La guerre froide n’est pas finie: elle a juste muté en un truc plus insidieux encore qu’une bande de communistes assoifés de sang, le couteau entre les dents, planqués derrière le rideau de fer et n’attendant qu’un signe de Moscou pour déferler sur l’Europe à coups de chars T-72 et de goulags. Désormais, vous le savez, nous le savons tous, l’ennemi n’est plus à nos portes, il est dans nos murs. Il égorge des moutons dans sa baignoire, il montre son cul vers l’Ouest cinq fois par jour et il étouffe ses femmes (nombreuses) sous les voiles et les burkas. En plus, il s’est allié aux mouvements traditionnellement contestataires de toutes les régions du monde, mouvements qui sont désormais les alliés objectifs de Ben Laden qui a remplacé l’Emmanuel Goldstein de “1984“.
Ami, si tu soupçonnes ton voisin de pallier d’avoir un jour pensé que Saddam Hussein était un brave gars, défenseur de la laïcité et de l’occidentalisation du Moyen-Orient,
Ami, si tu penses que ton meilleur ami a lu le Capital en dehors de ses études d’histoire contemporaine (et critique),
Ami, si ton cousin n’écoute pas avec un plaisir non dissimulé l’intégrale de Michel Sardou,
Ami, si ta soeur milite contre Monsanto, Dupont-DeNemours, Bayer et GSK,
Ami, prends la décision qui s’impose: ils sont à la solde des infâmes terroristes qui accablent nos libertés de penser que le libéralisme est la seule et unique voie possible pour assurer l’ordre et la sécurité,
Ami,
n’hésite pas à former le 112 et à demander à parler en toute discrétion (un seul enregistrement et une copie pour les Archives de RG) avec un agent du contre-terrorisme mondial: il sait quoi faire, il sait qui appeler…
Et sans doute ton coup de fil influencera-t-il le rapport que voici sur le site du Département d’État des Zuessa.
Le genre d’endroit où la lutte contre le terrorisme s’affiche plus franchement comme la lutte contre ceux qui s’opposent aux “intérêts américains”. Ainsi, cette jolie phrase en tête du rapport 2004 par pays:
“A small number of al-Qa’ida operatives in East Africa, particularly Somalia, continued to pose the most serious threat to American interests in the region.”
Dans le chapitre sur la Belgique, en 2005, on trouve encore le même genre d’expressions:
“suspected of attempting to recruit fighters to support attacks against American interests in Iraq.”
Belgique qui, entre parenthèses, est généralement félicitée pour son activité en faveur de ces intérêts américains, dans sa lutte contre le terrorisme en général et sa célérité à appliquer la “nouvelle législation anti-terroriste”.
Dans le rapport 2006 sur la Belgique, toujours, on trouve cet adorable paragraphe:
Belgium is not a significant safe haven for terrorist groups, although the PKK operated television production facilities in the country. Belgian authorities were concerned about potential terror activities involving groups from Algeria and North Africa, and investigated groups such as the Moroccan Islamic Combatant Group (GICM), the Revolutionary People’s Liberation Front (DHKP-C), and a far right group with links to neo-Nazi groups.
On notera avec délice la manière, donc, dont le DHKP-C est relié d’une part à des groupes d’extrême-droite (non-identifiés) et d’autre part à des militants islamiques (liés, selon la justice belge, aux attentats de Madrid et Casablanca). Dans le genre amalgame pas frais, on atteint ici des sommets Bernardhenriesques…
Globalement, ce rapport continuera à amalgamer DHKP-C et extrême-droite, tout en donnant plus d’importance au premier et en évitant d’identifier les groupes fachos.
Dans le rapport 2007, outre que le Département d’État fait encore la part belle au DHKP-C comme suspect terroriste numéro 1, on se félicite de la mise en route de l’OCAM. Un homme nous a récemment évoqué l’efficacité de cette agence bien de chez nous qui devrait devenir proverbiale dans les pages roses des dictionnaires autorisés par le Nouvel Ordre mondial (il en parle aussi ici).
Ce rapport culmine avec les commentaires suivants:
OCAM aims to facilitate the exchange of information among all governmental counterterrorism bodies and make a common threat analysis on the basis of such information exchanges. The new agency operated under the joint authority of the Justice and Interior Ministers and included representatives from the external and internal services, the Federal Police, Customs, and the Ministries of Transport, Finance, and Foreign Affairs.
Cette “nouvelle agence”, comme Un homme nous le relatait, n’a toujours pas fourni le moindre justificatif pour avoir interdit le feu d’artifice du nouvel an dernier à Bruxelles et conservé le pays en état d’alerte maximum pendant la période des fêtes.
Les plus naïfs d’entre nous y apprendront encore que la Belgique maintient des troupes en Afghanistan à hauteur de 400 hommes et que, malgré les dires de nos politicards en 2003, elle pariticipe activement à l’occupation (pardon, à la reconstruction) de l’Irak. Si, si:
Assistance to Iraq included expanded participation in the Jordan International Police Training Center in Amman (which subsequently closed in September), training for Iraqi diplomats and magistrates in Belgium, and training for Iraqi servicemen in Abu Dhabi, in cooperation with Germany.
On ne prête qu’aux riches: si la Belgique et les pays alliés traditionnels des Zuessa se distinguent dans ces rapports, on relève de très jolies phrases sur d’autres pays d’Amérique Latine comme celles-ci:
Bolivia showed new potential as a possible site for terrorist activity. Supporters and actors from the National Liberation Army (ELN), the Revolutionary Armed Forces of Columbia (FARC), the Tupac Amaru Revolutionary Movement (MRTA), the Paraguayan Free Fatherland Party (PPL), and the Shining Path were thought to be present in Bolivia.
(Rien que ça)
(même lien:)
In January, Daniel Ortega was inaugurated as the elected President of Nicaragua. Ortega reestablished formal diplomatic ties with Iran, which now has a resident, accredited Ambassador in the capital, and aggressively sought to expand relations with Cuba and Venezuela.
(Ah les salauds! Ils rétablissent des relations diplomatiques et étendent leurs relations avec des États, dis donc!)
Le Vénézuéla, naturellement, n’est pas beaucoup mieux traité. Les rapports 2005, 2006 et 2007 sont pratiquement des copies conformes. On y évoque pèle-mèle des relations réelles ou supposées avec les FARC, l’ELN, l’ETA et les facilités mises à disposition de méchants terroristes iraniens dont on n’a pas l’ombre d’une preuve. Le fait que le gouvernement lutte contre le narco-trafic et qu’un procès en bonne et due forme ait lieu contre un groupe ayant attenté à l’ambassade étatsunienne ne fait guère l’objet de plus d’attention que les exploits de Nizar Trabelsi en Belgique. Et certainement moins que que les mesures de harcèlement judiciaire contre le DHKP-C…
Le Vénézuéla est aussi critiqué pour l’élaboration d’une loi anti-terroriste qui ne définit pas le terrorisme. Il est vrai qu’il sera difficile d’englober dans cette loi tout ce que les Zuessa et ses alliés considèrent comme tel…
Toutes ces critiques des trois derniers rapports effacent celui de 2004 qui rapporte pas mal de mesures et activités vénézuéliennes qu’il est bien obligé de qualifier de “contre-terroriste”.
Un autre exemple de grande neutralité dans le rapport est que le terme “corruption” se retrouve pour la Bolivie (rapports 2004, 2005, 2006), l’Équateur (rapports 2004, 2005, 2006, 2007), le Nicaragua (rapports 2005, 2006, 2007), le Vénézuéla (rapport 2007), et d’autres, mais dans aucun cas pour la Colombie…
Ce pays est magique…
Oh, j’oubliais:
1)Il y a un lien unique rien que pour Cuba et ses amis les membres de l’axe du mal dans les trois derniers rapports de 2005 à 2007… Je vous laisse aller les découvrir: l’article commence à être un peu long…
2)Dans les rapports 2002 et 2003, les activités putchistes des opposants à Chávez ne sont pas mentionnées… Elles ne sont donc pas terroristes… CQFD