Le hérisson révolutionnaire Le monde selon thitho

novembre 30, 2010

… Et si 1945-1989… en Europe… Occidentale

Filed under: discussions piquantes — tito @ 6:07 am

Et si, avec tous les progrès sociaux aboutis au cours du XXe Siècle, les 44 ans de paix relative, le keynésianisme, la révolution sexuelle, les contestations, tout ça…

Et si cette période, en Europe, avant Berlusconi, avant Sarkozy, au moment où Miss Maggie commençait à faire de l’effet, juste avant que la Communauté de l’Acier et du Charbon ne devienne vraiment chiante, si cette période avait été une espèce de… comment dire,…

Si nous avions été plus que privilégiés de vivre une époque où on ne battait plus les enfants à l’école, où le temps de travail diminuait sensiblement, encore, pendant que l’espérance de vie après la retraite augmentait, où le nombre de profs par élève ne baissait pas, où les journaux de gauche, bon, …

Si la peine de mort disparue, les peines carcérales aménagées, les prisons, même horribles encore, humanisées, les permis de manifester, de faire grève, de voter communiste ou de ne pas voter du tout, si tout ça, loin -très loin- d’être parfait, n’était encore que des acquis de sable,…

Et que maintenant, toute honte bue, sans plus aucune idéologie, uniquement poussée par ses propres soifs et désirs de puissance, dans la meilleure tradition de la concurrence et de la lutte pour la survie, la race supérieure, celle qui peut tout se permettre parce qu’elle tient tout dans toutes ses mains, bien visibles, bien hypocrites, bien servies, délivrés des pressions populaires -culpabilisées par des mots comme « populistes », « nationalistes », « paternalistes » ou même, c’est un comble, « communistes »-, des petits et des grands maîtres du monde nous fasse refaire le film en arrière, tout en nous précipitant dans la spirale de l’irrationnelle religion du matérialisme et des délires rétrogrades de celles qui emmerdent l’humanité depuis l’âge du fer…

Aidée naturellement par la pince-monseigneur de toutes les chapelles…

Et, non, je ne suis pas paranoïaque: le monde n’a jamais appartenu -selon les lois des notaires- à une aussi petite proportion d’hommes et de femmes de par le monde… Quant au jeu démocratique, il n’a jamais vraiment convaincu, mais il cache de moins en moins les véritables leviers de commande.

Ça chie, ma bonne dame, ça chie, et on est dans la cuvette…

Les vieux, avec nous…

novembre 18, 2010

À propos, c’est quoi, l’anarchie?

Filed under: discussions piquantes,politopics — tito @ 5:25 am

Le chaos, la tourmente, le désordre, la violence, sourde ou éclatante!

L’expression d’un malaise, la pauvreté imaginative d’adolescents en pleine crise, à peine plus que de la poésie, un luxe d’artiste, un caprice d’intellectuel, un esprit bourgeois-rebelle…

Rien de tout ça? Tout à la fois? Autre chose?

Je vous parlais la semaine dernière d’anarchistes et d’actions, de violence surtout; je vous évoquais la rareté de celle-ci dans le chef des anars (le chef des anars, elle est bien bonne), du fait que nous étions plutôt sérieux de ce côté-là, qu’il était rare qu’on frappe à l’aveugle comme savent par contre si bien le faire les dictatures et les démocraties parlementaires.

Il y a pas mal de définitions qui peuvent convenir à l’anarchie. Celle de l’un des frères Reclus, par exemple, « L’ordre moins le pouvoir », a le mérite de la concision et de l’efficacité. On a quand même un peu l’impression de voir le cauchemar de Foucault abouti. Mais bon…

Entre des visions plutôt conservatrices qui ne voient en elle que l’absence de gouvernement et par extension du désordre -ce qui ne manque pas de s’opposer à la vision d’Elisée Reclus- et celles de poètes plus ou moins romantiques qui n’y voient que la liberté toute pure, il y a des schèmes un peu plus élaborés.

Faire une définition en deux lignes serait à la fois prétentieux et sans ambition. Tant il est vrai que, pour commencer, l’anarchie, c’est de nombreuses conceptions différentes. Et je ne m’attacherai qu’à celles « de gauche », et de renvoyer pour les autres à Stirner ou aux libertariens, qui ne sont guère que des extensions du libéralisme à mes yeux.

Vu que des Godwin, Proudhon, Kropotkine, et autres Durutti se sont chargés de vivre avant nous l’anarchie, certains se demanderont si elle aboutit bien. Certes, elle pourrait aboutir, achever, terminer, arriver, prendre racine, mais alors elle risquerait simplement de ne plus être elle-même. L’anarchie, en tant qu’idéal politique ou social, c’est une aspiration permanente, un mode de pensée, plus qu’une utopie ou qu’un système, comme le socialisme marxiste ou le libéralisme -ou même le fascisme.

Parce que les hommes sont ce qu’ils sont -des êtres mortels, fondamentalement différents, incapables de penser la même chose sur la vie, la mort, l’amour, la sécurité, la liberté, bien qu’ils soient tous fondamentalement liés dans ces principes, ils ne parviendront jamais à s’entendre sur un système. La peur, puissant moteur de l’autorité, ne saurait être vaincue facilement, puisque la conscience de sa mortalité a fait de l’homme l’animal le plus soucieux de sa survie -en dépit de la futilité de ce projet dont il sait l’inanité.

Aussi, à moins d’un grand sursaut rationnel, l’anarchie ne sera toujours qu’un beau projet vers lequel chacun de ses acteurs cherchera à tendre, sans, selon toute probabilité, jamais l’atteindre. Il n’empêche qu’il persiste, ce beau projet…

L’anarchiste de gauche, plus humaniste, plus philanthrope que son homologue de droite, a une tendance largement socialiste de désir d’émancipation générale: impossible d’être heureux si mon prochain ne l’est pas. Il a aussi une haute conscience des liens sociaux produits par l’économie de marché, par l’existence de l’Etat et par le culte de l’autorité et de la hiérarchie. Le plus souvent -mais malheureusement pas toujours-, il est également parfaitement au fait du scandale patriarcal et aspire à le renverser.

Lorsqu’il est de tendance irrationnelle, romantique, il peut aller jusqu’à désirer retourner les schémas et viser une société matriarcale, trouve ses modèles dans des sociétés plus archaïques, plus proches de la nature, plantes médicinales et danses tribales.

Lorsqu’il est de tendance rationnelle, plus scientifique, il réfléchit au retournement des schémas, constate que les sociétés matriarcales sont plus égalitaires, que les études anthropologiques, sans les idéaliser, reconnaissent la valeur des sociétés mal qualifiées d’archaïques, que l’homme vit en meilleure santé et moins aliéné lorsqu’il est proche de la nature. Et en plus, fumer du chanvre et danser sur la Makhnochtchina fait du bien.

Bref, c’est fou comme le rationnel et l’irrationnel lui vont bien…

Les relations des anarchistes avec les communistes sont souvent tendues, non parce qu’ils divergent particulièrement dans l’objectif, mais en raison d’un lourd contentieux historique et des différences dans l’idée des moyens. C’est bien dommage.

L’anarchiste a, basiquement, une double tendance, l’une plutôt fleur bleue et pâquerette, qui lui rappelle que tous les hommes sont égaux, méritent notre considération, ont droit à la liberté de penser, de jouir, de s’extasier, de baiser et de fôlatrer jusqu’à ce que mort s’ensuive; l’autre, plus agressive, constate qu’historiquement l’exploitation de l’homme par l’homme est violente, réelle, fréquente, implacable, que les exploiteurs se justifient de bien des manières, toutes plus éloignées de la justice et du droit naturel qu’a chacun de vivre sa part de vie sur Terre -ou ailleurs- sans avoir de compte à rendre à des privilégiés et des principes patrimoniaux. Cette dernière tendance, frustrante, mène souvent à la révolte organisée, et parfois à la violence.

Mais les anarchistes n’aiment pas les dégâts collatéraux, les crimes aveugles, les victimes innocentes -parce qu’ils ne croient pas stupidement à la raison d’État ou à un bien supérieur à la vie humaine. Ils méprisent l’honneur, la nation, les hymnes (sauf la Makhnovchtchina, mais c’est pour de rire), les uniformes et le respect au drapeau. Ils réfutent le secret-défense, conchient les interdictions préventives, refusent de servir des lois faites par d’autres et des constitutions élaborées généralement avant leur naissance.

Bref, pour eux, frapper cent hommes pour en atteindre un seul ne fait pas partie de leurs programmes.

Quand les anarchistes deviennent violents, ils s’en prennent principalement aux choses, aux biens, aux entraves, à la propriété, à ce qui n’a à leurs yeux aucune valeur.

Quand la colère devient si forte que plus rien n’arrête la révolte, la grogne, la fronde, l’anarchiste, le plus souvent, reste conscient de la valeur humaine -et, quand il frappe, s’il frappe, c’est d’abord symboliquement (vive la tarte à la crême), puis, s’il passe à plus sérieux, c’est toujours de manière ciblée, et jamais en visant au hasard ou en masse.

Certes, il y eut des exceptions. Mais quand Vaillant s’attaque aux députés, il précise que sa bombe n’avait pas l’intention de tuer -ce qu’elle ne fit d’ailleurs pas- mais qu’elle avait une ambition symbolique. Réponse de l’ordre établi: la guillotine;
Bonnot et ses complices tuèrent beaucoup, mais, précisa Raymond la Science lors de son procès (remarquablement mis en scène par Brel dans un film où Bonnot est joué par Bruno Crémer), ils ne tirèrent que sur des bourgeois ou sur leurs complices.

Deux exemples extrêmes, pris exprès pour ne pas faire dans la dentelle.

Le premier doit être compris comme issu de la stratégie de la Propagande par le Fait, dont l’objectif était de frapper les esprits et de pointer du doigt -et de la marmite- certains des responsables de l’exploitation sociale. On ne peut comprendre la violence anarchiste si l’on oublie qu’elle est une réaction à une violence autrement plus performante: celle de l’inertie de l’ordre établi qui n’hésite pas à lancer des guerres civilisatrices, justes, défensives, pour de basses raisons financières, commerciales, expansionnistes. Auguste Vaillant était un amateur en matière de violence. C’est sans doute pour cela qu’il prit la peine capitale alors qu’il n’avait tué personne.

Quant à Bonnot et à se proches, ils naviguaient entre l’illégalisme, la propagande par le fait et l’anarchisme individualiste. La plupart d’entre eux, après une carrière de militants convaincus, puis déçus, avaient perdu leurs illusions, mais par leur révolte.

Il faut noter que la plupart des illégalistes, de nouveau, n’étaient en rien des violents…

Est-ce que je cautionne le meurtre? Non. Je veux encore penser qu’il existe d’autres voies plus efficaces pour mener à l’amélioration des liens sociaux.
Est-ce que je le pratiquerais? Non. Mais j’aime de temps en temps me poser la petite charade du bouton-pression qui actionnerait la bombe de la Java.
Est-ce que je le condamne? Non. Le boulot des juges, c’est eux qui l’ont choisi: personne ne les a forcés à endosser leurs robes.

Pour terminer, je constate toujours que la place que prend la violence dans un texte sur l’anarchie est toujours de loin supérieure à la proportion qu’elle occupe dans la vie des anarchistes. Et ça c’est important. Parce qu’a contrario, la violence ne prend pas assez de place dans les traités sur les « dites » démocraties, qui, elles, la pratiquent bien plus souvent qu’à leur tour…

novembre 4, 2010

C’est encore les anarchistes…

Filed under: discussions piquantes — tito @ 5:08 pm

Je ne suis pas trop l’actualité européenne pour l’instant, vous m’excuserez, il y a plus spectaculaire, sinon plus important, de ce côté-ci de l’Atlantique. Des élections, des élections, des élections…

Mais il paraît que les anarchistes ont remis ça.

Ces petits irresponsables envoient des bombes partout et après ils s’étonnent qu’elles pètent au hasard et tuent des innocents.

‘faut dire qu’on a une de ces réputations…

Les anars sont réputés violents, poseurs de bombes, barbus, russes ou italiens, voire espagnols (pour ceux qui ont des lettres), misanthropes, sombres, pessimistes, taciturnes

Tout mon portrait.

Ceux d’entre vous qui m’ont cotoyé savent que je ne diffère pas d’un iota de ce descriptif. On dirait ma fiche signalétique aux Renseignements Généraux (ah, oui, j’oubliais, nous sommes aussi paranoïaques et suspicieux, mais ça c’est déjà plus vrai, en fait, parce que, pour ceux qui ne l’ont pas compris, jusqu’ici, j’étais un tout petit peu ironique).

Et donc, il paraît qu’on a remis ça. En Grèce. Le pays de la démocratie. Les sages, les philosophes. Tous des nez droits (sauf Socrate), pas un métèque… Violence aveugle, gestes irréfléchis, désir de détruire, de terroriser, de se venger, de vider ses frustrations, que sais-je.

Tout nous, encore. Enfin, tout moi, je veux dire. Tout mon portrait: rien dans la tête, tout dans les tripes; aucune notion des conséquences de mes actes; pas de compassion, pas d’humanisme

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Décidément, les réputations ont la vie dure…

Tolstoï, Proudhon, Kropotkine, Godwin, James Guillaume, La Boétie, Diogène, Whitman, Thoreau, Chomsky sont les références intellectuelles les plus fréquentes dans le monde anar. Malgré leurs éventuelles colères, on ne compte parmi eux aucun violent.

Emma Goldman, Alexandre Berkman, Bakhounine, Malatesta, Durutti, étaient déjà plus versés dans la lutte armée. Certains pour cause de guerre, d’autres par simple logique de continuation de la lutte des classes.

Et puis il y a ceux qui, tels Ravachol, Emile Henry, Czolgosz, et bien d’autres, qui passèrent à l’action individuelles… Que dire encore? La bande à Bonnot, évidemment…

Meurtriers, assassins aveugles, fous, demeurés, inconscients… montrent bien que les anarchistes sont violents, irresponsables, sans foi ni loi… Si ça se trouve, c’est eux qui ont causé la Première Guerre Mondiale1. Qui sait s’ils ne se regorgent pas du sang des bébés, comme des Catilina, des Cathares ou des Communistes…

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Ce n’est pas toujours drôle de vivre avec une telle réputation, alors que les crimes les plus nombreux, les plus aveugles, les plus incroyablement effroyables, les crimes qui touchèrent le plus d’enfants, de civils, de personnes totalement étrangères à la moindre idéologie, ce sont bien les réputées démocraties qui les ont commis, en compagnie, certes, des dictatures.

Lorsqu’une guerre éclate, ce sont souvent des centaines de milliers de gens, voire des millions, qui meurent pour des raisons d’État, de sécurité, d’intérêts nationaux, commerciaux, que sais-je.
Lorsqu’une politique migratoire se durcit, ce sont des dizaines de milliers de personnes chaque années qui sont criminalisées, pourchassées, et des milliers qui meurent, aussi, dans le monde, parce que les sédentaires croient pouvoir arrêter les nomades.
Lorsque le capitalisme ferme ses vannes d’un côté pour les ouvrir de l’autre, ce sont des quantités invraisemblable de familles qui perdent tous leurs revenus, la précarité de leur sécurité, leur droit à la santé, à l’eau, à l’énergie; en un mot, si vous pensez à votre propre situation, à la vie…

Les anarchistes ont parfois tué. C’est vrai. Mais il faut insister sur deux choses: historiquement, les anarchistes ont presque toujours ciblé leurs victimes et n’ont jamais commis de meurtre de masses comme Madeleine Allbright le justifiait en parlant de la Première Guerre d’Irak et de ses suites; d’autre part, sur tous les anarchistes, rares sont ceux qui sont passés à l’acte violent; pour un Vaillant, on compte cent Victor Serge ou Sébastien Faure, pour un Nechaiev, cent Reclus.

Et si certains deviennent violents, le plus souvent ils ne s’attaquent qu’à des biens matériels: vitrines, caméras, voitures, barrières: la violence contre les hommes, du fait anarchiste, est rarissime et, comme je viens de le dire, le plus souvent ciblée. Même des événements comme celui de la rue des Bons-Enfants, ressortissent de faits isolés.

Même la Bande à Bonnot, peut-être un des groupes les plus atypiques du mouvement anarchiste2, se justifiait de n’avoir jamais attenté à la vie d’un ouvrier et de ne s’être attaqué qu’aux bourgeois et à leurs serviteurs. Certes, c’est déjà de la violence, mais elle est extrêmement ciblée -peut-on en dire autant des frappes chirurgicales? Et, en outre, la plupart d’entre nous n’approuvent pas de telles procédures. Mais dans notre échelle de valeurs, les crimes de Bonnot et Raymond la Science sont loin d’égaler Dresde, Hiroshima, Nagasaki, le Napalm, l’Agent Orange, la lutte contre les syndicats en Amérique Latine, les politiques coloniales et néo-coloniales, l’Apartheid -et, bien sûr, les meurtres officiels de Sacco et Vanzettti… Pour ne donner que quelques exemples… Pour s’arrêter à quelques détails de l’histoire qui n’eurent jamais l’heure de voir leurs coupables devant la justice -bourgeoise.

  1. En réalité, il n’en est rien: de nombreux attentats attribués aux anarchistes sont souvent le fait de nationalistes ou de nihilistes. Ainsi, le meurtre de l’Archiduc héritier de l’Empire autrichien, en 1914, était le fait d’un nationaliste serbe qui n’avait rien à voir avec l’anarchie. []
  2. Parmi les illégalistes, rares étaient ceux qui utilisaient la violence. []

octobre 24, 2010

la religion est une trop vieille reliure

Filed under: délivre religion,politopics — tito @ 4:06 pm

Pendant que des évêques et d’autres imbéciles au Brésil ressortent le vieux discours anti-athée contre la candidate du PT, comme cela arrive régulièrement en Amérique Latine1, mais aussi dans des pays réputés « développés » (sans rire), y compris dans « la plus grande démocratie du monde » (comprenez les USA, où l’ingérence religieuse est une des plus pernicieuses qui soient), on apprend qu’une dizaine de personnes, dont des enfants, pris d’une peur panique à la vue d’un homme qu’ils ont pris pour le diable, se sont jetés par la fenêtre du deuxième étage de leur immeuble, provoquant la mort d’un bébé parmi eux. Ça, c’était dans les Yvelines, en France. Un pays éclairé par les principes des Lumières, mais dont le président baise les genoux du Vatican quand il veut regagner les voix de l’électorat traditionnaliste…

L’influence de la religion, des religions, sur la société n’a plus rien de positif, si même elle a pu l’être dans le passé. Elle abêtit, éloigne de la raison, de la science, sous des prétextes oiseux; elle dénature d’ailleurs l’existence même de celle-ci, la faisant passer pour une adversaire avec une vie propre, alors que la science n’est qu’un instrument dans les mains des hommes, une méthode, pas une doctrine.

Les scientifiques qui utilisent la science en cherchant -du mieux qu’ils peuvent, ils sont humains aussi- à établir des faits en fonction d’une méthode rigoureuse, sont régulièrement condamnés par des obscurantistes arc-boutés sur leur foi et leurs préjugés plusieurs fois millénaires. Leur dénier une conscience sous prétexte qu’ils seraient athées ou éloignés de la foi est digne des discours qui, il y a 300 ans et plus, déniaient aux Indiens et aux noirs la possession d’une âme que l’on réservait plutôt aux blancs -alors même que l’existence de l’âme n’était qu’un acte de foi.

Si les religions n’étaient pas autorisées de s’exprimer sur la scène politique, et en dépit de tous les autres défauts de celle-ci, l’histoire compterait probablement bien moins de dictatures, d’autres auraient moins de prétextes pour exister et l’on pourrait parler infiniment plus librement de sujets importants, principalement liés à la médecine et la santé, à la liberté des femmes concernant leurs corps, aux progrès scientifiques

Les religions, qu’elles demandent pardon, se corrigent, se réforment, ou au contraire se replient sur leurs principes, reviennent aux principes les plus sectaires, sont toujours en retard par rapport à l’évolution de la société vers un mieux-être, l’égalité, la liberté, l’émancipation des femmes, des hommes, des enfants, la reconnaissance des droits de chacun et de tous.

Les religions, quand elles sont considérées comme une liberté privée, non seulement empiètent sur la liberté des enfants soumis aux parents, mais en réalité s’arrogent toujours plus de privilèges de paroles au niveau public et collectif. Quand une religion est minoritaire, elle réclame automatiquement plus de tolérance, qu’elle dénie quand elle se sent en position de force. Pape, imam, évêque, lama, marabout, rabbin, même combat contre la vérité factuelle et la recherche du bonheur terrestre -le seul véritablement prouvé comme possible.

La religion, au singulier, si elle relie les hommes -comme elle le prétend, ce que je ne vois pas qu’elle fasse en réalité-, est une reliure qui sent le moisi et ne répand plus que des champignons qui détruisent la fibre des individus et interdit ou freine toute véritable relation humaine libre et vivante.

La religion ne devrait plus avoir droit au chapitre au niveau public.

  1. On en a régulièrement des exemples un peu partout, en particulier en Bolivie, au Vénézuéla, au Honduras, en Equateur. []

octobre 18, 2010

Tropique du Capricorne

Filed under: lectures dispensables — tito @ 1:27 am

Il n’est jamais mauvais de revenir à ses propres classiques; Henry Miller est l’un des miens.

« Wherever there is cold there are people who work for themselves to the bone and when they produce young they preach to the young the gospel of work -which is nothing, at bottom, but the doctrine of inertia. »

Je ne peux m’empêcher de retrouver, dans le fond, comme dans la forme (les traits d’union introduisant une idée supplémentaire, par exemple), Rimbaud, que Miller aimait également, à qui il a consacré un livre.

« My people were entirely Nordic, which is to say idiots. »

On croirait lire les jugements de Rimb’ dans « Mauvais sang ».

Et il continue ad nauseam…

octobre 16, 2010

ces grands hommes qui ont changé l’histoire…

Filed under: discussions piquantes,politopics — tito @ 4:38 pm

… à condition de n’y pas toucher.

Nelson Mandela était fêté il y a quelques semaines en raison de l’approche de la coupe du monde dans son si beau pays arc-en-ciel.

On se souviendra que l’année dernière sortit un film, Invictus, qui racontait le « courage » du soldat Mandela, cherchant à rapprocher noirs et blancs en offrant à l’Afrique du Sud une publicité phénoménale par le biais de la coupe du monde de rugby -qu’ils gagnèrent.

L’objectif était surtout publicitaire, alors; il s’agissait clairement d’attirer les investisseurs, de les rassurer sur les intentions du nouveau pouvoir, qui ne se voulait pas hostile à l’argent blanc. Morgan freeman, dans les talonettes du héros de Johnny Clegg, le confirmait assez cyniquement. Il y a quelque chose d’incompréhensible dans la geste de Mandela. Admirable, en un sens, mais totalement contradictoire. Au service de la reproduction de ce qui l’a enfermé pendant près de 30 ans.

Quinze ans après, l’appartheid, s’il n’est plus officiel, n’en reste pas moins économiquement vrai. Et s’il y a bien une petite élite noire -c’est-à-dire un petit groupe de mecs qui profitent de la stabilisation du système et qui s’avèrent avoir la peau d’une couleur proche de l’ombre-, il n’en reste pas moins qu’à quelques exceptions près (oui, des blancs sont tombés dans la misère à leur tour), sur les 49 millions d’habitants, ce sont toujours pour la plupart des noirs qui fournissent les plus pauvres, et ce en grande quantité (l’indice Gini est l’un des plus hauts de la planète).

D’avoir pactisé avec le capital blanc n’a donc probablement pas ou que peu amélioré la vie des Sud-Africains.
En plus, par un manque de chance terrible (et une politique absurde), le Sida a notablement fait tomber l’espérance de vie en Afrique du Sud au niveau de 1950.

Autrement dit, le pari développementiste de l’Afrique du Sud de Mandela, dont le mythe émancipateur et communiste ferait bien de s’effondrer, s’est largement planté. Mandela est bien plus un nationaliste traditionnel qu’un socialiste libertaire.

Son objectif n’était pas de changer le cours de l’histoire, non. Et si on peut imaginer qu’il était sincère dans sa prospective, il n’a rien de quelqu’un qui voulait changer l’histoire, comme on peut le lire à droite, au centre-gauche, et même à gauche, parfois.

octobre 10, 2010

L’amandier, de Brassens

Filed under: lectures dispensables — tito @ 8:54 pm

(peu connue, a surtout servi, je crois dans le film « Porte des Lilas », où Brassens joua son unique rôle au cinéma)

J’avais l’plus bel amandier
Du quartier
Et, pour la bouche gourmande
Des filles du monde entier
J’faisais pousser des amandes
Le beau, le joli métier !

Un écureuil en jupon
Dans un bond
Vint me dir’:  » Je suis gourmande
Et mes lèvres sentent bon
Et, si tu m’donn’s une amande
J’te donne un baiser fripon ! »

 » Grimpe aussi haut que tu veux
Que tu peux
Et tu croqu’s, et tu picores
Puis tu grignot’s, et puis tu
Redescends plus vite encore
Me donner le baiser dû !  »

Quand la belle eut tout rongé
Tout mangé
 » Je te paierai, me dit-elle
A pleine bouche quand les
Nigauds seront pourvus d’ailes
Et que tu sauras voler !  »

 » Mont’ m’embrasser si tu veux
Si tu peux
Mais dis-toi que, si tu tombes
J’n’aurais pas la larme à l’oeil
Dis-toi que, si tu succombes
Je n’porterai pas le deuil !  »

Les avait, bien entendu
Toutes mordues
Tout’s grignotées, mes amandes
Ma récolte était perdue
Mais sa jolie bouch’ gourmande
En baisers m’a tout rendu !

Et la fête dura tant
Qu’le beau temps
Mais vint l’automne, et la foudre
Et la pluie, et les autans
Ont change mon arbre en poudre
Et mon amour en mêm’ temps !

octobre 3, 2010

La roquette

Filed under: lectures dispensables — tito @ 4:11 am

Voici les paroles d’une chanson du grand Aristide Bruant… (La Roquette était l’un des lieux d’exécution à Paris, les références à la veuve, la lunette, le sac, etc. font allusion à la guillotine)

En t’écrivant ces mots j’frémis
Par tout mon être,
Quand tu les liras j’aurais mis
L’nez à la f’nêtre
J’suis réveillé, depuis minuit,
Ma pauv’ Toinette,
J’entends comme une espèce de bruit,
A la Roquette.

L’Président n’aura pas voulu
Signer ma grâce,
Sans dout’ que ça y aura déplu
Que j’me la casse
Si l’on graciait à chaque coup
Ca s’rait trop chouette,
D’temps en temps faut qu’on coupe un cou,
A la Roquette.

Là-haut, l’soleil blanchit les cieux,
La nuit s’achève,
I’s vont arriver, ces messieurs,
V’là l’jour qui s’lève.
Maint’nant j’entends, distinctement,
L’peuple en goguette,
Qui chante su’ l’air de « L’enterr’ment »,
A la Roquette.

Tout ça, vois-tu, ça n’me fait rien,
C’qui m’paralyse
C’est qu’i faut qu’on coupe, avant l’mien,
L’col de ma ch’mise
En pensant au froid des ciseaux,
A la toilette,
J’ai peur d’avoir froid dans les os,
A la Roquette.

Aussi j’vas raidir pour marcher,
Sans qu’ ça m’émeuve,
C’est pas moi que j’voulais flancher
Devant la veuve
J’veux pas qu’on dise que j’ai eu l’trac
De la lunette,
Avant d’éternuer dans l’sac
A la Roquette.

septembre 23, 2010

Chronique des élections présidentielles locales VI

Filed under: Brésil — tito @ 6:50 pm

Après les différents articles surtout consacrés au contexte et aux trois candidats principaux: Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, je voudrais revenir en deux fois sur « ce que pense la gauche » au Brésil. La deuxième partie sera consacrée à quelques amis militants. La première aux médias.

1e partie: les médias de gauche.

Pour commencer, ne faut-il pas rappeler ce qu’on entend par gauche?
En effet, des trois candidats principaux, il appert qu’il n’y en a qu’une qui se réclame plutôt du centre (Marina) et les deux autres (Serra et Dilma) se revendiquent du centre-gauche. Or, on sait que les trois sont en faveur d’une économie de marché soutenue par un État actif et interventionniste, mais très modérément, voire peu enclin à redistribuer les richesses et à réformer les impôts pour les rendre socialement plus justes.

Ce sont clairement -selon les définitions adoptées par l’auteur de ce blog- trois candidats de droite.

Ensuite, il y a un candidat clairement de gauche, Plinio de Arruda Sampaio, qui plafonne à 2 pour-cent des intentions de vote, affilié au PSOL, un parti né d’une scission avec le PT, parti de Lula. Mais, même dans son parti, il n’a pas l’approbation de tous pour être encore trop modéré. C’est tout dire.

Et donc, il nous reste l’opinion de certains médias de gauche.
Aucun n’a pris le parti de Serra, ce qui est déjà un signe en soi. Ils laissent d’ailleurs peu de place au doute, sinon à un éventuel droit de réponse1.

Parmi mes lectures préférées, seul le Piauí2 a donné la possibilité au PSDB, le parti de José Serra, de s’exprimer dans ses reportages. C’est que cette revue, antiquement de gauche, s’est progressivement éloignée de tout positionnement pour faire du journalisme d’investigation « sans tendance ». Il y réussit assez bien, réalisant parfois des reportages d’une grande profondeur critique, tout en évitant pratiquement toutes les grilles de lecture possible. Ce qui le rend dans certains cas difficile et peu engageant, car peu engagé. Il est malheureusement largement soutenu par la publicité, et pas des plus socialement ou environnementalement intéressante. Par contre, ses qualités graphiques et artistiques sont appréciables.

Une autre revue mensuelle, beaucoup plus engagée, balance entre le réalisme du lulisme « qui-a-quand-même-amélioré-la-vie-de-beaucoup-de-monde », et donc le ralliement pragmatique à Dilma, et une critique plus acerbe de tous les candidats, c’est le « Caros Amigos« , que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes. Globalement, elle vient de sortir un numéro spécial élection qui montre que les trois candidats principaux sont tirés (mais est-ce une surprise) par l’argent des grandes entreprises. Le capital est sauf. Heureusement, la critique aussi. Caros Amigos est relativement indépendant de la publicité et choisit plutôt des produits de type culturel.

Le seul hebdomadaire un peu intéressant, tant par la qualité journalistique que par son côté politique, c’est le CartaCapital, que j’ai déjà comparé, je crois, dans ces colonnes à Marianne (sur le plan économique) ou au Nouvel Obs (sur le plan politico-culturel). Ce qui est tout dire. Je le lis régulièrement parce que, à défaut de me convaincre sur bien des plans, il reste une des sources les mieux renseignées depuis le dessus, sans être outrageusement de droite. CartaCapital a clairement fait le choix de pousser « de manière (modérément) critique » la candidature de Dilma Rousseff.

(Tiens, je remarque depuis quelques semaines que, les sondages montrant de plus en plus une tendance vers cette dernière, que le camarade José Serra, ex-maire de São Paulo et ex-gouverneur de l’État de São Paulo, commence à perdre les faveurs de médias de droite aussi… L’explication en est simple: on prépare déjà la succession et on sacrifie le bouc émissaire pour lui attribuer la défaite pratiquement certaine…)

Parmi les revues de gauche, on comptera encore
« Forum« , mensuel sérieux, apparu avec le Forum Social Mondial, attrayant, intelligent, plutôt en accord avec la militance pragmatique, susceptible d’ouvrir ses pages à des personnes qui ne plaisent pas au gouvernement Lula ou à qui il ne plaît pas, mais qui reste raisonnablement en sa faveur, et en tout cas résolument contre Serra. Son propos est proche des milieux universitaires, des intellectuels de gauche, les arguments y sont clairs, développés, intéressants. Au niveau publicitaire, on peut le comparer au Monde Diplomatique: il choisit visiblement ses annonceurs, comme le Caros Amigos.

« Brasil de Fato« , un hebdomadaire essentiellement proche des organisations non gouvernementales, des militants de base, des travailleurs, du Forum Social Mondial également, des indigènes. Généralement les articles y sont fort bons, mais la présentation est désagréable. La publicité en est absente. Brasil de Fato parle très peu des élections.

« A Nova Democracia« , journal rouge-rouge, sans concession à l’égard du gouvernement, qu’il estime traître à la cause sociale, comme des deux autres candidats financés par les entreprises. Pas de pub. Quelques dessins de presse. Agressif, virulent, comme un CQFD, mais loin d’être aussi drôle.

Voici un extrait du dernier numéro, traduit par votre serviteur:
(…) les programmes des trois candidats de tête de la presse des monopoles, à savoir Dilma Rousseff, José Serra et Marina Silva, se limitent à un noyau commun de contenus basés sur les engagements assumés par Luiz Inacio (Lula) en 2002 avec la fameuse « Lettre au peuple brésilien »3. Celle-ci révélait toute la servitude du candidat d’alors aux desseins du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce et des autres organismes dirigés par la Maison Blanche et par les oligarchies financières internationales.

Or, s’il y a au fond une extrême convergence, il reste bien peu de place pour différencier les propositions, autrement dit, chacun fait bien attention de réaffirmer chaque fois, directement ou subliminalement, son engagement envers l’impérialisme, la grande bourgeoisie et la grande propriété terrienne, de l’ancien comme du nouveau types. (…)

Le « Monde Diplomatique Brasil » est loin d’arriver aux genoux de son modèle français, mais il est vrai que le défi était de taille. Cependant, les articles de fonds, scientifiques, sur l’Amérique Latine, sont souvent très intéressants. Par contre, les éditoriaux locaux sont peu développés. D’un autre côté, on trouve souvent des informations argumentées intéressantes. Enfin, une bonne partie du journal est le produit de traductions de la version française ou d’autres éditions du Monde Diplomatique dans le monde. Quant aux élections, il en critique le fonctionnement, les institutions, et essaie de ne pas se positionner entre les différents candidats.

On m’a encore conseillé ces journaux-ci, mais je n’ai pas encore eu le temps de les visiter:
« Portal Vermelho »,
« Agência Carta Maior »,
« Correio da Cidadania »,
« IHU Online ».

De manière générale, on peut dire que la presse de gauche est clairement consciente des limites des candidats en présence et, si certains journalistes ou éditorialistes se rangent à l’idée d’une Dilma, voire d’une Marina, la plupart estiment au mieux qu’il ne s’agirait dans les deux cas que d’un pis-aller. Le système est encore loin d’être satisfaisant et ne donne pas la chance, véritablement, à une lutte clairement polarisée. Mais est-ce une surprise?

Un petit éclaircissement final:

Les élections du congrès fédéral et des assemblées des 27 États auront lieu en même temps. La confusion y est totale. Les affiches électorales, à São Paulo, comportent généralement le prénom du candidat, sa bouille, un vague slogan et, surtout, en très grand, le numéro qui le réprésente. Le signe du parti est souvent absent4, ou alors dévalorisé. On compte sur l’analphabétisme ou l’illettrisme pour focaliser l’attention des électeurs sur des détails graphiques, sur des souvenirs d’information, mais surtout sur « ce que le candidat a déjà fait pour » l’électeur. La relation contractuelle entre l’élu et son électorat rappelle évidemment de nombreuses situations en Europe, mais ici elles sont plus claires, plus évidentes, peut-être plus transparente. Le mot féodal est souvent utilisé par mes interlocuteurs. S’il est justifié, j’ai souvent envie d’évoquer le clientélisme à la romaine avec eux. Phénomène que nous sommes loin de méconnaître aussi en Europe.

Enfin, les alliances entre partis sont tellement complexes, d’un État à l’autre, parfois d’une ville à l’autre, que les électeurs ne peuvent plus rien y comprendre… Un parti dans l’opposition au fédéral peut s’associer à un autre proche de Lula dans tel État, avec à la clé une neutralité voire un engagement opposé à celui de son candidat officiel à la présidentielle, par exemple.

Alors, pour moi déjà qui n’ait aucune estime pour le système électoral et la particratie, à la limite, poussés jusqu’à leurs limites, ils en deviennent presque amusants… si le sujet n’était pas aussi sérieux.

On comprend peut-être mieux les difficultés de positionnement des médias de gauche.

Ou non?

  1. Le Monde Diplomatique Brasil de ce mois avait donné la possibilité à José Serra de participer à une confrontation entre les 4 candidats principaux, qu’il a déclinée. []
  2. Tous ces journaux existent en format-papier. []
  3. Un document que Lula présenta peu avant les élections de 2002 et qui le montrait comme immensément plus modéré qu’au cours des précédentes élections. Il s’y engageait notamment à « respecter les engagements et les obligations du pays », à soutenir aussi bien les grandes entreprises agricoles que les familiales, autrement dit que malgré sa promesse (non tenue après 8 ans) de réforme agraire, celle-ci serait faite en accord avec ceux qui la refusent depuis toujours, il y parle de croissance, de compétitivité, de large coalition avec les entreprises, de règlement de la dette, au moins autant sinon plus que de redistribution des richesses, etc. []
  4. Un exemple ici lié est l’ancienne maire de São Paulo, « >Marta Suplicy. Je vous invite à écouter le petit poème dit en entrée de son site, suivie de la chanson -une pratique courante pour les candidats, en effet, est de lancer des espèces d’hymnes à leur personne. Si Marta s’associe à Lula et Dilma dans la chanson, on ne voit pas le nom de son parti sur son affiche. []

septembre 16, 2010

Une chanson de Perret

Filed under: discussions piquantes,lectures dispensables,politopics — tito @ 6:35 pm

Aujourd’hui, je vous livre, toute crue, une lettre que m’a écrite une de mes plus chères amies restée au bercail (mon bercail, pas le sein).

Pas de commentaire de ma part, rien qu’une longue réflexion émotionnelle, mais toujours, à son image, pétrie de rationnel.

L. me fait penser constamment à une chanson de Pierre Perret, par son enthousiasme, ses sautes de tristesse et ses rebonds fantastiques. Elle a voulu me faire partager ses impressions sur ce qui se passe en ce moment en France.

Je suis loin. Je ne peux que voir cela avec ses yeux.

Mais quels yeux!

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15 septembre 2010

Cher Thierry,

Comment vois-tu l’expulsion de rroms? Moi, je la vois très mal; très mauvaise… Je ne saurais jamais prendre la distance nécessaire pour en juger1; mais que penses-tu des conséquences sociales de cette expulsion?

La France est un grand pouvoir politique et économique; elle peut donner le « la » de la chorale des politiques racistes qui vont se défouler par la suite; déjà, l’année passée, il y a eu des assassinats de rroms en Hongrie, des quartiers rroms brûlés en Roumanie, des enfants rroms maltraités par la police en Slovaquie, des skinheads qui ont attaqué un bidonville de rroms en Angleterre… et ce ne sont ici que des actes qui ont eu un écho dans la presse; au quotidien, ce qu’il y a à faire, c’est de nier tes origines et imiter, avec tout le dégoût que cela t’inspire, les imbéciles autour qui, sans cela, t’attaqueraient sans cesse… ou bien prouver tous les jours que tu es une personne, que tu n’es pas comme ceci, pas comme cela…

Instinctivement, depuis que j’ai une conscience, j’ai choisi la deuxième attitude; mais j’ai été entourée par des rroms qui, la plupart de temps, se niaient devant les Roumains même si, dans le dos, ils avaient autant de mépris pour les Roumains que les Roumains pour eux; d’autre part, les Roumains, devant eux, je devais tout le temps dire ou montrer que « ce n’était pas comme ça », qu’ils avaient tort; mais le lendemain ils oubliaient et de nouveau je devais leur prouver que je n’étais pas inférieure à eux; et puis, les Roumains avaient les écoles; ça leur appartenait et moi j’étais avide de savoir… et je l’ai aspiré comme un éponge pendant les 5 premières années scolaire; puis j’ai gaspillé mon énergie dans des révoltes: je comprenais trop: mes fautes comptaient doublement et mes mérites étaient à peine remarqués; profs et élèves avaient le même regard: du mépris. Et je me suis alors battue; avec les poings; et j’ai commencé à mépriser leur mésestime abêtissante à mon tour. Et je serrais les dents lorsque l’envie de jouer à l’école avec eux était entravée par « je suis tsigane »… et, les rares moments où on oubliait et eux et moi, je jouais avec rage dans les jeux d’équipe et j’étais la meilleure…

Ensuite, à 15 ans et demi, j’ai quitté l’école avec des larmes de colère à cause de deux nouveaux collègues de classe imbéciles. Et j’ai travaillé; de tout mon cœur; dans les champs. Il faisait beau et j’étais forte. Mais après quelques années je me suis rendu compte des perspectives: me marier et vivre la vie sans aucune dignité, supporter la jalousie ou l’envie de faire valoir sa supériorité d’un mari machiste, me laisser abattre par les soucis économiques et sociaux. Ou aller dans la ville et trouver un travail qui me rendrait indépendante? Mais le taux de chômage parmi les gitans augmentait en flèche et en plus je n’avais pas fait d’études; constat amer de la nécessité d’un diplôme. Mais au moins je savais avec certitude ce que je ne voulais pas de la vie; il restait à découvrir ce que je voulais. Mais le contexte ne s’y prêtait pas; souvent je m’arrêtais de penser au futur par crainte de ne pas découvrir que je voulais l’impossible…

Et j’ai commencé à faire tout à l’envers; lorsque j’ai rencontré Henry ce fut la première fois dans ma vie que j’ai eu l’occasion de dire « oui, c’est comme ça… » et plus encore: Henry mettait des mots sur ce que je pensais, sur ce que je ressentais par rapport au monde, à la vie; et il me regardait comme si j’étais une personne; une personne… j’avais 26 ans et lui 62; on a fait équipe et on s’est mariés et on a partagé depuis un quotidien où je ne devais pas démontrer à chaque fois que je sortais que j’étais une personne; j’ai pu alors me concentrer sur autre chose: le savoir. Et j’ai appris des tas des choses; et ça m’a plu. Tellement. Non plus gaspiller son énergie dans une résistance sourde qui mène à un épuisement sans résultat mais apprendre, s’enrichir; arriver à dépasser l’angoisse d’être regardée comme un rien à tout moment et sans aucune raison; juste celle de sa couleur, son origine, des choses dont on n’est pas responsable.

Mes révoltes enfouies, j’ai su aimer un homme, une femme, des arbres et des lieux, et des musiques nouvelles… et découvrir la vie à travers des tas de choses belles ou quelques fois moches.

Je commençais à contourner les gens qui me demandaient « tu es de quelle origine » parce j’en avais marre de répondre et de les observer ensuite prêts à me mettre une étiquette en fonction de leurs connaissances; j’ai toujours voulu être une personne. Et quand j’ai constaté que je répondais beaucoup plus souvent « je suis gitane » que « je m’appelle L. » ce fut désagréable; et je répondais « je suis chinoise, suèdoise, sénégalaise, … » n’importe quoi… En réalité je ne suis qu’une personne; et je m’intéresse aux gens, pas à leurs origines: ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs avis, leurs regards, leurs voix, leurs voies… Ils ne sont rien par leur origine; ils sont quelques chose par eux mêmes. C’est juste devant les discriminations que j’ai envie de revendiquer; j’ai revendiqué que je suis gitane devant les Roumains, homosexuelle devant les homophobes, athée en face des croyants, et si je pouvais j’aurais dit que je suis noire en face de ceux qui n’aime pas les noirs, que je suis handicapée en face de ceux qui méprisent les handicapés, etc…

Pourtant je suis si bien lorsque je ne dois rien dire de tout cela; et je suis juste là à bavarder de tout et de rien et sans me douter que l’autre en face te considère autre chose qu’une personne.

Et à quoi s’attendre maintenant quand, après des décennies, on nous a de nouveau officiellement étiquetés comme des parias? expulser les rroms… j’ai été choquée qu’en France cela se passe comme ça; je n’ose pas imaginer la vague de violences « banales » … banales? oui, parce que… parce que … je en sais même pas quoi dire, Thierry; je me sens impuissante; et j’aurais voulu ne pas savoir lire… et j’aurais voulu… ne pas connaître cette réalité.

Que faire, Thierry? remettre de nouveau le bouclier et sortir les flèches venimeuses?

Sarkozy n’est pas un type bête; s’il a osé faire ce qu’il a fait c’est qu’il a senti l’opinion publique… J’ai beau dire que c’est Hitler qui a tué les juifs et qu’il est mort; je n’oublie pas que plein des gens l’ont soutenu; et c’étaient des gens qui eux aussi ont haï les juifs; et c’est le cas maintenant: si Sarkozy s’exprime, c’est qu’il sait qu’au moins 50% de la population est de son côté.

Je sens qu’il y aura des choses très injustes que les gitans vivront à cause de ça: des humiliations, des jugements collectifs, des complexes d’infériorité; les conséquences ne seront pas les moindres ni au niveau de l’individu, ni au niveau de la communauté…

Je ne sais pas pourquoi je t’ai raconté tout mon parcours de vie. Peut-être parce que je me sens un peu écrasée… en tout cas ce soir. Mais demain je vais essayer de trouver une attitude; une qui me semblera juste.

Je t’écrirai un jour sur les vacances, sur les gens et sur les… je ne sais plus.

🙂 t’écrire m’a apaisée.

A bientôt Thierry,

Bisou,

L.

  1. L. est rrom, née en Roumanie, vivant depuis quelques années en Belgique. []
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