en ai vues qui semblaient n’avoir guère évoluer depuis un moment. Ça doit être l’exception…

Difficile aussi de discuter progrès avec un inspecteur qui n’a plus enseigné depuis quinze ans. Ou avec un préfet qui pense à vendre son école plus qu’à la rendre conviviale.

L’enseignant est largement coupé de sa hiérarchie par les exigences du métier que lui comme elle défendent. L’enseignant est là pour enseigner à des jeunes; la hiérarchie est là pour s’assurer que la démocratie parlementaire ait de longs et beaux jours devant elle.

Est-ce que j’exagère? Sûrement, notamment parce que nombre de mes collègues se satisfont, sinon de leur sort, du moins du rôle qui leur est attribué -si seulement ils pouvaient recevoir une plus grande part de dessert, ça serait parfait. Mais de nouveau on n’est pas dans la même perspective. Certains de mes collègues sont là pour faire “là où on leur dit de faire”. Les profs idéalistes, ceux qui sont repris dans les films avec plus ou moins de bonheur (Ça commence aujourd’hui étant sans doute un des tous meilleurs), ne sont pas si bien vus que ça dans la réalité. Surtout par leurs collègues.

L’école telle que nous la connaissons fut un progrès. Il fallait la faire. Il faut admettre qu’elle ne l’est plus et qu’il faut repenser l’enseignement.

L’enseignant n’a pas le temps d’être tout ce qu’il doit être en plus d’être un animal social. De nombreux collègues autour de moi travaillaient alcooliques, désillusionnés, dépressifs, divorcés, solitaires, avec un matériel vieux de dix ans, et parfois tout cela à la fois.

Un enseignant, dans la vision romantique, c’est quelqu’un qui a le temps de faire de beaux supports, de belles préparations, quelqu’un qui parvient à répondre à ses élèves quand ils veulent voir quelque chose qui sort du programme… Plein de belles et jolies idées.

J’en connais qui… et moi aussi, je m’y efforçais. Mes élèves me titillaient régulièrement pour qu’on sorte du programme -que je n’ai pas souvent fini. J’essayais de rendre le latin amusant et moderne en comparant un discours de général romain avec celui d’un président américain, par exemple. Pas évident tous les jours, le cours de latin… Plus facile était le cours d’histoire. Plus libre encore, le cours de morale…

Mais, bref, le rythme de travail que je m’imposais pour arriver à intéresser mes bambins entravait ma vie sociale et ma vie affective. Sans parler de ma vie militante…

Ce que je remarque, c’est que le professeur a besoin d’étendre son horizon pour parvenir à le ramener en classe. Et pour ça, il manque quelque chose à une grande quantité de mes collégues…

À mon sens, diminuer le temps de travail des profs (ce qui n’arrivera pas), les payer mieux (ce qui n’est pas à négliger, mais qui n’aidera pas), mieux les encadrer (ce qui me fait rire à l’avance) ou leur prémâcher les préparations (ce qui n’amènera pas d’enthousiasme en classe, car on ne peut pas porter la passion d’un autre) ne sont pas des solutions au problème.

Le problème, c’est le cloître, c’est la boîte, c’est l’entreprise…

Le problème, c’est l’école en tant que lieu de professionnalisation de l’enseignement.

Un des grands penseurs de cette idée, c’est Ivan illich, dont je ne peux que vous recommander la lecture de “Deschooling society”, qui a été improprement traduit en “Une société sans école”.

L’idée est toute simple: les enfants (comme les adultes d’ailleurs) ne se passionnent que pour ce qui les intéresse vraiment; ce qu’ils ont envie de faire (voir également pour ceci: Alexander S. Neill). Les agents de l’enseignement (généralement des adultes, mais ce n’est pas une règle) n’enseigneront jamais mieux que ce qu’ils maîtrisent avec plaisir. Enseigner de la géographie quand on aime l’histoire et vice-versa, ce n’est pas le grand pied. Faire de la chimie alors qu’on est prof de math, ce n’est pas toujours évident non plus. Il y en a qui aiment, évidemment. Il y en a qui n’aiment pas et à qui on ne demande pas d’enseigner ce qu’ils aiment.

Et puis il y a des adultes partout dans le monde qui seraient d’excellents profs, à qui des enfants adorent poser des questions… Mais ils ne sont pas disponibles parce qu’ils doivent travailler et parce que les gosses doivent aller à l’école…

Vous voyez où je veux en venir?

Interlude

Tuesday, January 15th, 2008

Ce qui est rare n’est pas toujours précieux

Un boucher végétarien,
Un boulanger allergique au gluten,
Un colonel poète,
Un fleuriste militariste,
Une strip-teaseuse conservatrice,
Un télévangéliste sincère,
Un artiste sans passion,
Une caissière optimiste,
Un islamiste tolérant,
Un président progressiste,
Un agriculteur urbain,
Une chanteuse-auteure-compositrice de droite,
Un hippie fascisant,
Un soixante-huitard en avance,
Un financier rêveur,
Une catholique sensuelle,
Une secrétaire anarchiste,
Une scientifique sans conscience,
Une enseignante pleine d’illusion,
Un prêtre amoureux,
Un Brésilien pressé,
Un patron communiste,
Un Don Juan triste,
Un journaliste indépendant,
Un protestant rationnel,
Une Juliette raisonnable,
Un enfant sérieux,
Un champion modeste,
Un écrivain impatient…

Place Laplace et autre

Thursday, December 20th, 2007

Quelques citations sympathiques:

« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, la position respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, elle embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers, et ceux du plus léger atome. Rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé seraient présents à ses yeux. »

…de Laplace, le même qui répondit à Napoléon ici:

« M. Laplace, on me dit que vous avez écrit ce volumineux ouvrage sur le système de l’Univers sans faire une seule fois mention de son Créateur ».
– Sire, je n’avais pas besoin de cette hypothèse-là.

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Un correspondant, Thibaud Sallé Phelippes de La Marnierre, est auteur des phrases suivantes que je trouve joliment tournées:

“Cet intégrisme anti-tabac est tout aussi toxique que la fumée secondaire. Mais le cerveau est sans doute un organe qui mérite moins notre compassion que les poumons.”


“Le seul croyant tolérable est celui qui le garde pour lui avec tant de discrétion qu’on ne le devine pas. Ça ne regarde personne, d’ailleurs.”

“Il faut rechercher l’équilibre entre les contraintes indispensables à la vie en société, et la liberté indispensable à l’individu.”