Archive for the ‘professions protégées’ Category

Priorités mal à droite

Thursday, April 30th, 2009

Je n’ai malheureusement pas vu le film de Paul Moreira sur le Dollaristan -entendez l’Afghanistan alimenté par l’héroïne traiditionnelle et la corruption financée par l’Occident-, mais j’en ai lu un petit compte-rendu dans le Canard Enchaîné du 22 avril dernier.

Parmi les nombreux flops rencontrés par le journaliste sur place, on compte celui des écoles prétendument réalisée par l’USAID ((organisme par ailleurs reconnu d’utilité publique par tous ceux qui ne supportent pas la vue d’un socialiste à moins de deux cent mille kilomètres, il est l’un des principaux organisateurs des troubles préputchistes dans de nombreux pays latino-américains, notamment.)) et dont le journaliste a pu vérifier la réalité:

“L’aide? dit le Principal. Ils ont construit un mur d’enceinte. Des toilettes. Les travaux se sont arrêtés là.”

De l’art de poser les priorités en matière scolaire: ce sont les murs qui encerclent l’école que l’on commence par poser, rien avant -et, ici, rien après.

-Maaaaaaiiiiiis, tu ne comprends pas: c’est pour éviter qu’on vole des trucs dans l’école qu’on commencer par les murailles.

Ben tiens: si vraiment on avait l’intention d’y accumuler des objets plus précieux qu’une règle en bois et un pot de craies de couleurs, ce ne sont pas les locaux qui risquaient de se servir sur la bête, mais bien les seigneurs de guerre qui règnent en maîtres absolus sur leurs petites portions de territoires -et, eux, ce ne sont pas des murs d’enceinte qui vont les arrêter.

Non, ceci est symptomatique de ce que, pour les autorités, pour l’idéologie dominante, représente ou doit représenter l’école: un espace clos, délimité, enfermé, détaché, soucieux d’enseigner, aussi bien aux enfants qu’aux parents, que les mondes productifs de savoir doivent être compartimentés, protégés, régulés, comme les mondes productifs de biens et de services, fondés sur la propriété et le profit.

Le parallèle avec l’usine et ses murs, le bureau et son service de sécurité, la prison aussi, est évident: l’école, loin de séparer l’enfant de la société, l’y intègre de force, le plonge dans la réalité de celle-ci, en lui en montrant ce qu’elle a de meilleur: l’enclosure.

C’est ainsi, chères têtes blondes, que vous produirez plus, plus vite et pour moins cher…

Ah, et en évitant de se bousculer dans les escaliers, s’il vous plaît…

Anniversaires, je vous hais

Thursday, April 16th, 2009

Sir Charles Spencer “Charlie” Chaplin aurait eu 120 ans aujourd’hui.

Ça m’amuse toujours de voir les commémorations effectuées par les médias dominants sur un personnage comme Chaplin qui, de son vivant, fut surtout critiqué pour son engagement politique (ambigu) et ses frasques conjugales et moins conjugales par les défenseurs de la loi et de l’ordre moral.

À nous, qui nous gaussons des anniversaires, de la Fox et des médias-qui-mentent en général, nous reste le souvenir du cinéaste et du résistant aux idées dominantes, d’un personnage hors du commun dans le monde du 7e art et des films parmi les plus importants jamais réalisés et joués.

Et ça nous suffit pour l’installer au sein de notre panthéon de mythes fondateurs…

Ça manque un peu, des rues Charlot, des écoles Charlie Chaplin, tiens. (voir post précédent)

Davos dei

Tuesday, February 10th, 2009

Selon une source on ne peut plus autorisée, à savoir le rapport Davos de début 2008, les États-Unis prennent la première place dans le classement des meilleures places financières, tirés par leurs performances en matière d’intermédiaires financiers principalement. Ses banques sont estimées les plus efficaces du monde, notamment dans le domaine des concentrations bancaires, des spread de taux d’intérêt ((C’est-à-dire dans l’exploitation des différences d’intérêts entre l’argent qu’elles empruntent et l’argent qu’elles prêtent.)) et des marges opérationnelles ((Ce qui est l’une des nombreuses manières de calculer le profit sans le faire, car ce chiffre se compose du chiffre d’affaires soustrait des charges d’exploitation, mais exclut tout ce qui est produits et charges financiers et exceptionnels. Si vous avez compris, tapez 8.)).

Quand le Forum Économique Mondial, qui se veut plus ou moins la voix de la vérité en matière économique et le porte-parole du capitalisme libéral à outrance, se plante aussi royalement, on ne peut, certes, que se réjouir, mais on doit aussi rappeler que
-l’ancien président du FMI ((Jusqu’en 1987.)), M. Jacques de Larosière, avait déclaré, l’année même de sa banqueroute, que l’Argentine était en très bonne santé économique et lui servait de modèle pour les autres pays ((Le discours prononcé remonte au mois de mars, alors que la crise qui abattra l’Argentine commencera au mois d’août 2001.));
-L’ONU ne fait pas mieux, qui disait juste un an avant la découverte de son insolvabilité totale (en octobre dernier), que l’Islande était le pays où il faisait le mieux vivre, en raison de sa grande stabilité financière, générée par la privatisation de la quasi-totalité de son activité ((Source: Piauí, janvier 2009. En raison de la catastrophe financière internationale, la confiance placée dans les trois grands investisseurs de l’île a disparu et les Islandais se sont retrouvés nus dans la rue, tel le roi de la fable: s’apercevant que leur “bien-être” reposait sur un vide économique.)).

Les voies des seigneurs sont impénétrables.

Les prévisions économiques, ce n’est guère une nouveauté, sont plus de l’ordre de l’astrologie que de la science.
En relisant des revues du début 2008, qui faisaient le bilan de l’année écoulée et se risquaient à quelques pronostics pour les douze mois suivants, je me disais que je pourrais peut-être m’installer, moi aussi, comme gourou dans une école de commerce ou comme grand prêtre d’une secte financière.

Au moins je gagnerais mieux que comme prof de langue, et je me sentirais plus valorisé: plus je dirais de bêtises, et plus on continuera à m’inviter dans les médias pour faire de mon nez.

53 “artistes” à rayer de vos tables

Wednesday, July 2nd, 2008

Etienne Daho, Christophe Maé, Kery James, Sinik, Francis Cabrel, Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman, Jenifer, Stanislas, Raphaël, M Pokora, Keren Ann, Thomas Dutronc, Eddy Mitchell, Isabelle Boulay, Maxime Le Forestier, Martin Solveig, Marc Lavoine, Calogero, Gérard Darmon, Pascal Obispo, Jacob Devarrieux, Elie Seimoun, Alain Bashung, Bernard Lavilliers, Rachid Taha, Bob Sinclar, Psy4delarime, Abd Al Malik, Anis, André Manoukian, Charles Aznavour, Alain Souchon, Mademoiselle K, Soprano, Arthur H, BB Brunes, Liane Foly, Emmanuelle Seigner, Ridan, Renan Luce, Zita Swoon, Johnny Hallyday, Empyr, Kenza Farah, Shine, Camaro, Diam’s, Renaud, Romane Cerda, Cali, la Grande Sophie et Cindy Sander.

Tous ces zozos ont signé une espèce de lettre ouverte aux méchants petits téléchargeurs de leurs oeuvres, ces pirates, ces pilleurs d’artistes, leur demandant d’arrêter de les écouter pour rien… Payez, immondes petits salauds…

Déçu par Lavillier, Bashung, Souchon ou Le Forestier que je croyais au-dessus de ça, tiens… Leur lettre soutient une loi de la ministre de la culture française qui vise jusqu’à priver les méchants pirates d’internet. On sait que cela ne touchera jamais les plus forts d’entre eux, mais de toute façon qu’importe: ces vieux placards de l’art “pour mineurs” ont semble-t-il oublié l’époque où l’on s’échangeait des cassettes recopiées… L’industrie du disque, déjà, ne devait pas s’en remttre, disait-on, ce qui s’avéra complètement faux, et la création musicale aboutit avec leurs splendides bénéfices à Jordy et la Star’Ac. Bref, que du bonheur…

L’argument hypocrite qui veut que les profits des gros propriétaires d’artistes permettent l’éclosion de sang neuf, donc, ne vaut même pas la peine qu’on s’y étale: le jour où les majors disparaîtront, les jeunes qui feront leur promo sur internet et sur des espaces d’affichages libres trouveront les moyens de faire des concerts géniaux dans des petites salles… Le jour où s’écrouleront également les grosses entreprises de spectacle, tous les artistes auront des possibilités plus ou moins égales de se faire entendre. Un grand pas vers la déprofessionnalisation des arts et du spectacles…

Ça rappellera le bon vieux temps où les Brel, Brassens et autres Piaf bouffaient de la vache enragée pour devenir ce qu’ils sont devenus… ça rappellera aussi Vian qui ne vivait pas de son art…

ça rappellera quand les chansons étaient chantées dans les rues, quand on en achetait les partitions et qu’on les apprenait par coeur pour les chanter ensemble… ça rappellera ce que c’est que l’art quand il n’est pas professionnel.

Rejoignez le groupe “électrocutez Cloclo deux fois” sur fessebouc et Orcutte…

Ce que j’entends par… déprofessionnalisation de l’enseignement

Tuesday, June 10th, 2008

Bon, alors je dois définir deux ou trois choses.
En rapport avec les articles qui ont suscité débat un peu plus tôt dans l’année (dans l’ordre: ce premier, ce second, ce troisième, ce quatrième, et ce dernier, qui étaient consacrés à l’enseignement).

Je commencerai donc par:
déprofessionnalisation:
Je n’entends pas “professionnalisation” comme beaucoup qui y placent la compétence, le savoir-faire, le sérieux et l’abnégation. Pour moi, toutes ces qualités ne sont pas le monopole des professionnels. Et donc, j’entends par déprofessionnalisation l’émancipation d’une activité productrice, créatrice ou enseignante de sa nécessité financière. Il existe des professions trop importantes pour dépendre de leurs autorités payeuses. Que ce soit l’État ou le capital privé ne change rien: l’intention de l’un étant de reproduire son propre pouvoir, de l’autre de conserver les structures sociales à son avantage (ce qui revient d’ailleurs au même), ni l’un, ni l’autre ne devraient être en mesure de décider pour la population non possédante et non dominante de ce qui détermine leur existence. Ainsi l’enseignement, la santé, la justice, ne devraient pas être à la disposition des plus forts (ci-identifiés les nantis et les gouvernants).

Concernant l’enseignement et l’État, justement:
Je lisais récemment un article dans le Caros Amigos sur l’élitisme à l’école, à São Paulo. Le gouverneur de l’État, un ancien gauchiste passé à l’ennemi (actuellement l’un des leaders du plus puissant parti héritier de la dictature), José Serra, veut promouvoir le paiement des professeurs en fonction des résultats scolaires des élèves.

En voilà une idée qu’elle est bonne.

Je veux dire: elle n’est pas logique? Nous avons, professeurs, une obligation de résultat, au fond…
Non?
Si… Nous avons une obligation de résultat. Mais nous ne devrions rendre des comptes qu’à ceux qui nous font confiance -pas à ceux qui conditionnent notre salaire à une série de prérequis qu’ils affirment démocratiques parce que leurs auteurs ont été prétendument élus…

L’enseignant professionnel est exposé, et pas seulement dans le cas brésilien évoqué ici, à la surveillance de son autorité consulaire (de “consul”, autorité suprême sous la république romaine, élu tous les ans démocratiquement, le plus souvent grâce à la somme investie par son parti). Il est donc soumis à son bon vouloir. Qui a vu le film (ou lu la bédé) “Persépolis” se rappelle, je suppose, du personnage de l’institutrice iranienne de l’héroïne qui, avant la révolution de 78′, fait l’éloge du Shah, sans discussion possible, et, après, le voue aux gémonies et fait sienne la loi qui veut que toutes les filles doivent se couvrir de la tête aux pieds.

Combien de professeurs sont prêts à enseigner à leurs ouailles que les colonies ont eu un impact positif sur les populations soumises? Je veux dire: des professeurs d’aujourd’hui, normalement avertis, qui savent, qui ont étudié récemment, qui ont mai-68, Charonne et autre guerre d’Algérie derrière eux, que le colonisateur n’est pas légitime et que, si leurs vies n’étaient pas parfaites, les peuples colonisés n’ont pas bénéficié de la présence occidentale. Combien de professeurs, si on leur impose demain d’enseigner le contraire, oseront risquer leur salaire?

Combien de temps a-t-il fallu pour que les mutineries de 1916-1917 ne soient plus vues comme des trahisons à la patrie au cours d’histoire? Pour que Paris s’arroge enfin une Place de la Commune?

Si nous devons toucher un salaire pour notre travail d’enseignant, nous mettons en jeu notre intégrité, notre sens critique, notre loyauté envers nos élèves et notre matière. Selon moi, c’est contraire à la vocation de l’enseignant (tout comme de l’assistant social, du journaliste, du médecin, etc.).

Voilà pourquoi l’enseignant ne peut pas être professionnel. Parce qu’il doit être libre et sans contrainte; l’enseignant, comme l’artiste ou le chercheur, ne sera certain de pouvoir faire un bon travail que s’il l’exerce en conscience et dans le respect ce qu’il fait, et de ce pour quoi et pour qui il le fait. Son revenu ne peut dépendre de son activité d’enseignant: il doit donc être libéré de la nécessité de respecter un contrat et donc être assuré du minimum vital sans devoir rendre de comptes sur l’objet de son enseignement.

Qui surveillera l’enseignant? Vous, camarades, pas l’État, en qui votre confiance est mal placée… Ni une officine privée qui n’aura pour but que de servir les objectifs de ses financiers.

Au boulot…

à venir: définitions de l’école et de l’auto-discipline.

professeurs protégés 2 -retour en arrière

Saturday, February 16th, 2008

Je ne voudrais pas que certains manquent la discussion qui se développe sur le post d’il y a maintenant une semaine: http://thitho.allmansland.net/?p=227

Vive l’école buissonnière (professeurs protégés 3)

Friday, February 15th, 2008

Suite de professeurs protégés 1 et 2 et de J’en saigne.

Plus on rencontre des gens, plus nous aurons la chance de trouver ceux qui compteront pour nous -et mieux vaut commencer tôt.

En primaire, la plupart des enfants ont entre trois et six professeurs (sans compter l’adjudant de la gym et le prof de religion-morale).

En secondaire, ce chiffre explose… Personnellement, j’ai eu 5 professeurs que j’ai trouvés réellement intéressants sur la quarantaine que j’ai dû avoir.

Ça fait peu…

Je pense à certaines rencontres que j’ai faites tardivement, de personnes intéressantes, vraiment, que je voyais une, deux fois, à l’occasion de souper à la maison, chez ma mère… de conversations fabuleuses avec telle amie de ma mère qui me fit découvrir ma romancière favorite ou avec tel autre type rencontré par hasard -et qui s’avéra être le frère de ma prof d’histoire -bien plus intéressant que la soeur…

Des personnes dont j’ai gardé le souvenir vague, mais qui n’avaient pas le temps matériel pour parler régulièrement avec un gamin de 14 ans…

J’ai eu la chance d’avoir des parents pas idiots -bien qu’ils m’aient laissé enfermé dans ma prison pendant 12 ans-: j’ai pleinement profité des vacances “vivantes” qu’ils m’ont offertes dans des camps de “sports-études” ou des quinzaines de cours de langue (dont une où je suis tombé amoureux pour la première fois -de ma prof d’anglais).

J’ai découvert les bibliothèques à l’âge de 6 ou 7 ans avec ma maman qui avait yoga juste à côté. Je suis resté abonné… Quand j’ai enseigné la morale à des gamins de 16 ans à Jemelle, je les ai emmenés dans la bibliothèque communale de Rochefort, pas mal du tout… C’était la première fois qu’ils y allaient -et c’était la première fois qu’un prof emmenait des élèves de mon école dans cette bibliothèque… Deux ont pris une carte ce jour-là… C’est toujours ça…

Quel travail, rien que de se rendre compte que les collègues vous laissent tout le travail…

Mais moi j’avais plus de temps, je n’étais pas pressé, je n’avais pas de voiture à payer, ni de famille, et encore moins de maîtresse… J’étais ouvert à la déprofessionnalisation de mon occupation, je pouvais facilement rester deux heures de plus à l’école pour ranger les pots de peinture avec mon collègue d’expression artistique, un gamin de 25 ans bourré d’enthousiasme qui a fait décorer les locaux immondes des préfabriqués de Jemelle par ses ch’tits élèves de 4e, 5e et 6e technique animation…

Dans la même école, j’ai donné plusieurs cours à l’extérieur -et ils me donnaient envie d’aller donner cours dans les bois pas loin, ou dans les champs, d’aller visiter la ferme où l’un de mes élèves travaillaient déjà en dehors des cours avec son père…

Je me souviens encore d’un prof de mon école -enfin, pas vraiment: un intérimaire qui refusait de se faire nommer quelque part.
Que de souvenirs avec lui! Des choses étranges, spéciales… Un cours près de l’étang du parc… Des leçons entières qui n’étaient que des dialogues entre quelques élèves et lui -qui se rendit compte que le programme, ben, il allait falloir s’asseoir dessus…

Mais quels heures extraordinaires passées sur Hugo, Baudelaire et Rimbaud!

Ça vaut tous les Lagarde&Michard du monde ça

Goliomitis, il s’appelait, tiens… Hommage… Un prof que j’ai eu trois mois à peine… Un congé de maternité…

professeurs protégés 2

Wednesday, February 13th, 2008

En suite de ceci
et cela, et malgré le peu d’enthousiasme qui a suivi en guise de discussion, je vais continuer à développer les raisons pour lesquelles la profession d’enseignant devrait être déprofessionnalisée.

Un horaire normal de prof, s’il veut pouvoir louer un appartement pas trop moche à Bruxelles, c’est entre 20 et 22heures de cours (quelques-uns de mes collègues du cycle inférieur totalisaient parfois 24 heures). Un instit’, ça grimpe encore un peu plus, sans compter les heures “hors cours” (surveillance, administration, logistique, réunions de collègues ou de parents, etc.) et bien sûr les préparations, corrections, …

Un prof, c’est un esprit qui ne se repose jamais de ses élèves. Carnaval, Toussaint, c’est bien trop court pour déconnecter. Pâques et Noël (quand on ne part pas en voyage scolaire), c’est tout juste assez pour recharger les batteries psychologiques au minimum… Il reste les vacances d’été, où l’on continue à penser à nos gamins pendant plusieurs semaines “après” et au moins pendant dix ou quinze jours “avant”…

(Notez que penser à nos gamins n’est pas désagréable en soi, mais c’est prenant physiquement, moralement et mentalement.)

Être prof, c’est un boulot à temps plein au sens où il est hardu de ne se concentrer sur nos garnements moins de 50 heures par semaine. Si certains enseignants ne se reconnaissent pas au moins en partie dans ce portrait, je ne suis pas sûr qu’ils font le même métier que celui que je faisais.

Malheureusement, tout ce temps où nous sommes en même temps que profs, éducateurs, flics, assistants sociaux, psychologues, gardiens de prison, spécialistes en électricité et en plomberie appliquées, et autres joyeusetés, nous avons parfois du mal à nous mettre au parfum de ce qui ferait de nous des profs plus modernes, plus frais, plus adaptés au système qui ne cesse d’évoluer. On nous fourgue bien des formations, mais j’en ai vues qui semblaient n’avoir guère évoluer depuis un moment. Ça doit être l’exception…

Difficile aussi de discuter progrès avec un inspecteur qui n’a plus enseigné depuis quinze ans. Ou avec un préfet qui pense à vendre son école plus qu’à la rendre conviviale.

L’enseignant est largement coupé de sa hiérarchie par les exigences du métier que lui comme elle défendent. L’enseignant est là pour enseigner à des jeunes; la hiérarchie est là pour s’assurer que la démocratie parlementaire ait de longs et beaux jours devant elle.

Est-ce que j’exagère? Sûrement, notamment parce que nombre de mes collègues se satisfont, sinon de leur sort, du moins du rôle qui leur est attribué -si seulement ils pouvaient recevoir une plus grande part de dessert, ça serait parfait. Mais de nouveau on n’est pas dans la même perspective. Certains de mes collègues sont là pour faire “là où on leur dit de faire”. Les profs idéalistes, ceux qui sont repris dans les films avec plus ou moins de bonheur (Ça commence aujourd’hui étant sans doute un des tous meilleurs), ne sont pas si bien vus que ça dans la réalité. Surtout par leurs collègues.

L’école telle que nous la connaissons fut un progrès. Il fallait la faire. Il faut admettre qu’elle ne l’est plus et qu’il faut repenser l’enseignement.

L’enseignant n’a pas le temps d’être tout ce qu’il doit être en plus d’être un animal social. De nombreux collègues autour de moi travaillaient alcooliques, désillusionnés, dépressifs, divorcés, solitaires, avec un matériel vieux de dix ans, et parfois tout cela à la fois.

Un enseignant, dans la vision romantique, c’est quelqu’un qui a le temps de faire de beaux supports, de belles préparations, quelqu’un qui parvient à répondre à ses élèves quand ils veulent voir quelque chose qui sort du programme… Plein de belles et jolies idées.

J’en connais qui… et moi aussi, je m’y efforçais. Mes élèves me titillaient régulièrement pour qu’on sorte du programme -que je n’ai pas souvent fini. J’essayais de rendre le latin amusant et moderne en comparant un discours de général romain avec celui d’un président américain, par exemple. Pas évident tous les jours, le cours de latin… Plus facile était le cours d’histoire. Plus libre encore, le cours de morale…

Mais, bref, le rythme de travail que je m’imposais pour arriver à intéresser mes bambins entravait ma vie sociale et ma vie affective. Sans parler de ma vie militante…

Ce que je remarque, c’est que le professeur a besoin d’étendre son horizon pour parvenir à le ramener en classe. Et pour ça, il manque quelque chose à une grande quantité de mes collégues…

À mon sens, diminuer le temps de travail des profs (ce qui n’arrivera pas), les payer mieux (ce qui n’est pas à négliger, mais qui n’aidera pas), mieux les encadrer (ce qui me fait rire à l’avance) ou leur prémâcher les préparations (ce qui n’amènera pas d’enthousiasme en classe, car on ne peut pas porter la passion d’un autre) ne sont pas des solutions au problème.

Le problème, c’est le cloître, c’est la boîte, c’est l’entreprise…

Le problème, c’est l’école en tant que lieu de professionnalisation de l’enseignement.

Un des grands penseurs de cette idée, c’est Ivan illich, dont je ne peux que vous recommander la lecture de “Deschooling society”, qui a été improprement traduit en “Une société sans école”.

L’idée est toute simple: les enfants (comme les adultes d’ailleurs) ne se passionnent que pour ce qui les intéresse vraiment; ce qu’ils ont envie de faire (voir également pour ceci: Alexander S. Neill). Les agents de l’enseignement (généralement des adultes, mais ce n’est pas une règle) n’enseigneront jamais mieux que ce qu’ils maîtrisent avec plaisir. Enseigner de la géographie quand on aime l’histoire et vice-versa, ce n’est pas le grand pied. Faire de la chimie alors qu’on est prof de math, ce n’est pas toujours évident non plus. Il y en a qui aiment, évidemment. Il y en a qui n’aiment pas et à qui on ne demande pas d’enseigner ce qu’ils aiment.

Et puis il y a des adultes partout dans le monde qui seraient d’excellents profs, à qui des enfants adorent poser des questions… Mais ils ne sont pas disponibles parce qu’ils doivent travailler et parce que les gosses doivent aller à l’école…

Vous voyez où je veux en venir?

à toi dont le nom m’échappe…

Sunday, January 27th, 2008

L’enseignement est une activité qui, exercée dans des conditions agréables pour l’apprenant et pour l’enseignant, est sans doute l’une des plus enthousiasmantes qui soient.

Malheureusement, rien n’est simple, et les obstacles à ces conditions sont nombreux.

Les difficultés matérielles, d’abord. Ce qui ne signifie pas que les profs soient particulièrement mal payés (en tout cas en Europe). S’ils ne roulent pas sur l’or (et même, dans certaines conditions, s’ils ont du mal à joindre les deux bouts), il s’agit d’une classe sociale qui bénéficie de certaines facilités par rapport à beaucoup d’autres. Mais les difficultés matérielles sont d’autres ordres: l’école est souvent pauvrement équipée de matériel inadéquat, vieillissant, rébarbatif et inadapté; les locaux répondent le plus souvent à des patrons (sic) qui remontent à une époque où l’enseignant était appelé maître et où l’élève avait essentiellement le droit de se taire; les écoles elles-mêmes sont soit des immeubles du XIXe siècle qui ressemblent plus à des casernes qu’à des lieux prévus pour les mômes, soit des bidules préfabriqués, sans caractère et où il fait froid l’hiver, où l’on habitue l’élève à sa future précarité d’emploi (ça et le turn-over des profs et des élèves, on ne fait pas mieux comme initiation au monde du travail).

Et puis, il y a l’école comme institution. Avec ses préfets, proviseurs, surveillants (ex-pions, désormais éducateurs), horaires, règlements, limites, murs, barreaux, vérifications, autorisations, interdictions, codes, portes fermées, accès limités, etc. Comme esprit bourgeois, c’est gratiné. L’apprentissage de la première des libertés -la sécurité des biens- y est bien intégrée. Celui de la hiérarchie également. De l’autorité. De l’ordre. De la place de chacun. Ein, zwei…

Enfin, il y a les contenus des cours, les contraintes d’apprentissage, les cadres, les paliers, les examens, les contrôles, les obligations de présence, les mesures disciplinaires, et les contre-mesures en cas de révolte, mais surtout, il y a la nécessaire sacralisation du professeur -dans la plupart des cas-, qui doit rester distant, ne pas devenir l’ami ou la grande soeur, le substitut du père ou de la mère, dont certains enfants ont souvent besoin… Si, si…

Bref, il y a une terrible inadéquation entre l’enfant de la société d’aujourd’hui, avec ses fragmentations et ses inhumanités, et l’école. Je ne dis pas “et le prof”, mais bien “et l’école”. Le prof, lui, il choisit entre l’élève et l’institution. S’il choisit la seconde, il perd le premier, parce que l’élève, alors, le tuera -au moins symboliquement- et il aura raison: le prof devient le représentant de cette société qui est en train de l’assimiler, d’en faire un consommateur-producteur plus qu’un citoyen (même s’il existe évidemment des programmes de citoyenneté, qu’on enveloppe dans des paquets cadeaux, tout creux, tout vides).

S’il choisit l’élève, le prof se met automatiquement en danger: “Je vous rappelle que c’est encore l’État qui vous paie” pour faire ce qu’on lui dit de faire, là où on lui dit de faire… Si l’instinct du prof lui dit que l’ordre venu d’en haut est contraire à l’intérêt de l’enfant, il a donc le choix entre… rien du tout, en fait, parce que même s’il choisit l’intérêt de l’enfant, l’autorité trouvera le moyen de passer outre. Et lui, entre-temps, aura été remercié. Au mieux.

Athénée Royal.

J’ai vécu cette situation à bien des reprises, mais la plus marquante fut une histoire à l’Athénée Jules Bordet. Je me souviens que c’était en hiver… Début 2001…
Bordet, athénée royal fondé en 1831, dans un immeuble du XVIIIe siècle. Le symbole de l’inadéquation à la Bruxelles du XXIe Siècle par excellence. En tout cas à ses enfants. Un établissement où la toute grande majorité de mes élèves était au cours de religion islamique. Des enfants souvent hyper-attachants, de terribles défaillances affectives et sociales dans de nombreux cas, des sourires merveilleux par moments, des colères noires et des conflits terribles trop souvent…

Je me souviendrai très longtemps de Souhaib, de Valérie (d’origine congolaise comme son nom ne l’indique pas), d’Angélique (rwandaise), de Tao, de Nabela, du sourire ensoleillé d’un élève dont un des copains me dit un jour qu’il ne souriait que lorsqu’il entrait dans ma classe…

Bref, un endroit que je n’oublierai pas non plus, avec ses salles de cinq mètres de haut, ses estrades, ses murs gris, qu’il nous fallait décorer nous-mêmes (j’y avais apposé des affiches anars, évidemment), ses lampes au néon, sa cour centrale sans arbre, sa concierge italienne et ses cuisinières magiciennes (la meilleure nourriture de cantine que j’ai connue).

À toi…

Un jour, un de mes élèves menace une éducatrice. Il est convoqué dans le bureau du préfet (faisant fonction) et, après une enquête rondement menée, où la culpabilité du gamin ne fait aucun doute (l’éducatrice par ailleurs est une personne très gentille et lui-même reconnaît la menace), le préfet décide de faire un exemple et d’expulser le gamin. Pour pouvoir le faire au plus vite, il a besoin de l’accord de tous ses enseignants.

Le lendemain midi, ils sont convoqués dans le bureau du prof et signent tous l’arrêt d’expulsion du gamin.

Tous sauf un.

Était-ce voulu? Ils ne m’avaient pas trouvé, me diront-ils. Ils n’ont pas dû me chercher beaucoup, puisque j’étais dans ma classe, comme d’habitude… Quand ils m’alpaguent enfin, la pièce est jouée, tous mes collègues, têtes plutôt basses, les yeux sombres, pas fiers, me regardent et écoutent, comme moi, le préfet m’expliquer que ce serait mieux pour tout le monde que je signe aussi, que c’est important pour la cohésion de l’école, sa survie, tout ça… Que c’est important pour l’éducatrice que nous montrions notre solidarité…

Mais dans ma tête, il y a les jours précédents, les semaines précédentes, l’année précédente que j’ai passée déjà avec lui. Élève médiocre, mais qui réussit toujours à passer par la petite porte en cours général, section scientifique, avec un ou deux ans de retard. Un élève un peu obtu, pas très fûté, mais qui s’intéresse à ma voix quand j’aborde des sujets qui le touchent. Il faut dire que, de ce que je comprends assez vite, il suit régulièrement les prêches ou les enseignements post-scolaires d’une autorité islamique quelconque. Quand on aborde des points politiques qui se rapportent à Israël, au pétrole, à l’Amérique, au rôle des religions, ses yeux s’agrandissent et il me regarde avec beaucoup d’intérêt. Généralement, il ne disait rien le jour même, parfois il posait une question. Mais, au cours suivant, il arrivait avec des objections auxquelles je ne m’attendais pas. Jamais je n’ai été réellement mis en difficulté, mais il était facile de comprendre que les arguments qu’il me donnait n’étaient pas de lui. Comme ce n’était pas un amoureux de la lecture, c’était fatalement d’une source “alternative” qu’il puisait son inspiration. Et ses phrases étaient étonnamment bien tournées.

Nous parlions parfois jusqu’à la station du pré-métro Anneessens. Il m’a même invité à venir parler avec son imam. C’est là que je me suis dit que j’avais un adversaire, le bonhomme sachant que mon élève me trouve sympathique. La partie sera difficile…

Le grain et l’ivraie.

J’aimais retrouver cette classe d’élèves peu nombreuses, presque tous d’origine maghrébine, participatifs, rarement agressifs, pas loin de la fin de leurs études; ils sentaient qu’à mon cours, une certaine liberté de parole leur était donnée et qu’ils pouvaient en profiter. Je n’étais pas le seul prof à discuter avec eux, mais, par contre, sur la matière du cours, mes collègues hésitaient. Résultat: j’avais du mal à aller au bout du programme, mais nous allions à fond dans les sujets abordés.

Bref, mon bonhomme était en pleine crise personnelle. Pas beau, pas du tout scolaire et pas spécialement fûté, bien bronzé, il avait toutes les chances de n’en avoir aucune à la sortie de sa rhéto.

C’est tout cela qui m’est passé par la tête lorsque le préfet m’a enjoint de signer ce papelard où je distinguais avec dépit les noms de mes deux amis, la prof de bio et le prof de néerlandais, qui n’osaient pas me regarder.

Je pensais tout haut: “On va le livrer à cet imam.”

Et le préfet ne savait pas quoi me dire d’autre sinon me répéter les mêmes conneries.

Je suis resté une heure en compagnie de mes collègues. Les éducateurs (dont la jeune femme agressée verbalement) ont dû surveiller nos classes pendant que je tremblais de rage et d’angoisse.

Mes collègues s’y sont mis aussi. Le péremptoire prof de math que personne n’ose contredire bien qu’il ne cesse de dire des bêtises, le délégué syndical, sympa, souriant, mais vieux système… Et de toute façon, le préfet s’était arrangé pour que le môme ne puisse pas terminer l’année ici; mieux valait qu’il parte tout de suite, disait-il.

Une heure, j’ai mis, pour signer… Car j’ai signé…

Quand je suis rentré chez moi, ma petite amie de l’époque craignait que je ne sois tombé malade. Elle ne m’a jamais vu aussi blanc… Ni aprés mon tabassage en rue, ni après les manifs du sommet de Bruxelles…

Un prof ne devrait pas être lié à son autorité de cette manière. La solidarité entre collègues? Bien sûr qu’elle existe, mais elle ne devrait pas prévaloir à notre public; nous ne sommes pas là pour nos collègues ou, pire, pour notre “employeur”, l’État.

Notre responsabilité, notre véritable employeur, c’est le gosse qui est là, devant nous.

Ceci est la première raison pour laquelle je crois que nous devons être amateurs. Parce que nous devons être indépendants de ce “pouvoir organisateur”, de ce maître chanteur qu’est le pourvoyeur de fond. À suivre…

À toi, dont le nom m’échappe…

“J’aime les militaires”

Thursday, January 17th, 2008

C’est pas moi qui le dis, c’est cette information:

Je cherchais des infos sur les Invalides (et surtout des photos pour illustrer un cours), lorsque je suis tombé sur l’annonce d’une exposition sur les costumes de l’armée. Bon, passe encore, on fait bien des memoranda sur Auschwitz ou la bombe atomique… Mais de là à l’annoncer avec autant d’amour…

Cela dit, il s’agit plus d’une expo sur les costumes d’inspiration militaire et qui ont été utilisés au théâtre ou à l’opéra.

Le coup de pub est réussi: j’ai eu l’oeil choqué, donc attiré par la chose. Le communicant est donc efficace; il ne faudra pas oublier de l’identifier et le pendre avec les tripes du dernier patron le soir du grand jour -ou le jour du grand soir, c’est du kif.