“Il y a des signes qui ne trompent pas…”

November 10th, 2009

Vainqueur (au féminin) du prix Goncourt, Marie Ndiaye s’est vue rappeler à l’ordre par un député de la majorité, en France, Eric Raoult. Celui-ci n’a pas apprécié les paroles prononcées par la lauréate (d’origine partiellement sénégalaise):

Je trouve cette France-là (de Sarkozy) monstrueuse. (…) Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : “La droite, c’est la mort.” Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible.

((Dans les inrockuptibles, pourtant gentillets.))

Le sieur Raoult, offusqué, s’est sans doute rappelé les relations artistes-États sous l’Ancien Régime, lorsqu’il a émis la nécessité d’un “devoir de réserve dû aux lauréats du Prix Goncourt” ((Voir le peu révolutionnaire Libération.)).

Pour autant, ceci est loin d’être une nouveauté: les personnalités peu enthousiastes, voire agressives à l’égard du gouvernement de Nicolas Sarkozy ont tendance à avoir certaines difficultés ces derniers temps. Pour preuve le vent qui souffle dans le dos de certains humoristes radio comme Didier Porte ou des Guignols de l’Info qui plaisent de moins en moins à Sa Majesté. Il y a des signes qui ne trompent pas…

Heureusement qu’il a épousé une femme “de gauche”…

Tristes Tropiques

November 5th, 2009

Hommage au grand bonhomme qu’était Claude Lévi-Strauss, co-fondateur de l’université de São Paulo, grand connaisseur du sous-continent amazonien…

Juste pour ça…

L’école en question

September 18th, 2009

Le but qu’il faut poursuivre, qui est réalisable, c’est d’assurer à tous des possibilités éducatives égales. Confondre cet objectif et la scolarité obligatoire, c’est confondre le salut et l’Eglise.

Réflexion intéressante issue de “Deschooling society” ((La citation, ici, vient de sa traduction, au titre abusif “une société sans école”, parue au Seuil (points), en 1971, p. 27.)), quoique certainement iconoclaste.

L’école est devenue la religion mondiale d’un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l’ère technologique.

En effet, depuis Condorcet, Ferry et j’en passe, il semble que l’école soit une nécessité de gauche, que l’égalité ne puisse s’atteindre que via les institutions scolaires et que chacun ne puisse avoir sa chance que dans une société où les enfants auront tous l’occasion de suivre les programmes institutionnels le plus tard possible.

Douce illusion.

Non, terrible illusion, puisque en réalité l’école est sise dans une société basée sur des principes dits démocratiques reposant sur la liberté d’entreprise, cette dernière valorisant la diversité d’acquisition culturelle et savante. On ne peut le lui reprocher, ceci étant nécessité par ses autres principes: la concurrence, l’inégalité, la différence sociale. Pas de développement du marché, des technologies, du commerce, de la variété des mouvements économiques sans une grande différence marquée chez les acteurs sociaux.

L’inégalité est donc une nécessité, et donc l’école, aussi démocratique puisse-t-elle se prétendre, ne pourra faire qu’entériner cette soif de différence et ira jusqu’à la favoriser. Une école dans un monde comme celui dans lequel nous vivons ne peut que favoriser l’inégalité. Prétendre le contraire est au mieux ignorance des faits, au plus évident un mensonge (électoral).

Ce n’est pas tout à fait le propos d’ivan Illich, qui veut signifier plus dans son livre que l’insititution école, dans son établissement propre, s’oppose essentiellement à la réalisation de son intention, qui serait l’égalité de l’enseignement dans la perspective d’autonomiser ses apprenants ((Illich n’est pas un révolutionnaire abouti comme un communiste ou un anarchiste; cependant ses idées sont largement novatrices, bouleversantes et peu en accord avec la société de consommation passive dans laquelle il a vécu.)). Voici quelques-unes des idées développées dans le livre cité:

1) Aussi bien de manière interne, au sein d’une nation, on aura beau augmenter le budget de l’enseignement comme on voudra, au total ce seront toujours en moyenne les enfants des classes les plus riches qui en bénéficieront, et les inégalités ne cesseront de se creuser au sein de la société. Il est évident que l’on pourra tenter tant qu’on voudra de rendre les “chances” égales au sein de l’école, cela ne servira à rien, puisque le marché économique (commerce, travail,…) est tel que les parents voudront toujours privilégier leurs ouailles au détriment des autres et tenteront de ce fait de “pallier” au mieux à la prétendue égalitè scolaire. Ils useront d’abord des différences issues de l’institution en privilégiant les meilleures écoles pour leurs enfants, puis, si cela ne suffit plus, si par extraordinaire l’état devait parvenir à niveler le niveau scolaire de toutes les écoles (ce qui est proprement impossible), ils offriront à leurs descendants des conditions supérieures à celles des moins nantis. C’est une mathématique patrimoniale indépassable tant qu’existera la société basée sur la propriété, la famille et la valorisation du succès individuel ((Notons que les développements les plus anti-patrimoniaux de ce texte ne sont pas illichiens, mais miens.)).

2) En outre, on s’apercevra rapidement que le statut du nombre d’années scolaires réalisées se dévalorisera au fur et à mesure que les prétendus progrès dans l’enseignement institutionnel se feront. Il est facile de constater que les huit premières années scolaires qui, jusqu’au début du vingtième siècle, suffisaient en Occident pour se faire une place parmi les intellectuels locaux, représentent aujourd’hui une base non suffisante pour quelqu’un qui cherche tout simplement du travail. Quand un instituteur était autrefois formé à seize ans, il lui faut aujourd’hui attendre un brevet obtenu au mieux vers 21 ans. En outre, dans le passé, ce titre permettait à son porteur d’obtenir, au moins en apparence, une haute considération locale et une influence certaine sur ses concitoyens, aujourd’hui il est peu reconnu, voire déconsidéré. C’est que l’instituteur est devenu une denrée courante, il est directement dévalorisé par ses collègues des niveaux supérieurs et son salaire est d’ailleurs moindre par rapport à celui de ces derniers. En définitive, il devient donc toujours de plus en plus cher et de manière de plus en plus insupportable, de tenter de produire une scolarité gènéralisée et efficiente.

3) Au niveau international, ces deux phénomènes ne pourront que mettre en concurrence directe les états et marqueront de manière encore plus évidente les travers qui en découlent à l’échelon mondial: ce sont les nations les plus riches qui bénéficient avant tout de la valorisation de l’institution scolaire et plus on avance dans le temps, moins l’unité scolaire garde de sa valeur, et plus il faut d’années prestées à l’école pour obtenir une valeur continue: l’inflation scolaire matraque donc d’entrée toute nation qui désire participer au jeu scolaire où elle est condamnée à suivre le rythme des “meilleures” qui, elles, ne désireront jamais se laisser rattraper.

4) Enfin, Illich constate à son époque que l’institution scolaire ne vise absolument pas à valoriser l’autonomie et la capacité de l’apprenant à choisir ses apprentissages et à les réaliser, mais au contraire chercher-t-elle à le réduire le plus possible à un consommateur scolaire, et de la préparer à consommer d’ailleurs passivement toute sa vie.

Quelques passages illustratifs issus de la seule introduction:

Le système de la scolarité obligatoire, s’il conduit inévitablement à une ségrégation au sein de la société, permet également une sorte de classement entre les nations. Ainsi s’établit une véritable hiérarchie internationale, où chaque “caste” fonde sa dignité sur le nombre d’années de scolarité défini par ses lois. Certes, ce chiffre n’est pas sans rapport avec celui du produit national brut per capita, mais si ce dernier demeure pour la plupart des citoyens d’un pays relativement abstrait, le premier suscite au contraire une réaction affective beaucoup plus profonde, voire douloureuse. ((op. cit., p. 25.))

(…) au cours de la scolarité, on confond l’instruction et le r^ole que l’on jouera dans la société. Pourtant, apprendre ne signifie-t-il pas acquérir quelque compétence ou quelque savoir nouveau, tandis que la promotion sociale se fonde sur des opinions que d’autres se font de vous? Ainsi, s’instruire dépend souvent de quelque instruction reòue, mais la sélection pour un r^ole social, pour un emploi sur le marché du travail, dèpend de plus en plus de la seule durée des “études”. ((op. cit., p. 28-29.))

Beaucoup continuent à croire, à tort, que l’école mérite la confiance publique, (…) alors m^eme qu’elle n’est plus que la détentrice d’un monopole et que loin d’égaliser les chances, elle en assure la rèpartition. ((op. cit., p. 29-30.))

Mais, me diront les plus gauchistes d’entre vous ((Pendant que les autres s’empresseront d’aller inscrire leurs blondinets dans ce qu’ils trouveront de meilleurs avec l’appui de leur carte de parti si nécessaire, d’une sainte indulgence ou plus concrètement d’une contribution monétaire.)), ce problème entier aura disparu le jour où notre monde aura basculé dans le saint communisme et où l’institution scolaire sera au service de l’égalité. Rien n’est cependant moins certain, car, comme le dit Illich, l’institution scolaire, par son essence propre, a pour objet la reconnaissance de statuts différents, et non l’égalité de l’enseignement. Les tentatives pour gommer les différences (uniformes, suppression des points, bourses et autres) n’ont d’ailleurs pas réussi à écorner le principe de la promotion sociale inégalitaire et inhérente que l’école entérine -malgré de nombreux enseignants idéealistes, mais aussi avec l’aide de bien d’autres à qui cela correspond exactement.

Ce problème, je l’ai abordé ici le plus brièvement possible; il fait partie des principaux sujets de mes inquiétudes personnelles. Moi, enseignant, je suis en rupture avec la mère de mon travail: l’école. Paradoxale, mais nécessaire remise en question.

les juges y croient.

September 4th, 2009

En lisant un article sur Todd Willigham, un Texan condamné à mort pour avoir incendié sa maison et causé la mort de ses trois filles, et qui vient d’être disculpé, 5 ans après son exécution, j’ai eu l’occasion de lire cette petite ligne effarante:

dans une récente décision, deux juges de la Cour suprême ont affirmé que l’exécution d’un homme ayant prouvé son innocence restait «valable» dans la mesure où il a bénéficié d’«un procès juste et équitable».

C’est ce qui s’appelle distinguer la vérité de la vérité judiciaire…

En fait, la justice, vue sous cet angle, devient une affaire de foi. Sans devoir m’arrêter au cas Willigham, qui semble avoir jeté un homme en enfer sur des bases frisant l’amateurisme, il appert que le principe de la justice d’État, dans bien des cas, ne repose pas sur la nécessité de faire justice, mais bien sur celle de calmer les masses à n’importe quel prix.

La justice, c’est la religion des États laïques.

Ne l’ont-ils pas confisquée aux curés du passé?

J’ai beau le savoir depuis longtemps, je ne peux pas m’empêcher de lever les sourcils, d’écarquiller les yeux et de me demander comment certaines personnes parviennent à conserver leur confiance dans un monde qui, de fait, ne nous assure même pas un minimum de sécurité juridique

La solution

August 24th, 2009

Le ministre des communications du Brésil, Hélio Costa, détient la solution à tous les maux de la jeunesse:

“Il faut qu’elle cesse de rester devant internet. Elle doit regarder plus la télévision et écouter la radio.”

Le progrès informatique a effacé les péchés du petit écran…

Pupuce

August 20th, 2009

La RFID, vous connaissez?

Les Nazis en auraient rêvé, ce sont nos joyeuses démocraties qui la mettent au point.

Ah, s’il avait été possible de pucer toute la population européenne avant la défaite de Stalingrad! Quel gain de temps et d’organisation! “On” aurait liquidé la question juive, en même temps que celle des homos, des tziganes, des communistes et autres déviants en un clin d’oeil. En tout cas avant l’arrivée des Russes à Berlin… Il ne resterait plus que les gens bien, ceux qui n’ont “rien à se reprocher”.

Or, nous sommes bien près, maintenant, de la société parfaitement policée dont tout bon ministre de l’Intérieur rêve.

Quelle est, en effet, la différence entre le tatouage généralisé des individus ((Pratiqué dans les camps de concentration jusqu’en 1945.)) et leur puçage?

À part l’efficacité, il n’y en a pas.

(Mais de quoi il cause?)

L’an dernier, Pièces et main d’oeuvre a publié un excellent petit ouvrage intitulé RFID: la police totale. Puces intelligentes et mouchardage électronique. Édition l’Échappée ((Ça m’apprendra à l’acheter puis à le découvrir sur Internet. En attendant, je dois à mon pote Gilles d’Aden de l’avoir reçu chez moi au Brésil. Merci, Gilles.))

Le livre raconte de manière très intéressante comment nous passons de plus en plus rapidement de la société informelle ((L’âge d’or imaginaire qui a précédé l’État, mais aussi la société des individus qui parviennent de temps en temps voire le plus souvent à lui échapper.)) à celle qui est dépeinte dans les plus sombres contre-utopies grâce à des petites puces (RFID: Radio-Frequency Identification) qui s’infiltrent un peu partout dans nos vies.

Vous n’avez rien à vous reprocher? Vous n’avez rien à craindre.

Mais êtes-vous sûrs de n’avoir rien à vous reprocher?

Aujourd’hui, vous n’avez peut-être rien à vous reprocher. Mais qui décide qui a quelque chose à se reprocher ou non? Vous? Non, c’est l’État.
Vous avez confiance en l’État, vous?

En attendant, on va progressivement “proposer” à tout le monde de passer de la (déjà très envahissante) carte d’identité à la puce intégrée que le flic (au mieux) sera susceptible de contrôler “à distance” -mais jusqu’à quelle distance?…

Résumons.

Jusqu’ici, vous ne vous inquiétiez pas de porter sur vous un numéro de Registre National (NIR en France), un numéro de sécurité sociale, éventuellement un numéro de passeport, un numéro pour les impôts, un numéro d’électeur, des cartes bancaires, de crédit, des cartes de fidélité, des… ((Vous êtes quand même bien sympas de pas vous inquiéter pour tout ça…))

Bref, vous compliquiez la vie de ces pauvres surveillants du monde en faisant partie de dizaines de fichiers différents ((Le bouquin en compte 400 en France.)).

Alors qu’un numéro unique suffirait pour, à la fois, vous identifier, vous permettre de payer ce que vous voulez, recevoir des soins de santé (ou pas), payer vos impôts, passer les frontières, obtenir des ristournes, etc.

Un numéro ou en tout cas un truc qui vous identifie automatiquement, même si vous ne savez pas exactement de quoi il s’agit.

Allez, soyez pas chiens, avouez que vous en avez rêvé de cette société où il vous suffit de passer dans une porte avec des capteurs permettant au flic de base collé à son écran d’obtenir votre dossier en un clin d’oeil.

Vous en avez rêvé, de cette vie où vous n’avez plus aucune maîtrise sur votre situation financière ou votre dossier médical, et où “d’autres” peuvent décider à votre place de ce qui est bon pour vous, non?

Imaginez les applications de tels trucs: vous voulez acheter un paquet de cigarettes (quelle drôle d’idée). Là-dessus, quand vous voulez procéder au paiement, le détaillant vous dit que vous n’avez plus d’argent. Ah? En réalité, votre dossier médical traité par votre assureur vous a interdit l’accès à certains produits qui risquent d’aggraver votre état de santé.

Bien! Génial, dites-vous! Ils ne veulent que mon bien!

Vous rigolerez moins quand vous vous apercevrez que vous ne pouvez pas vous payer un séjour à Paris parce que c’est trop pollué ou que le vélo dont vous rêviez vous est inaccessible parce que votre Assurance Familiale ne veut pas que vous preniez de tels risques… financiers…

Vous voulez vous déplacer? Bien sûr, vous êtes libres d’aller où bon vous semble. Mais, une chose est certaine: impossible de le faire sans être filmé, enregistré, fliqué, et, à moins de vous balader dans un hypothétique désert technique -le désert, le Pôle Nord?-, certaines personnes (Mais qui?) pourront savoir où vous êtes, avec qui, et ce que vous y faites.

Et alors, dirons les plus blasés, ils le savent déjà…

C’est pas faux.

Mais, alors qu’aujourd’hui, il y a toujours moyen de détourner la loi, de se faufiler, de perdre vos suiveurs, de mettre une casquette, des lunettes de soleil, de fausses moustaches, de ne pas utiliser de voiture, de téléphone portable,… Tout cela deviendra bientôt obsolète et l’incognito ne sera plus que le privilège de quelques-uns -ceux qui auront les moyens financiers et techniques de détourner la loi.

En outre, n’espérez pas échapper aux contrôles dans les bidonvilles, les forêts vierges (Quelles forêts vierges, d’abord?) ou plus simplement votre domicile. Toute l’énergie des fans du fliquage sera désormais tournée vers la réalisation de la société de surveillance totale.

Nous Deux de Zamyatine, enfin réalisé…

Elle est pas (plus) belle (encore), la vie?

Et si je refuse de me faire pucer?
“Avertissement au cheptel humain: aujourd’hui, une brebis baladeuse trouvée sans puce est conduite à l’équarissage sans sommation. ((Op. cit., p. 36.))”

Israël >< Holocauste

August 18th, 2009

La discussion sur les territoires palestiniens et l’autorité israélienne (ou le contraire) souffre d’un problème évident de racine historique: l’holocauste.

L’histoire d’Israël a été intrinsèquement liée à celle du massacre des Juifs sous le régime nazi.

Pourtant…

Ce n’est pas nier, ni diminuer, ni dévaloriser l’holocauste -fait dramatiquement historique, montré et démontré, témoigné et ‘archéologiquement’ visible- que de condamner un État colonialiste, impérialiste, pratiquant l’Apartheid “comme les grands”, usant d’armes létales, qu’elles soient légales ou illégales, pour frapper aveuglément sur des groupes, infligeant des punitions collectives “comme dans la Thora“…

Israël -l’État- ne mérite pas la caution de l’Holocauste. Les Juifs, dans leur ensemble, ne méritent pas d’être associé à un crime d’État continu…

Noam Chomsky, Hannah Arendt, Albert Einstein, Emma Goldman, Alexandre Berkman, Karl Marx, sont parmi les plus grands esprits humains. Ils sont Juifs. Ils font partie de mon Panthéon à moi. Pas l’État d’Israël.

bonne nuit, grand-mère

August 10th, 2009

Elle était née avant la guerre.

Je veux dire, l’autre guerre… Celle qui se faisait dans les tranchées.

Elle avait “fait le Congo”, neuf enfants, deux mariages, la profession d’instit’…

Elle était encore drôle juste avant de mourir.

Elle était bien lucide, aussi. Encore.

Elle a vu mourir plus de la moitié de ses enfants.

Il était sans doute temps qu’elle parte, mais je devais la voir dans un mois…

Juste un petit mois de trop…

C’est curieux…

Il y a des choses encore qui m’échappent dans les émotions…

*****

In memoriam, Francine Lavenne

Prendre parti sans être au parti

August 4th, 2009

Je ne suis pas chaviste.

Je ne peux pas l’être, je suis allergique aux gouvernements et aux uniformes.

Mais.

Je ne peux pas m’empêcher de faire de l’urticaire quand je lis des pseudo-infos genre issues de Libération ((Qui accable régulièrement le régime vénézuélien.)), de Reporters sans Frontières ou d’autres médias frauduleusement catalogués de gauche ((Comme le Soir en Belgique, on rêve!)) ou engagés.

Pourquoi? Parce que généralement les prétendus reportages qui concernent l’expérience bolivarienne (discutable, mais intéressante) au Vénézuéla déforment les faits, les informations, les points de vue, s’appuient sur la presse droitière du pays et ne cherchent que mollement à proposer le point de vue du gouvernement local.

Alors, certes, c’est un gouvernement, et je n’ai pas tendance à le croire sur parole.

Pour moi, un gouvernement est présumé coupable.

Cependant, à la lecture d’Acrimed, du blog de Thierry Deronne ou du site RISAL, je réalise que des enquêtes de terrain, des reportages, des rapports directs sur ce qui se passe là-bas sont bien plus utiles pour comprendre ce que peut être une alternative au tout-libéral.

Je ne fais pas confiance à un gouvernement pour installer le socialisme et j’espère que le président, un jour, passera la main à d’autres, qu’on réduira le culte de la personnalité qui, malheureusement, est encore le moteur de la politique dans la plupart des pays du monde ((Tous?)), mais il y a des pistes intéressantes au pays de Chávez, parmi lesquelles:

-encouragement des coopératives de production;
-promotion des médias locaux;
-lois qui soutiennent, protègent, réclament de la population les groupements horizontaux afin qu’ils créent leurs propres solidarité.

Tout cela, les hommes devraient pouvoir le faire par eux-mêmes, et ça ne m’amuse pas que l’initiative vienne “d’en haut”, mais il faut reconnaître que le gouvernement chaviste est le premier du genre qui encourage la récupération d’une partie du pouvoir par des cercles populaires.

Rien que cela, ça vaut des éloges.

Le reste, les relations diplomatiques douteuses, les étatisations, les confiscations de licence aux médias de curés et de publicitaires, les procès aux opposants putschistes… Franchement, rien de ce que Chávez et ses partenaires ont fait ne pourrait être critiqué si cela se faisait dans un pays européen ou nord-américain.

Le tout en rappelant que la plupart des faits critiqués sont modifiés, détournés, amplifiés voire inventés pour salir un gouvernement qui ose s’opposer à la force de frappe capitalistico-libérale.

Tout en rappelant que le capitalisme existe encore au Vénézuéla, que beaucoup d’hommes d’affaires y font d’excellents bénéfices et que le pays n’a probablement jamais connu une sécurité juridique générale supérieure à celle qui s’y pratique actuellement.

Mais bon, c’est pas nécessaire d’y croire: c’est sans doute plus confortable de “nier l’affaire”…

N’est pas à gauche qui veut…

August 1st, 2009

J’ai envoyé une lettre à deux des principaux éditorialistes du CartaCapital, une revue hebdomadaire brésilienne ((Hebdomadaire vendu à 75.000 exemplaires, ce qui n’est pas très impressionnant comparé au million de Veja, franchement de droite.)), réputée la plus à gauche des quatre principales revues de ce type. Cette lettre concerne la situation de Cesare Battisti, ex-militant d’extrême-gauche, condamné en Italie pour faits de terrorisme, impliquant notamment la mort de quatre personnes, crimes qu’il nie.

Mino Carta et Walter Fanganiello Maierovitch ont consacré de nombreuses pages sur le sujet de janvier à juillet. Je vous reproduis cette lettre traduite en français, avec quelques commentaires supplémentaires pour éclairer mon propos à des non-Brésiliens.

Voici cette lettre ((Dont j’attends encore, fol espoir, la réponse.)):

Une obsession

Le Caros Amigos ((Revue de gauche ayant notamment pour chroniqueur des figures engagées comme Eduardo Suplicy, João Pedro Stedile du MST e José Arbex Junior.)), revue généralement bienveillante à l’égard du CartaCapital, s’étonnait dans un numéro récent de la virulence de vos propos à l’égard de Cesare Battisti ((Mais contrairement à vous sans revenir systématiquement sur la question.)). Au point où l’on pourrait s’interroger à leur place comme vous le faisiez sur une couverture: “Qu’y gagnez-vous?” (Vous vous posiez la question à propos de Tarso Genro, ministre de la justice) ((À en croire l’édition de votre revue du 18 février dernier, le ministre Tarso Genro a dû échanger sa décision d’accorder le droit d’asile À Battisti contre quelque chose –mais quoi? À ce propos, le moins que vous pourriez faire, ce serait d’avancer une hypothèse. Simple lecteur, me voilà frustré par une affirmation qui pourrait facilement être taxée de diffamatoire. Rermarque: tarso Genro fait partie de l’aile gauche du PT. Bien qu’il soit ministre, il fait figure de ce qu’il y a de plus…, enfin, de moins… Bon, il ne sera pas candidat à la présidentielle pour cause de gauchisme. Mais tout est relatif…))
Probablement rien du tout. Messieurs Mino Carta et Wálter Maierovitch, vous êtes très certainement bien trop ancrés dans votre position pour en saisir toute la relativité. Et pour votre lectorat de gauche, ce n’est pas évident de s’y retrouver.

Pourquoi avez-vous essuyé tant de contestations sur ce sujet? ((Essentiellement sur le site personnel de Mino Carta)) Et bien, parce que, tout simplement, votre perspective historique ne correspond pas à celle qu’espère, qu’attend un lectorat de gauche.

Votre point de vue est celui de l’État de Droit, conception éminemment bourgeoise et qui a essentiellement eu pour but, dans l’histoire récente, de défendre un concept encore plus relatif: la propriété privée. Raccourci? En effet, je me dois de m’expliquer.

Le sort de Cesare Battisti, en tant qu’individu, finalement, ne semble pas vous importer outre-mesure, et je dois avouer qu’il me laisse assez indifférent: j’ai plus de sympathie pour les milliers de morts palestiniens, pour les Népalais ignorés jusqu’en 2006, pour le sort des Indiens de l’Amazone et pour la cause des paysans du MST; en outre, je ne connais pas Cesare Battisti, je n’ai jamais rien lu de lui -que ce que vous avez pu citer, vous et d’autres revues brésiliennes-, je ne sais pas s’il est un bon père, un bon compagnon; j’ai rencontré tellement de personnes désagréables dans les mouvements de gauche, que ce n’est pas tellement en tant qu’individus que je peux les apprécier, mais en tant que partenaires vers un objectif commun; une société de gauche.
Puis-je le faire avec Cesare Battisti? Puis-je le ranger, en dépit de Giorgio Napolitano, Massimo D’Alema ou de tout autre membre de ladite gauche italienne, parmi ceux qui partagent -en gros- les mêmes idées sociales que moi?

Les politiques italiens

Mino Carta, vous citez à de nombreuses reprises le président actuel de la république italienne, Giorgio Napolitano, pour justifier de votre point de vue, arguant qu’un communiste historique et acteur de la période des années de plomb comme lui a plus de légitimité pour juger de la situation de Cesare Battisti que bien d’autres personnes (y compris vous-même?).

D’après Mino Carta et de nombreux sujets traités dans la presse brésilienne, Giorgio Napolitano est intervenu pour réclamer de l’État brésilien qu’il restitue le justiciable Battisti à ses juges.

Vous arguez aussi des positions comme celle de l’ex-président Cossiga pour contester ses critiques à l’égard de l’État de Droit italien de la même époque.

Francesco Cossiga, personnage de la “démocratie chrétienne”, a reconnu que la législation produite à l’époque des années de plomb était un ensemble de mesures d’exception qui, de fait, suspendait la démocratie.

Vous allez jusqu’à ridiculiser -et ce n’est pas moi qui vous en ferez le reproche- des personnages comme le sénateur à vie et ex-président du conseil démocrate-chrétien Andreotti pour appuyer votre thèse ((Voir CC 18 février.)).

Voyez comme les mots peuvent faire mal: vous démolissez un démocrate comme Giulio Andreotti, Monsieur Carta; vous refusez de considérer la parole d’un président de la république honoraire (Francesco Cossiga) ayant joué un grand rôle pendant les années de plomb, un homme qui a été élu à ce poste (certes lors d’élections indirectes, mais c’est la règle de cet État de Droit, similaire à celle d’autres pays à la même époque, comme les USA, ou la France sous la IVe République), et qui donc devrait, de votre part, recevoir les honneurs de la parole, si j’en crois vos raisonnements.

Dois-je rappeler que votre argument principal repose sur l’idée que la décision souveraine de tribunaux de justice dans un État de Droit ne peut pas être contestée par un autre État de Droit? -qu’en est-il de leurs pouvoirs législatif et exécutif?

Mais non. Cossiga ne mérite pas la considération que vous prêtez à Napolitano, parce qu’il est méprisable, parce que des scandales entourent son nom, parce qu’il est de droite, tout simplement, peut-être, puisqu’il n’a jamais été condamné pour aucune de ses actions que vous estimez pendable. De même, Giulio Andreotti a systématiquement été sauvé -certes, de manière douteuse, par le biais de manoeuvres judiciaires adroites, mais, eh! ce sont des pratiques courantes dans un État de Droit.

Giulio Andreotti et Francesco Cossiga sont deux des respectables sénateurs à vie qui ont d’ailleurs contribué à soutenir le très fragile gouvernement Prodi en 2006. Ils font partie des “sages” de la république ((Cela dit, on se demande pourquoi vous parlez de Giulio Andreotti, car vous ne rapportez aucune déclaration de sa part qui pourrait influencer la situation de Battisti dans un sens ou dans l’autre.)).

D’autre part, un président du Conseil comme Berlusconi ne cesse d’être attaqué, vilipendé, brocardé dans vos pages. En Italie, sa popularité est à comparer à celle du Président Lula au Brésil ((Il est vrai que la gauche institutionnelle, en Italie, est tellement medíocre, que les Italiens n’ont guère le choix.)). Paradoxe.

Chose curieuse, encore, lorsque vous évoquez Bettino Craxi, ou plutôt son gouvernement, cet homme “de gauche” qui a été premier ministre ((En fait président du conseil, entre 1983 et 1987, nommé par Sandro Pertini (78-85, et encore sous le mandat de Cossiga (85-92)!)) à l’époque où Battisti a subi ses foudres judiciaires depuis son exil, ce qui vous permet donc de justifier la condamnation qui a suivi, vous oubliez de rappeler que celui-ci a bel et bien été condamné pour ses agissements dans le même État de Droit dont vous vous faites les défenseurs. Serait-ce que le président d’alors commît une erreur en le nommant à la place équivalente à celle d’un chancelier allemand élu par le peuple et désigné par le Président de la République pour diriger le pays?

L’État de Droit -remise en question

Voyez comme votre point de vue à l’égard de l’État de Droit peut être contradictoire.
De la même manière, votre interprétation de l’histoire de l’Italie et du Brésil sonne étrangement, et en tout cas ne peut se targuer de vérité absolue. Votre vision, surtout celle de Monsieur Maierovitch, est celle d’une ligne conformiste, conservatrice, qui cherche à se définir à partir de critères juridiques qui, finalement, reposent uniquement sur des compromis historiques qui ne se justifient que par eux-mêmes.

L’État de Droit, si vous observez l’histoire de toutes les nations où il existe ou a existé, se fonde sur la violence, naît dans la douleur, a connu des excès, des révolutions, des exécutions sommaires, des injustices, la terreur ((Les lois “patriotes” en Europe, suivant celles des USA, ont de manière évidente cet objectif. En Belgique, d’où je viens, elles ont déjà servi à criminaliser des mouvements militants et alternatifs. Ce n’est qu’un exemple.)), qui sont le ciment qui a servi à joindre les pierres prétendument légitimes de sa réalité: la constitution, la loi, les élections.

Vous parvenez à citer (et condamner) Robespierre ((Maierovitch, CC 20 mai 2009.)) pour évoquer les régimes de terreur, l’État terroriste. Mais Robespierre et ses associés ne sont jamais que des révolutionnaires qui ont renversé un état précédent pour le remplacer par un autre; eux-mêmes, et en particulier Robespierre, étaient partis avec des principes nobles ((Bien que discutables encore, selon moi.)) et opposés à la peine de mort, mais ils furent confrontés à la violence des conservateurs. Le système Gandhi n’étant pas encore à la mode à l’époque, ils répondirent par la force, avec des excès qui, finalement, au regard du résultat (avènement de la république française et tout ce qu’elle implique dans l’histoire) peut -relativement- expliquer la violence que Robespierre a appliquée, et que presque tous les autres ont ou auraient appliqué à sa place, de Danton aux Girondins…

Pour revenir encore sur la notion d’État de Droit que vous évoquez régulièrement, notamment pour dire que l’Italie possède une bien vénérable constitution de 60 ans ((Vous évoquez dans votre éditorial du 22 juillet l’article premier selon lequel l’Italie est une république basée sur le travail; je vous trouve incroyablement cynique, au regard de l’histoire mafieuse, capitaliste, exploiteuse de la classe au pouvoir en Italie depuis 1948 –sans compter les années précédentes qui sortent du propos.)), il faut aussi rappeler que cette base politique n’a pas empêché que la Péninsule possède l’une des histoires les plus remuantes en terme de corruption, de relations mafieuses entre ses dirigeants et la grande criminalité (vous l’avez vous-même souligné concernant au moins deux de ses ténors), de personnages comme Bettino Craxi, impliqués dans des procès très lourds, mais dont la plupart échapperont par des manoeuvres que seuls peuvent se permettre les membres de la classe au pouvoir d’un… État de Droit ((Je crois que M. Maierovitch ne me contredira pas si je dis que l’une des conditions pour qu’un État de Droit existe soit que tous les justiciables, y compris les plus importants, soient mis sur un pied d’égalité face à la loi. Ce n’est remarquablement pas le cas en Italie. Mais où l’est-ce?))… Ainsi firent Berlusconi, Cossiga ou Andreotti, dont le destin fut, est et reste de régner sur les institutions de ce État de Droit. Cette situation n’est pas neuve. Elle est dénoncée par les esprits les plus brillants d’Italie depuis des décennies, comme par les voix de Giorgio Gaber ((Je vous invite à écouter Qualcuno era comunista (ici ou ), ainsi que Destra-Sinistra, Io non mi sento Italiano, Io se fossi Dio et bien d’autres textes de Luporini et Gaber.)), Dario Fo ((Morte accidentale di un anarchico.)), Nanni Moretti, Beppe Grillo, Sabina Guzzanti, par exemple, parmi bien d’autres, y compris des journalistes et penseurs modérés.

La démocratie et le fascisme

Comme le disait Giorgio Gaber, plus nous sommes libres de les critiquer, plus cela signifie qu’ils sont forts; le droit d’expression n’est donc pas nécessairement un signe déterminant de la réalité d’un état démocratique, car les dirigeants se sentent suffisamment forts pour mépriser leurs opposants les plus rationnels, les plus raisonnables et les plus intelligents.

Un autre point à considérer et qui remet tout de même considérablement en question votre appréciation de la stabilité de la constitution italienne, est que les gouvernements italiens se sont succédés à un rythme effréné depuis 1948: on compte pas moins de 57 gouvernements différents, une moyenne de pratiquement un par an. Avec une prime à l’étonnante stabilité du gouvernement Berlusconi II, l’un des plus longs de cette époque.

Vous estimez encore régulièrement dans vos nombreux éditoriaux que le droit n’a rien d’exceptionnel en Italie.
Je me permets de vous citer ce passage d’un livre de Morris West, paru en 1973 en anglais:
((La traduction, ici, malheureusement, vient du portugais: Morris WEST, A Salamandra, p. 196-197, trad. de Pinheiro de Lemos, éd. Record. Titre original: “The salamander”.))

“Les lois italiennes, de toute manière, favorisaient largement l’Etat et étaient contre l’individu. Bien des vieilles dispositions fascistes figuraient encore dans les livres et pouvaient être invoquées à volonté. Nous n’avions jamais adopté, Dieu seul sait pourquoi, l’institution anglaise de l’habeas corpus. Un homme pouvait être maintenu indéfiniment en prison sur base d’une accusation fallacieuse et un juge complaisant pourrait retarder les interrogatoires et les demandes de la défense jusqu’à son jugement. Notre justice était surchargée de travail et nos systèmes de documentation étaient terriblement anciens. Nos méthodes d’interrogatoire étaient brutaux dans le meilleur des cas et nos prisons une véritable honte (…)”

Faut-il vous rappeler l’affaire Pinelli, l’un des points de départ des années de plomb, véritable provocation contre les mouvements de gauche, qui n’étaient absolument pas responsables des massacres perpétrés, selon toute vraisemblance, par des mouvements d’extrême-droite, et probablement avec la bienveillance d’une partie de l’appareil policier et d’état? ((Pinelli est un anarchiste italien qui, prétenduement suspecté d’avoir commis un attentat en 1969, “tombera” d’une fenêtre pratiquement inaccessible d’un immeuble de la police après plusieurs journées d’interrogatoire. Son ami Valpreda passera plusieurs années en prison avant d’être libéré, faute de preuves.))

En outre, on ne peut attribuer l’existence des lois d’exception aux seuls événements des années dites de plomb: de nombreuses lois liberticides préexistaient aux années 60, comme l’évoque Morris West, certaines remontent à la période fasciste, continuèrent d’exister, et pour certaines existent encore. Je vous invite à découvrir les articles 270 à 270-decies du code pénal italien, toujours en vigueur.

Le code pénal actuel a été promulgué sous Mussolini et a ensuite évolué, mais son inspiration reste fasciste.

Il me reste par ailleurs à vous rappeler que, jusqu’en 2006, une loi de ce même code pénal (art. 272), interdisait, sous peine de prison, de se réclamer d’une autre option politique –en l’occurrence celle de la dictature du prolétariat de Marx- que celle qui existe en Italie: preuve s’il en est de l’incroyable intolérance de l’état que vous appelez de droit et qui ne souffre pas la moindre remise en question.

Continuité de l’État de Droit

Un autre élément essentiel de l’État de Droit, selon les études que j’ai faites en Belgique, est la nécessité de sécurité juridique qui doit prévaloir, afin d’assurer au justiciable qu’une décision prise à son bénéfice puisse l’assurer d’une non rétroactivité en sa défaveur plus tard. Or, vous défendez le changement de politique en France qui a frappé la doctrine Mitterrand et critiquez Battisti qui a ensuite fui la France pour d’autres refuges. C’est la France qui, en l’occurrence, n’a pas respecté un engagement qui aurait dû prévaloir dans la logique de la “continuité de l’État” ((Principe que je trouve au demeurant extrêmement contestable considérant les activités de gouvernement de droite, corrompus, dictatoriaux, qui laissent des ardoises aux gouvernements de gauche que l’on accable généralement dans la presse réactionnaire. Je reconnais que ce n’est habituellement pas votre cas, surtout concernant les régimes de gauche en Amérique Latine. Ce qui fait que je m’attriste d’autant plus de votre position dans cette affaire-ci.)). Quod non.

Enfin, et pour en terminer avec l’État de Droit, il faut tout de même soulever que cette notion est et reste éminemment subjective, relative et d’une fragilité nerveuse: si l’on rappelle que l’un des principes majeurs de l’état de droit est la hiérarchie des normes, considérant que dans la plupart des pays qui prétendent la pratiquer le pouvoir exécutif s’est emparé, aussi bien en Italie, qu’au Brésil ou dans les autres démocraties “traditionnelles”, du pouvoir de “dire la loi” au détriment du pouvoir législatif, passif, qui ne réagit que mal, peu, voire pas du tout, on peut, par l’absurde, affirmer que l’État de Droit existe rarement, qu’il est l’exception, surtout si l’on considère le droit du plus faible, de celui qui ne possède rien, de celui qui n’a pas les moyens de prester en justice alors que d’autres se présentent bardés d’avocats et pourvus des meilleures garanties de résultat de leurs procès. Mais cela, vous le savez aussi bien que moi, sinon mieux.

Concernant le procès Battisti, je vous renvoie au site (en italien) suivant qui conteste la totalité de l’argumentation des tribunaux italiens. Certes, de ces pages, il ne peut s’établir avec certitude que Battisti soit blanc dans les faits qui lui sont reprochés, mais le fait que la justice italienne n’ait exprimé aucun doute à cet égard est d’une grande légèreté ((Dans votre éditorial du 22 juillet, vous contredisez encore le ministre Genro sur base du fait que ne peuvent bénéficier de l’asile les personnes qui ont participé à des actes terroristes. Une fois de plus, votre argument repose ici sur le principe que le droit a été dit dans les règles, alors que le ministre Genro soutient le contraire: vos arguments ne peuvent donc se rencontrer.)).

Histoire comparée n’est pas raison

Comparer Battisti au cas Ben Laden ((CC du 20 mai 2009.)) montre bien jusqu’où votre point de vue est biaisé par votre relativisme historique. Votre raisonnement rappelle la critique faite au pacte germano-soviétique tout em évitant de parler de la rencontre de Chamberlain et Daladier avec Hitler em 1938. Que dire des réfugiés espagnols de la République? Après tout, les États démocratiques auront des relations suivies, claires et amicales, avec le régime de Franco au lendemain de la 2e Guerre Mondiale: la Republique espagnole de 1932 a été trahie par les États de Droit, qui ont privilégié la diplomatie à la justice. Mais je suis certain que vous le déplorez, n’est-ce pas? Pourtant, vous ne pouvez les comparer à l’attitude de Tarso Genro; ce serait même plutôt une attitude opposée à la sienne. L’Italie d’aujourd’hui n’est pas l’Espagne de Franco, soit, mais rien n’est jamais comparable, et surtout pas Battisti et Bin Laden, le Brésil et l’italie (qui, dans les années 70, s’entendaient bien) ou le nazisme et Robespierre.

De même, l’Italie des années 70′ n’est pas le Brésil à la même époque. Mais il semble pourtant que Mino Carta fasse la confusion sur son blog:

“Le ministre Tarso Genro a dit à Belem que sont principalement en faveur de l’extradition de Battisti ceux qui défendent l’amnistie des criminels de la dictature [brésilienne], “à l’exception de Mino Carta”. Je remercie (le ministre) pour la référence, mais j’observe cependant que le ministre tombe dans une flagrante contradiction. N’est-ce pas lui qui (…) a suggéré que l’Italie devrait promulguer une loi d’amnistie similaire à celle réalisée à l’époque par le dictateur de garde au Brésil?”

Attendez voir, ai-je bien suivi? Le ministre Genro n’aurait donc pas fait la différence entre l’Italie et le Brésil dans les années 70′ (un Etat de Droit et une dictature) lorsqu’il s’agissait de distinguer le terrorisme dans l’un et la rsistance dans l’autre, mais, dans ce cas-ci, le ministre Genro, selon Mino Carta, aurait dû estimer qu’il s’agissait des mêmes phénomènes et qu’aucun des deux ne devrait admettre de loi d’amnistie.
Mino Carta se refuse à considérer que dans les deux cas, le ministre Genro a suivi deux raisonnements différents parce qu’il s’agissait précisément de deux cas différents.

L’histoire comparée est un exercice difficile que ni les juristes ni les journalistes ne devraient aborder sans de grandes précautions.

Suppositions

En réalité, ce que vous, Mino Carta, essayez de faire, c’est de justifier de votre amitié pour une certaine “gauche” italienne ((CC du 18 février 2009.)) qui, depuis longtemps, n’est plus du tout à gauche. Le Parti Rifondazione Comunista seul se positionne plutôt contre l’extradition de Battisti. À l’inverse de Napolitano, D’Alema et les autres, Rifondazione est resté plus ou moins fidèle à ses positions anciennes. Certes, lors des années de plomb, Berlinguer eut une attitude péremptoire à l’égard des militants communistes violents -que vous appelez terroristes-, mais Berlinguer n’était pas tout le PCI et ce dernier a souffert de la division qu’entraîna notamment cette condamnation: rien n’est simple. La gauche n’est pas Napolitano et, selon moi, Napolitano n’est plus à gauche ((Et je suis loin d’être seul dans mon cas. La “gauche historique” de d’Alema et consorts n’est plus reconnue par la plupart des Italiens que par opposition aux très droitiers Berlusconi, Fini, Bossi et leurs alliés. Ce phénomène n’est d’ailleurs ni nouveau ni particulier à l’Italie. La “gauche” des démocraties parlementaires n’est plus depuis longtemps véritablement de gauche -si elle l’a jamais été…)).

Ce que vous, Wálter Maierovitch, essayez de faire, est de justifier un système juridique qui vous convient: l’État de Droit bourgeois tel qu’il existe en Europe principalement, et qui -faut-il vous le dire- reste injuste malgré ses avancées historiques indiscutables ((Il n’y a pas qu’au Brésil que le système judiciaire est notoirement de parti pris pour les classes supérieures et que le parlement est majoritairement corrompu. )).
Le fait que Cesare Battisti puisse vous échapper ((Plus exactement échapper à ce que vous défendez: la force de la loi et de la justice institutionnelle.)) vous est intolérable, Monsieur Maierovitch; on peut le comprendre, mais on ne peut le faire que si l’on suit votre propre raisonnement: il n’y aurait, selon vous, de contestation acceptable qu’à l’intérieur du droit; c’est-à-dire par les élections, par les manifestations encadrées, par la presse autorisée, par la grève déterminée par le droit.

La violence historique, la violence de l’État

Il faut cependant vous rappeler que, sans aucune violence, si l’on ne se réfère qu’à la transition de l’époque moderne à l’époque contemporaine, il n’y aurait jamais eu d’élections, jamais eu de parlement, jamais eu de république, jamais eu aucune de ce que vous appelez démocratie.

Sans révolution, sans mouvement violent, l’Allemagne serait un empire, la France une monarchie de droit divin, et le Brésil une colonie portugaise avec des esclaves.
Sans révolution, l’Angleterre aurait un prince omnipotent à sa tête et le parlement anglais n’aurait que le droit de murmurer son mécontentement; les USA devraient encore payer la taxe sur le thé et que dire des ex-colonies espagnoles?

La violence, je la déplore de manière générale; mais il serait trop facile de la condamner d’un côté en oubliant qu’elle est surtout exercée par l’État “légitime” de Droit et surtout comme vous le faites aussi facilement dans le chef d’un homme qui doit être replacé dans son contexte: les années de plomb sont la dernière période de l’histoire, jusqu’à ce jour, où il était permis d’espérer, à gauche, qu’un monde meilleur pouvait arriver si l’on parvenait à renverser l’ordre bourgeois. C’était au lendemain de la révolution cubaine, c’était juste après la défaite américaine au VietNam, l’époque de l’indignation contre les dictatures sud-américaines, et de l’imitation des résistances de ces pays.

Pensez ce que vous voulez aujourd’hui, mais vous êtes en contradiction avec l’ensemble des pensées de la gauche de cette époque-là, ou peut s’en faut. Vous condamneriez les discours de Sartre jusqu’à sa mort, les positions de Malraux sur la révolution chinoise ou sur la guerre d’Espagne; vous voueriez Orwell aux gémonies, vous ne pourriez supporter les textes révolutionnaires de la totalité des penseurs de gauche du milieu du XXe Siècle (Russel ou Reich, par exemple), sans parler naturellement des anarchistes, dont les pensées ont pourtant insipré les mouvements émancipateurs des femmes, des objecteurs de conscience, des pacifistes…

J’apprécie le Carta Capital pour le courage de ses propos, mais je désespère de vous voir reprendre vos esprits, Mino Carta, car vous perdez votre temps, votre énergie et notre patience à insister aussi lourdement sur un cas qui, finalement, devrait être plus du ressort des conservateurs que du vôtre. Abandonnez vos illusions sur la gauche italienne qui n’existe pour ainsi dire plus; souvenez-vous de Nanni Moretti dans “Aprile” qui implorait Massimo D’Alema de dire “quelque chose de gauche” au cours d’un débat télévisé. Cher Mino Carta, vous montrez habituellement des positions politiquement plus libertaires. Certes, vous n’êtes pas opposé au marché libéral régulé, contrairement à une bonne frange de la gauche qui existe encore et aspire au socialisme, mais vous êtes indulgent au chavisme et aux mouvements sociaux qui parcourent le Brésil: vous êtes, dans la presse hebdomadaire, une bouffée d’oxygène. C’est là que nous vous attendons, que nous espérons vos qualités d’éditorialiste, de penseur, d’intellectuel de gauche. Laissez tomber Battisti.

De Monsieur Maierovitch, je n’attends pas la même chose. La plupart du temps, je suis en désaccord avec ses positions conservatrices, même si ses arguments sont souvent intéressants. On ne peut guère attendre de vous autre chose, de même que je verrais mal Antonio Delfim Netto critiquer ouvertement le régime sous lequel il fut autrefois ministre…

Le reste de la lettre était essentiellement formule de politesse…