Joseph STIGLITZ, Freefall. Free Markets and the Sinking of the Global Economy, Allen Lane, Londres, 2010.
Compte-rendu en trois parties.
La première était consacrée à l’auteur et à un exposé général sur le livre;
La deuxième reprenait ses apports;
La troisième revient sur quelques points remarquables concernant ce livre, l’économie et les tenants du libéralisme en général, mais aussi sur les critiques que l’on peut faire à ce livre.
3e partie
Le travail de Stiglitz ne manque pas d’impressionner par la masse efficace des informations qu’il présente dans un format relativement réduit (moins de 300 pages, plus soixante de notes), auquel il ne manque qu’une bibliographie récapitulative pour satisfaire notre goût de la systématisation. L’exposé est académique, mais pédagogique, et son vocabulaire n’est pas imbuvable. Il prend régulièrement le temps d’expliquer ce dont il parle.
L’avantage du lecteur de Stiglitz est aussi qu’il sait exactement d’où il part: Stiglitz annonce la couleur dès la préface (il y annonce qu’il est de l’école de Keynes et qu’il compte bien la défendre), mais aussi dans ses remerciements où apparaissent les noms de Nouriel Roubini, Paul Krugman, Georges Soros, ainsi que d’éminents personnages issus de la Banque Mondiale, du FMI, de diverses administrations et de grandes banques ((Voir p. xxvii et suivantes.)).
C’est bien le capitalisme que Stiglitz veut sauver, et non établir une éventuelle utopie, socialiste ou autre ((Il est d’ailleurs l’auteur d’un livre entièrement consacré au communisme dans le but de le discéditer.)).
Ce à quoi on aurait pu moins s’attendre de sa part, ce sont tous les arguments à la limite de la métaphysique qu’il emploie.
C’est sur ces bases qu’il justifie notamment la nécessité de la croissance. Exemple, p. 53: “to get unemployment back to normal levels will require sustained growth in excess of 3 percent.” ((“ramener le chômage aux niveaux antérieurs nécessitera une croissance soutenue supérieure à 3%.” Voir aussi p. 29 et 225.)) Rien ne vient le justifier, ni le chiffre lui-même, ni surtout le principe même de la nécessité de la croissance.
Dans le même ordre d’idée, Stiglitz critique la main invisible du marché ((“there is little reason to believe that the market can correctly calibrate its response”, “il y a peu de raison de croire que le marché puisse calibrer correctement sa propre réponse” p. 140, par exemple. En quoi, d’ailleurs, un concept aussi abstrait que “the market” pourrait avoir la moindre capacité d’initiative?)), mais il estime que “quelqu’un” doit décider où l’argent devrait être investi pour apporter le plus grand bénéfice possible à la société: “Money should be targeted, going to where it will most stimulate the economy.” ((“L’argent devrait être dirigé, envoyé là où il stimulera le plus l’économie.”, P. 133.))
En outre, bien que critiquant les décisions “de Wall Street” et “de l’administration” étatsunienne, il insiste sur la nécessité de restaurer la confiance dans le monde financier et dans le gouvernement, puisque c’est à eux qu’il veut à nouveau confier le sort du monde ((Ceci est notamment le fait des quatre derniers chapitres.)).
Par moments, ses contradictions éclatent de manière plus évidentes. Alors qu’en page 205, il affirme que “21st century capitalism is different from 19th century capitalism” ((“Le capitalisme du 21e Siècle est différent de celui du 19e.”)), ce qu’il n’argumente guère qu’en terme de taille et d’explosion technologique, non sur le plan idéologique, un peu plus loin ((P. 207.)), il affirme “Bubbles and their consequences are here in the 21st century as they were in the 18th, 19th, and 20th.” ((Les bulles and leurs conséquences sont au 21e Siècle comme elles étaient aux 18e, 19e et 20e Siècles.”)) Mais dans la même page, il insiste sur le fait que “The old rules, whether they worked, are not the right rules for the twenty-first century.” ((“Les vieilles règles, qu’elles aient fonctionné ou non, ne sont pas les bonnes pour le 21e Siècle.”)) On en a la tête qui tourne.
Dans la série des actes de foi, on note aussi que Stiglitz s’imagine que les pays ne pensaient, pendant la crise, qu’à leur propre bien être ((P. 210.)). Depuis quand les pays pensent-ils? En réalité les dirigeants de chaque Etat n’avaient pas du tout à coeur les intérêts de leurs nations, mais bien du système financier qui leur était le plus proche, et d’eux-mêmes surtout.
Sans plus argumenter, Stiglitz nous assène quelques vérités toutes faites, comme “Democracy and market are essential to a just and prosperous world” ((“La démocratie et le marché sont essentiels à un monde juste et prospère” P. 226. On se demande comment, après une telle phrase, certains de ses contradicteurs parviennent encore à l’accuser de socialisme.)). Certes, à sa décharge, il n’imagine pas d’autre alternative au marché que celle des vieilles badernes soviétiques, mais on aurait aimé un minimum d’arguments nous en convainquant.
Une de ses plus jolies phrases se trouve à la page 245:
There is no basis to the argument that because governments sometimes fail, they should not intervene in markets when the markets fail-just as there is no basis to the converse argument, that because markets sometimes fail they should be abandoned. ((“Il n’y a aucune base à l’argument selon lequel, parce que les gouvernement se trompent parfois, ils ne devraient pas intervenir sur les marchés quand ceux-ci échouent -de même qu’il n’y a aucune base pour l’argument contraire, selon lequel les marchés, parce qu’ils échouent parfois, devraient être abandonnés.”))
Si Stiglitz est lui-même empreint de certitudes et d’axiomes proches de l’acte de foi ((Et son vocabulaire en fait souvent témoignage. Il utilise fréquemment des expressions telles que “This is not the way economies are supposed to work” “Ce n’est pas comme ça que l’économie est censée fonctionner” (p. 3); “in economics, you have to run to stay still” “selon les règles de l’économie, vous devez courir pour conserver l’équilibre” (p. 63, où Stiglitz manque manifestement de la moindre imagination quant à des alternatives de fonctionnement socio-économique); “Of course, things are far better than if the opposite tactic -do nothing- had been taken” “Naturellement, les choses sont de loin meilleures que si la tactique opposée -ne rien faire- avait été choisie” (p. 135, un argument que j’aurais aimé développer, mais le compte-rendu est déjà kilométrique); “in my judgment”, “risks”, “the chances”, “the assumptions”, “No one knows for sure…”; “I suspect”, “So be it” (p. 159), “cannot be trusted”, “acts as they should”, etc. On se croirait à un séminaire pour cadres supérieurs.)), il faut remarquer qu’il nous aide beaucoup à décrédibiliser ses propres concurrents capitalistes, les néoclassiques, qui, eux aussi, assoient leurs théories sur de véritables croyances ((Voir à cet égard les pages 238 et suivantes, dans le chapitre “Reforming economics”. La “bataille des idées” que Stiglitz présente est véritablement une “bataille de détails” capitalistes.)). Il va jusqu’à prêter à ces derniers des termes comme “cathedral”, “chapels”, “devoted”, “priests”, “catechism”, “beliefs”, etc. Arguments certes rhétoriques, mais tentants. On préférera cependant ses arguments plus rationnels.
Un autre défaut de Stiglitz, c’est sa très profonde naïveté, à moins qu’il ne le soit que faussement dans un but pédagogique, mais ceci reste fort obscur. Dès le début, Stiglitz semble oublier les bases mêmes du capitalisme libéral. Il imagine que les “concepteurs des hypothèques”, s’ils s’étaient “centrés sur les fins” (de leurs produits, à savoir aider au financement de maisons par leurs nouveaux propriétaires), “plutôt que sur comment maximiser leurs revenus, ils auraient pu créer des produits qui aurait augmenté la propriété immobilière de manière permanente” ((P. 5: “had the designers of the mortgages focused on the ends (…) rather than on how to maximize their revenues, then they might have devised products that would have permanently increased homeownership”. Je pourrais encore citer cet autre passage d’anthologie: “That’s not the way market is supposed to behave. Markets are supposed to allocate capital to its most productive use” “Ce n’est pas comme ça que le marché devrait se comporter. Les marchés sont censés placer le capital là où il a l’utilisation la plus productive” (p. 80).)). Il attend par ailleurs des politiciens qu’ils se vouent à l’amélioration d’un futur plus ou moins lointain ((P. 26, par exemple.)), alors que les perspectives maximales de ceux-ci résident tout au plus dans les prochaines élections ou dans leurs intérêts propres ((Et de voir, p. 51: “Wherever Obama’s heart might lie, his actions at least appeared to side too closely with the interests of Wall Street” “Où que soit le coeur d’Obama, ses actions pour le moins paraissent bien trop proches des intérêts de Wall Street”. Si l’on doit imaginer que Barack Obama, tel un Jimmy Carter trente ans plus tôt, a l’âme et l’esprit purement tourné vers ses concitoyens et leurs intérêts, on peut se demander, dans un cas comme dans un autre, comment ils peuvent s’être si mal entourés de représentants des grands capitaux et des grands intérêts militaro-industriels.)).
“How could the (US) administration say (…) that the banks are too big to fail – indeed so big that the ordinary rules of capitalism are suspended (…)”, s’étonne-t-il, p. 49 ((“Comment l’administration étatsunienne peut-elle dire (…) que les banques sont trop grandes pour faire faillite -et si grandes que les règles ordinaires du capitalisme en sont suspendues (…)” Mais, p. 111, il reconnaît la logique de l’association Administration-Pouvoir financier.)). En quoi, M. Stiglitz, les règles du capitalisme se sont-elles interrompues? Bien au contraire: ces entreprises “trop grandes pour faire faillite” se sont appuyées sur tout leur capital, y compris celui de leurs relations politiques, pour en tirer des intérêts, c’est-à-dire bénéficier d’un sauvetage venu tout droit des poches des contribuables. Il n’y a sans doute rien de plus capitaliste, ni même de plus libéral que cela. À partir du moment où vos “fonds de liquidité” comportent également quelques “têtes d’oeuf” bien placées dans les gouvernements, il est dans la logique du marché d’utiliser tout votre “crédit” pour vous renflouer.
Après l’administration, c’est la banque qui bénéficie chez Stiglitz d’une vision quasi-angélique, peut-être plus dans le passé que dans le présent ((P. 81.)). Il est certes évident que toutes les banques n’ont pas développé des innovations similaires aux “securitizations” qui ont provoqué la bulle de l’immobilier, mais nombreuses furent celles qui, sans les avoir utilisées directement, y ont placé leur argent (ou plutôt l’argent qui leur avait été confié), parfois de manière naïve, souvent par souci d’imitation, mais jamais par esprit de bon samaritain ((Stiglitz essaie de raisonner avec toutes les banques, car si elles sont TOUTES raisonnables, tout le monde s’en sort. Mais si quelques-unes agissent de manière irrationnelles, tout le monde tombe: p. 100-101.)). Stiglitz essaierait-il de nous faire croire que Dickens a inventé de toute pièce le personnage de Scroodge, sans avoir eu le moindre modèle? Que la spéculation financière n’existe pas depuis très longtemps?
Il y a, indubitablement, chez Stiglitz, quelque chose de “bon”: il a le désir de trouver une solution, à l’avenir, qui permettrait de sauver les maisons et leurs propriétaires sans renflouer les méchantes banques ((p. 99-100.)). Mais, par la volonté consubstantielle de sauver le capitalisme dans le même temps, on ne peut que souligner une fois de plus une forme d’ingénuité que je qualifierais pour le moins de maladive, peut-être même de dangereuse. Ainsi ose-t-il affirmer que “No one gains from forcing home owners of their homes” ((“Personne n’y gagne à forcer les propriétaires de leurs maisons à les quitter” P. 102.)). C’est d’autant plus curieux que, quelques pages plus tôt, il semblait être resté lucide: “Only the mortgage speculator gains” dans ce genre de cas ((Seul le spéculateur sur l’hypothèque y gagne” P. 96.)).
Stiglitz attribue un rôle au secteur financier qu’on pourrait presque qualifier de subalterne: “The success of the financial sector is ultimately measured in the well-being that it delivers for ordinary citizens” ((“Le succès du secteur financier est mesuré en dernière instance par la bien-être qu’il offre aux citoyens ordinaires” P. 112.)); “That is why when firms maximize profits, they also, ideally, maximize societal well-being” ((C’est pourquoi, lorsque les firmes maximalisent leurs profits, elles maximalisent également idéalement le bien-être sociétal” P. 151.)); “a robust financial sector (is) the source of most job creation” ((“un secteur financier robuste (est) la source de la plupart des créations d’emplois” P. 192.)); etc. Selon lui, le secteur financier doit être au service du secteur économique réel. Par ailleurs, il est tout aussi naïf de penser que les marchés peuvent apprendre de leurs erreurs ((P. 147.)). Les acteurs du marché utiliseront toujours toutes les limites, quitte à les dépasser d’ailleurs, qu’ils auront à leur disposition pour accroître leurs gains. Augmenter ou diminuer le nombre de règles dans le système capitaliste, que cela se fasse à l’échelle d’un pays ((Stiglitz ne voit pas de justification économique pour que le système de taxation privilégie la spéculation sur l’entreprise (p. 181): il faut croire qu’il n’a rien compris au principe de la concurrence fiscale entre les Etats. Ce n’est pourtant qu’une extension des “avantages comparés” de Adam Smith. Si un avantage fiscal apparaît dans un pays, par rapport à ses voisins, par exemple, il est évident qu’il va attirer automatiquement une grande quantité d’investissement. Ainsi, l’absence d’impôts sur la fortune en Belgique, ou le système bancaire suisse, ou la faiblesse des taxes entrepreneuriales en Irlande.)) ou de l’ensemble de la planète n’a guère de conséquences sur la moralité de ces acteurs. D’ailleurs, ni Smith, ni Ricardo ne remettent en question cette absence de moralité. La flexibilité des agents du marché, leur capacité à trouver des failles géographiquement, juridiquement, temporairement, circonstanciellement, leur permettra toujours de trouver des moyens de “se servir sur la bête”.
Stiglitz en appelle à la transparence ((Notamment p. 174, mais c’est un leitmotiv de son oeuvre.)), à une action dévouée de l’administration étatsunienne (et des autres pays), à une espèce de prise de conscience tournée vers l’idée qu’un secteur financier sain, dirigé vers un secteur économique sain, concentré vers le bien-être de la population, pourrait sauver le capitalisme et l’économie de marché. Pourtant, il s’expose à un contre-sens qu’il introduit lui-même dans son livre. Il dit, p. 166, que la crise immobilière qui a failli plonger le monde dans un chaos tel qu’on a frôlé le retour de la grande dépression de 1929, n’est le fait que d’une minorité d’agents financiers (banquiers, traders, agents immobiliers, agences de notation), que la plupart des autres ont joué le jeu correctement, travaillent réellement en conscience de leur rôle dans l’économie en général. Imaginons un instant que cela soit vrai, et nous voici dans un véritable paradoxe. En effet, si cette majorité d’acteurs avaient réellement bien fait leur travail, ils auraient manifestement été plus persuasifs que les “rotten apples” et attiré plus de moyens de leurs côtés de telle sorte que la crise n’aurait été que marginale. Ne devrait-ce pas faire partie de la loi du marché, que de voir s’imposer les meilleurs produits?
D’autre part, si c’est vraiment le cas, et sachant que la crise n’est partie ici que d’un secteur de l’économie d’un seul pays, aussi grand soit-il, on en vient à penser que l’économie de marché est décidément bien fragile pour avoir frôlé une telle catastrophe par le biais d’une poignée de salauds (au sens sartrien du terme) et sachant d’ailleurs que les mêmes (ou d’autres) tentent encore de jouer “à la baisse” sur l’économie de plusieurs pays (comme les PIIGS), au vu et au su de tous, simplement parce que, et bien, le système le permet, et qu’il faut bien se refaire ou arrondir son magot. Une fois de plus, les lois du marché semblent en contradiction avec la réalité qui a failli le plonger dans la plus grave crise de ces 70 dernières années.
L’un des problèmes principaux de Stiglitz, c’est qu’il en vient à réclamer une pensée collective, voire collectiviste, avec des prémisses individualistes ((P. 194 ou p. 235: “The US should, in particular, do what it can to strenghten multilateralism” “Les USA devraient en particulier faire leur possible pour renforcer le multilatéralisme”. Je suppose qu’il y a du Lenny Bruce chez Stiglitz: il faut sans doute rire après une telle assertion.)). Il craint d’ailleurs que les premières victimes de la crise de l’économie de marché n’en viennent à être le libéralisme lui-même et la démocratie ensuite ((P. 225.)). Pourtant, j’ai beau chercher, je ne vois (malheureusement) que très peu d’opposants au marché au pouvoir dans le monde. Même en Chine, le marché est bel et bien là, sans aucune discussion possible. Quant à Cuba ou à la Corée du Nord ((Que je suis loin de mettre dans le même sac.)), leurs tailles, leur importance globale ne peuvent tout de même pas servir d’épouvantails crédibles et sont loin de pouvoir prétendre à une remise en question réelle de ce qu’est le marché libéral et capitaliste…
Au total, enfin, après avoir régulièrement tapé sur l’Etat pour son rôle dans la crise, il en vient à lui attribuer un rôle déterminant dans sa résolution, mais surtout dans la remise sur les rails de l’économie de marché (régulé) dans son ensemble ((Voir notamment p. 196-200 et p. 207 et plus haut dans cet article.)). Par ailleurs, il réaffirme sa confiance dans le FMI, simplement parce qu’il apprécie la figure de Dominique Strauss-Kahn ((P. 215.)), en dépit des évidences de justices sélectives qu’il pointe lui-même, prenant les exemples de l’Islande et du Pakistan.
Une dernière chose avant de conclure ce compte-rendu concerne une étrange remarque de Stiglitz sur le marché, ses acteurs, et leur supposée irrationnalité. Il développe, au cours du chapitre neuf, ses propres idées concernant l’économie et son étude, ironisant sur le fait que cette dernière en apprend plus sur celui qui étudie l’économie et ses croyances que sur l’économie elle-même. Il nous apprend aussi que les études sur le marché ne peuvent que nous enseigner sur le passé, car, à chaque génération, l’expérience perd toute sa valeur.
S’enfoncer dans ce type d’assertions semble indiquer:
-D’une part, qu’on ne peut pas faire plus confiance à un économiste qu’à un autre pour résoudre des problèmes, et toute théorie peut être aussi bonne qu’une autre;
-D’autre part, que Stiglitz confond rationalité en général et rationalité face au marché; à partir du moment où le marché, par souci de non-transparence (en ce que, comme Stiglitz le montre lui-même, les tenants du marché ne le veulent pas transparent pour rendre leurs profits plus importants), est trompeur, les acteurs du marché ne sont rationnels qu’en fonction de ce qu’ils savent et paraissent donc irrationnels aux yeux de qui possède d’autres informations qu’eux;
-Enfin, et c’est peut-être le plus important, à partir du moment où l’économie de marché pose autant de problème à son étude, à ses consommateurs, à ses producteurs, et même à ses exploiteurs, qu’elle n’est ni prédictible, ni analysable de manière scientifique, que l’expérience ne peut y être valorisée efficacement ni transmise, qu’il est évident que le succès y est plus aléatoire que véritablement fondé sur le mérite (si tant est que ce mot signifie quelque chose), il me paraît clair, en conséquence, qu’un système plus rationnel, basé sur la connaissance, la sagesse, la lenteur, la démocratie, l’horizontalité serait, et de loin, plus appréciable au niveau humain, à la fois collectif et individuel, que l’économie de marché qui, finalement, apporte plus de soucis que de solutions.
Par ailleurs, la foi dans le keynésianisme de Stiglitz oublie qu’il reposait en grande partie sur les colonies officielles et l’emprise des USA sur leur jardin latino-américain, une capacité d’endettement des Etats presque aveugle, un affrontement idéologique avec le “bloc de l’Est” largement plus astreignant pour le capitalisme libéral, et d’autres facteurs comme l’illusion d’une possible croissance infinie, des énergies bradées, un souci marginal de l’environnement. Autrement dit, si réellement le keynésianisme pouvait se reporter aux circonstances actuelles, il faudrait un autre Keynes pour en assurer la base théorique, et Stiglitz, malgré sa grande intelligence évidente, sa bonne volonté probable et ses capacités pédagogiques, est plus le prêtre d’une foi qu’un véritable scientifique.