… Pas de Harry Potter, hein, non… De la Recherche…
Il m’aura fallu lire 247 pages pour me rendre compte que Proust est effectivement un tout grand écrivain.
185 pages, d’abord, de résistance contre moi-même… D’auto-discipline, oserais-je dire, puisque je voulais enfin vaincre ce signe indien qui m’empêchait d’arriver à la fin d’un Proust -et que je voulais bêtement commencer par le premier -Combray.
Apparemment, c’est le plus hard… en tout cas, il m’a permis de m’endormir tôt à plusieurs occasions. Quelle barbe!
Même si je voyais “où il voulait en venir”, je comprenais le jugement de Gide qui avait déconseillé aux éditeurs à qui Proust l’avait envoyé de le publier. Jugement qu’il regretta ensuite amèrement, mais qui s’explique par l’ennui profond où plonge un récit sans intrigue, l’évocation imbriquée de souvenirs, de sensations et de descriptions d’émotions, d’attitudes, d’habitudes longues, minutieuses, fastidieuses.
Au total, un portrait qu’on pourrait qualifier d’impressionniste (je ne sais pas si je suis original, ici, je suppose que non, puisque Proust aimait les impressionnistes), difficile, mais qui nous permet d’entrer dans un univers intellectuel remarquablement transmis.
Mais malgré tout, donc, une course contre l’ennui…
Et puis vient Un amour de Swann. Avec deux n. Je l’avais bien lu à quinze ans pour faire plaisir à un professeur de français, mais je ne m’en souvenais guère, et pas de manière très positive.
En réalité, je suis conquis par les pages déjà lues. Et, de l’ennui, je suis passé à l’enthousiasme. Comment peut-on expliquer qu’un même auteur, qui a la prétention d’une unité d’oeuvre, puisse provoquer des sentiments aussi disparates chez moi (et pas seulement à vingt ans de distance, mais simplement à quelques dizaines de pages).
Il faut admettre que la causticité de Marcel ne transparaît pas facilement -à première vue. Ce n’est qu’après soixante pages d’Un amour de Swann que j’ai commencé à vraiment la percevoir. Que j’ai compris que Proust avait un oeil critique et lucide sur la classe sociale qui l’avait élevé.
Swann, d’ailleurs, n’échappe pas aux critiques du narrateur, et lorsque l’on sait qu’il en était un miroir, on ne peut que se dire qu’il y a une forme de réflexion acerbe à son propre endroit dans l’ouvrage.
Alors, Proust? Premier stalinien à avoir fait son auto-critique?
Non, sûrement pas. C’est aussi chez Proust que l’on montre, a contrario, que l’amour est tout sauf bourgeois. Dans le monde superficiel des agents de change et des médecins mondains qu’il nous décrit, Proust parvient à faire sortir tous ces détails qui différencient précisément l’amour de ce que la bourgeoisie de son temps pratique par conformisme. Swann n’est bourgeois que lorsqu’il oublie qu’il est amoureux -et, lorsqu’il aime, il est vite rejeté par son entourage bourgeois. Lorsqu’il cesse d’être amoureux, ou qu’il se pare pour la galerie, il est aussi insupportable que les autres personnages.
Même chose pour le personnage du narrateur qui, dans À l’ombre des jeunes filles en fleur et Du côté de Guermantes, est capable des pires mesquineries dont il émiette sa vie. Les aristocrates, au travers de litotes, de détours, d’anecdotes, sont vus sous leur vrai jour. Cette duchesse qui, dit-on, traite si bien ses domestiques ne cesse de les brimer, de les empêcher de vivre; elle qui méprise le petit esprit de la plupart de ses pairs n’en a guère plus. Mais tout ceci n’est jamais présenté de manière directe. Tout est suggéré, présenté dans les scènes mondaines, dans les dialogues, alors que les descriptions rappellent plutôt les films en costume genre Sissi…
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Le narrateur de La recherche est en permanence attaché à ces petits détails qui émaillent la vie amoureuse et qui ressemblent tellement à ce que nous vivons dans l’état passionné.
C’est probablement en lisant Proust que certains cocos tendance mao ou stal ont décrété que l’amour était un sentiment bourgeois, alors que c’est tout le contraire: c’est lorsque nous sommes amoureux que nous le sommes le moins.
(je vais encore me faire des amis à gauche, moi)