dans le livre de Wilhelm REICH, Psychologie de masse du fascisme, dont j’ai lu l’an dernier l’édition 1972 de chez Payot (en traduction donc), on trouvera p. 27, une définition intéressante:
“Démocratie du travail. La démocratie du travail n’est pas un système idéologique; elle n’est pas non plus un système “politique” qui pourrait être imposé à la société humaine par la propagande d’un parti, de politiciens ou d’un groupe partageant une idéologie commune. La démocratie naturelle du travail est la somme de toutes les fonctions vitales régies par les relations rationnelles interpersonnelles qui ont pris naissance, qui ont grandi et se sont développées d’une manière naturelle et organique. La nouveauté de la démocratie du travail réside dans le fait qu’une régulation future possible de la société humaine a été dégagée pour la première fois dans l’histoire de la sociologie non pas d’idéologies ou de conditions devant être créées, mais de processus naturels qui ont existé et se sont développés depuis toujours. La “politique” de la démocratie du travail est caractérisée par le fait qu’elle rejette toute sorte de politique et de démagogie. Les masses laborieuses loin d’être affranchies de leur responsabilité sociale en seront au contraire chargées.“
La définition se poursuit et je vais la retranscrire tout de suite, mais je désirais faire une pause ici. Les italiques sont de Reich; par contre, c’est moi qui souligne. Pourquoi précisément ces passages? Comme toute définition, elle ne peut exister qu’en son ensemble et il ne saurait être question d’en retirer une partie arbitrairement. Ce n’est pas le but, mais les deux passages soulignés sont remarquables dans leurs intentions particulières.
Le premier mène à l’affirmation que la démocratie du travail est un fait, non une construction; elle s’exerce dans les relations entre travailleurs qui admettent l’égale considération du travail de l’autre. Je ne suis pas trop accroché par le terme “naturel” qui lie ces relations. Selon moi, le terme naturel est assez osé et il ne m’importe pas de savoir si oui ou non une démocratie humaine repose sur une existence naturelle ou non. La guerre comme la paix, l’égalité comme l’inégalité, la dictature comme la démocratie sont des phénomènes humains; qu’ils soient culturels ou naturels, je fais mon choix parmi eux. Si un jour quelqu’un me montrait que la démocratie, la paix et l’égalité sont des choix culturels contraires aux réalités naturelles, je n’en ferais pas moins le choix de ces trois-là contre les trois autres.
Par ailleurs, le côté central du terme “travail” me gène un peu dans cette définition, sans pour autant que me vienne à l’esprit l’envie de contester sa valeur générale. Le travail et les travailleurs étaient logiquement au centre des préoccupations de l’époque de l’écriture de Reich, époque où contester le travail était une hérésie des deux côtés de la guerre froide; et puis Reich est tout de même encore très influencé par la force de frappe marxiste…
Le deuxième passage souligné est, lui, véritablement d’actualité dans sa problématique: si Reich aujourd’hui serait sans doute heureux de constater le progrès de la liberté sexuelle (encore à poursuivre), il ne pourrait qu’admettre que la responsabilité sociale n’est pas plus entre les mains des bases sociales qu’auparavant.
Nous sommes donc encore loin de la démocratie du travail vue par Reich. Ce qui n’empêche pas que son aspiration m’apparaisse légitime et désirable, en effet.
Suite de la définition:
“Les démocrates du travail ne briguent pas des postes de “fürher”. La démocratie du travail développe à bon escient la démocratie formelle caractérisée surtout par l’élection des délégués politiques et n’implique aucune autre responsabilité de la part des électeurs, la démocratie du travail est une démocratie authentique, effective et pratique, conçue sur une base internationale. Cette démocratie repose sur les fonctions de l’amour, du travail et de la connaissance et se développe d’une manière organique. Elle combat le mysticisme et l’idée d’un Etat totalitaire non par une attitude politique, mais par les fonctions vitales pratiques qui obéissent à leurs propres lois. Bref, la démocratie naturelle du travail est une fonction bio-sociologique naturelle et fondamentale qui vient d’être découverte. Elle n’est pas un programme politique.”
En bref, la démocratie du travail envisagée par Reich est la simple application des coopérations qu’il estime naturelles (moi, moins, mais qu’importe). Si ces coopérations ont surtout lieu dans le travail humain, Reich précisera sa pensée au long du livre sur ce qu’il appelle le travail, ou du moins sur le travail digne d’intérêt et porteur de démocratie.
Sera considérée comme travail toute occupation utile ou nécessaire à la vie humaine. En sera donc exclue toute activité neutre ou nuisible à la vie humaine… Mais ceci, c’est presque la conclusion du livre. Entre-temps, Reich passe en revue les techniques utilisées par tout pouvoir autoritaire convaincu de sa légitimité pour conserver sa force. Ces techniques semblent résolument concentrées autour du concept d’économie sexuelle.
L’anxiété, le manque, la frustration, fondés sur les interdits, les codes, la morale, tous plus émotionnellement et irrationnellement marqués, conduisent hommes et femmes vers la soumission apparemment délibérée à l’autorité. Reich montre que l’histoire du fascisme (au sens large, qu’il ne limite pas à ce qu’il connaît directement au cours des années 20 et 30) se nourrit de cette économie sexuelle à contre-sens de la vie.
Je viens encore de voir “Angela’s Ashes” de Alan Parker, qui évoque la répression morale en Irlande dans les années 30′ et 40’… Ça parle directement…