Je suppose qu’un jour un expert l’appellera d’une expression similaire…
À la suite du drame de Termonde (qui m’a touché aussi, pensez bien, je conduis mon fils à la crèche tous les jours de la semaine…), c’est la petite phrase émanant de l’association Kind en Gezin et relayée par la Libre qui a attiré le plus mon attention:
“Un tel drame est incompréhensible. Il pose des questions sur la sécurité dans les lieux d’accueil”.
C’est malheureusement un grand classique, suite à ce type d’incidents (agression dans un hôpital, enlèvement d’enfants), tous contre des éléments hyper-fragiles de la société, que ce type de réflexe survienne.
Pour vivre dans une ville qui a fait le pas, depuis longtemps (pour d’autres raisons), d’enfermer écoles, hôpitaux, crèches et autres lieux derrière des forteresses, munies d’équipes de gardiens ((celui de la crèche de mon môme est très sympa, mais bon)), souvent de caméras, et en tout cas de portes blindées, où les empreintes digitales de mes doigts ont été prises pour les mettre sur ma carte d’identité ((Plus choquant peut-être: dès la naissance, Giuliano, mon fils a été fiché pareillement.)), je ne suis guère choqué, mais je me refuse à admettre comme normal, et à accepter, à long, moyen ou court terme, toute tentative de sécuriser à l’extrême nos vies. C’est le contraire qu’il faut faire: parvenir à réduire les risques de ce type, et non se protéger de leurs seuls effets.
Il y aura toujours des risques, comme le dit un lecteur de la Libre ici. L’idée de vouloir se défendre contre ce genre de drames par des moyens de plus en plus coûteux, sophistiqués, mais surtout militaires et inaccessibles à la compréhension de la population, rend le monde toujours plus inhumain et plus neurasténique. Un phénomène effrayant, c’est la facilité d’acceptation de l’escalade.
L’article de la Libre évoqué ci-dessus fait mention d’une première crèche en Belgique dont l’entrée est gardée par un digitaliseur d’empreintes. J’avais déjà vu cette bêtise au CPAS d’Ixelles, il y a près de cinq ans. À multiplier les barrières électriques, électroniques, digitales, et que sais-je, on crée plus un effet de paranoïa que de sécurité. D’après l’article (mais bon, c’est la Libre aussi), seul un père maugréait pour des questions d’investissements, jusqu’à ce qu’on lui dise que l’entreprise l’offrait à titre de publicité.
“Ah, ben alors, comme ça, ça va.”
Les autres parents étaient à la limite de l’enthousiasme. Dans quel environnement leurs enfants vont grandir? Pas au “petit jardin musical” ou au “paradis des enfants”, mais bien dans la “petite cage dorée”.
Eh, tout cela n’est pas neuf: c’est du Michel Foucault, c’est du Vidocq, c’est du Alexandre Jacob…
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Pour en revenir à une phrase qui revient ces derniers temps, et raccomodées: la sécurité n’est pas une liberté, ni la première, ni une autre, mais un droit. Enfermer les gens, adultes ou enfants, ce n’est certainement pas les rendre plus libres.
Dire, comme l’ont répété des générations de ministres de l’intérieur (le premier était, si je ne m’abuse, Poniatowski en France, à moins que ce ne fut Poncelet ((Aucun des deux n’était à une clownerie près.)) ), que la sécurité est la première des libertés, est un non-sens doublé du fruit de l’ignorance pure.
On appelle droit un accès libre et (théoriquement) gratuit à quelque chose, comme la vie, le travail, la famille ((Pour compliquer, le Grand Dictionnaire Terminologique propose les définitions suivantes: Prérogative reconnue à une personne, dans son intérêt ou État d’une personne ou d’une chose qui répond à certaines règles ou conditions et peut de ce fait bénéficier d’un avantage ou jouir d’un droit.)). Ce sont même des choses presque naturelles. Mais il y a également des droits qui sont le fruit de conquêtes culturelles et sociales, comme le droit à la culture, à l’éducation ou à un toit ((Il y a aussi le droit à la propriété ou à la nation, mais ceux-là, beuh…)).
On appelle liberté une capacité non enfreinte de faire ou d’exprimer quelque chose, comme la liberté de penser, de se déplacer, de choisir son conjoint, ses amis, ses idées et d’exprimer ces dernières, mais aussi de (se faire entuber par la) religion ((Dans le Grand Dictionnaire terminologique, on trouve la définition suivante: la liberté juridique ou civile consiste dans le droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi (Or, on ne fait pas la sécurité, on en jouit); Elle se présente comme une prérogative ouvrant à son bénéficiaire, lorsqu’il le désire, un accès inconditionné aux situations juridiques qui se situent dans le cadre de cette liberté. Une liberté est en principe non définie ni causée (susceptible non pas d’abus, mais d’excès); elle est également, en principe, inconditionnée (ainsi se marier ou non, contracter ou non, acquérir ou aliéner, tester, faire concurrence à d’autres commerçants).)).
Et donc, cela ne revient pas au même. Le DROIT À est un phénomène dont vous bénéficiez automatiquement. La LIBERTÉ DE nécessite que vous fassiez un geste pour en jouir… Ou que vous ne le fassiez pas, ce faisant vous exercez votre liberté de ne rien fouttre.
La sécurité est clairement un droit, et non une liberté. Des générations de ministres de l’intérieur, y compris Sarkozy et Alliot-Marie, mais aussi l’actuel maire de Lyon, Gérard collomb, sont donc, au mieux des ignorants, au pire (et au plus vraisemblable) d’ignobles manipulateurs ((Mais ça on le savait déjà…)).
Pourquoi? Parce que le terme liberté, utilisé à toutes les sauces pour justifier l’emprise du marché libéral capitaliste sur nos vies, en est venu à s’édulcorer lui-même et à effacer la force des droits que l’idéologie dominante cherche à faire reculer toujours plus. Plus les droits reculent, et plus ce sont les libertés d’un petit nombre d’exercer sur nos tronches qui prennent du poids. Et, à cette échelle, ce n’est même plus de la liberté, mais des privilèges de classe.
Parce qu’aussi, à construire la sécurité comme une liberté, on contribue à la mettre sur le marché, tout simplement, et à progressivement faire admettre que nous avons la liberté de nous défendre nous-mêmes, et que, finalement, la justice et la police, ça pourrait bien être une affaire privée.
Or, “faire justice soi-même”, c’est le far-west. “Faire la police soi-même”, c’est du Bronson…
Certes, aujourd’hui, ces deux acteurs (police et justice) de la société sont plus au service de ceux qui ont que de ceux qui bossent, mais la destruction des repères des conquêtes du XXe Siècle (droits sociaux, émancipation -partielle- des femmes, liberté sexuelle, etc.) est une longue pente -de plus en plus savonneuse…
Ça glisse…