La Confusion des Genres, p. 1-8

December 30th, 2013

Voici les premières pages d’un tome qui en fait 283 A4 bien dégagées. Et, non, ce n’est ni une auto-biographie (on s’en rendra vite compte), ni une auto-fiction. C’est un récit à la première personne qui pose un constat subjectif à long terme sur une trentaine d’années de la gauche… J’insiste sur le “subjectif”. Un conseil: pour une meilleure lecture, copiez-collez ça sur un wordpad.

La lignée de la mère

Souvent, je me réveillais en sueur. Dès l’arrivée du sommeil, lorsque je finissais d’éteindre mon ordinateur –opération qui semblait prendre de plus en plus de temps pour des raisons que je ne parvenais à comprendre malgré les explications de Marc, toujours aussi dévoué par ailleurs à tenter de nous convaincre que nous devrions passer à Linux plutôt que de nous obstiner à la facilité imbécile et moutonnière des attrape-mouches Microsoft, dévotion que je payais bien mal de mon obstination à considérer l’effort d’un apprentissage minimum aux choses de l’informatique hors de mes capacités-, que j’allais brosser mes dents pour la seconde fois de la soirée –la première ayant eu lieu en même temps que Lucie, juste avant son coucher, trois heures auparavant, et la dernière motivée par les crasses que je m’enfilais devant l’écran de mes préoccupations nocturnes-, que je m’étendais enfin les yeux piquants de sommeil sous l’édredon, travaillés par le désir de ne pas se fermer et le besoin de le faire, je savais que quelque chose me prendrait dans les méandres de ma nuit, là où d’autres situent le sommeil profond et les terreurs nocturnes, quelque chose me saisirait dans l’impression noire de ces morceaux de sommes sans lune où l’on se repose des animations des songes –et que je serais encore loin de l’aube. A l’instant où ma poitrine se relevait sous l’effet d’une angoisse née avant l’endormissement mais qui ne se manifestait que pendant cette phase à laquelle certain estime qu’il faille lui consacrer la moitié de son existence, je constatais avec un dégoût toujours renouvelé que ma chevelure était inondée de transpiration. Avant même de me mettre debout, je retournais l’oreiller le côté sec vers le haut en vue du moment où j’allais me recoucher, je posais les pieds sur le sol et j’inspirais une ou deux fois profondément, puis je me dirigeais vers la chambre de Lucie pour écouter sa respiration avec l’impression que c’était elle qui m’inquiétait, avant même, déjà, de clore mes activités en ligne.

Une fois ma préoccupation éteinte, aussi bien par le souffle de Lucie qui se réverbérait sur ma main lorsque je l’approchais de sa bouche que par le mouvement de son corps et le léger bruit qu’il provoquait sur la literie –comme si le simple fait de la savoir vivante pouvait suffire à la deviner en bonne santé et la penser immortelle-, je me remettais à penser à mes travaux vespéraux. Je quittais sa chambre sans un autre coup d’œil, avec la certitude inconsciente que plus rien jusqu’au petit déjeuner ne pouvait plus lui arriver, sans même me murmurer qu’il était ridicule de me réveiller ainsi en pleine nuit et sachant que cela m’accablerait encore mille fois jusqu’à ce qu’elle atteigne un âge qui me donnerait de tout autres soucis, pour lesquels je prévoyais d’autres types de veilles, d’autres genres d’angoisses, mais que je refusais encore de considérer, songeant que c’était les mêmes que je n’avais pas supportées chez ma mère lorsque mon adolescence avait commencé à me faire quitter le nid et rendre ses inquiétudes emmerdantes.

C’est alors que je me mettais à associer, « nuit après nuit après nuit », les peurs qui m’animaient dans mon sommeil et que je liais à Lucie, avec les travaux qui emplissaient ces heures en plus d’une bonne partie de mes jours. Je songeais par exemple à l’article que Caroline espérait pour le lendemain et auquel j’avais posé les avant-dernières virgules, qui attendait, après que j’aurai eu conduit Lucie à l’école, mon ultime relecture du matin avant son envoi pour publication –ou du moins pour évaluation avant approbation, car je n’espérais pas qu’il soit accepté sans plusieurs relectures, corrections et réécritures, ce qui à la fois me désolait et me décourageait, mais je n’osais le dire, ni à Caro, ni à Giulio –seul Marc savait que je résistais constamment à l’envie d’abandonner ma collaboration, respectait mon humeur et me motivait de la seule manière qu’il connaissait et qui s’avérait chaque fois efficace : par la valorisation de son amitié pour moi, mais bientôt même celle-ci allait perdre de son efficacité ; ou alors je songeais à mon travail de traduction d’un chapitre de Chomsky qui me posait plus de problèmes de compatibilité idéologique que de linguistique, redoutant de me retrouver encore une fois en conflit avec celui que la plupart d’entre nous considéraient comme le phare intellectuel de notre mouvement, malgré tous les désaccords et toutes les divisions qu’il provoquait, non pas dans le monde intellectuel académique, que nous raillions et que nous n’estimions pas, mais entre nous qui sentions bien que la confiscation de notre qualificatif par lui était usurpée et réclamait, malgré notre admiration et notre respect pour lui, une réappropriation –ou plutôt, puisque nous n’aimons pas ce terme, une désappropriation et une recollectivisation ou une individualisation ; ou encore, je songeais aux dernières phrases de la nouvelle que je cherchais à terminer sans succès, qui m’imposait une pause que je ne désirais pas, mais qui s’avérait nécessaire, car je ne parvenais pas à trouver une fin qui soit digne d’un milieu que je considérais intelligent, nouveau, convaincant et utile, qui avait suivi un début original et accrocheur, ce qui m’était si difficile à produire depuis que j’avais commencé à écrire –c’est-à-dire bientôt vingt-cinq ans ; ou enfin, pour m’arrêter dans mes exemples et éviter de les multiplier par le nombre de mes activités, je songeais encore au compte-rendu de la dernière réunion de l’IRé, que j’avais terminé mais que j’hésitais à envoyer tel quel sans une révision par l’un ou l’autre des membres qui avait pu y assister, cependant que je cherchais en vain à qui j’aurais pu confier ce qui deviendrait alors un brouillon et susceptible d’être jugé alors que mon orgueil me commandait de ne plus y toucher, non par paresse –même si c’était l’un de mes principaux défauts, il ne m’accablait que lorsque je devais travailler pour de l’argent et pas pour ce que j’estimais avoir une vraie valeur-, mais parce que je répugnais à laisser à un membre de l’InterRéseau le droit de me critiquer, ce qui, j’en conviens, ne concorde guère avec mes idées, mais dominait malheureusement mon individu. Toutes ces réflexions me ramenaient à une seule, celle de l’angoisse du parent qui laisse à son enfant le monde tel qu’il n’est pas parvenu à le changer en bien pour l’accueillir. J’avais beau estimer que depuis mon arrivée à l’âge adulte mon énergie avait été essentiellement tournée vers ce désir quand elle n’était pas consacrée à ma subsistance, je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser concernant deux choses. La première, c’était la faiblesse des résultats, tant des miens que de la collectivité, pour évoluer vers un état meilleur du monde. Nous avions participé à des mouvements tels qu’on pouvait en nombre et en proportion les comparer à ceux de la Première Internationale, intellectuellement en apprécier la richesse et la diversité à l’aune des vigueurs de l’après-68 et concrètement équivaloir notre quantité et variété d’expériences à l’Espagne de 1936, additionnée de la Commune de 1871, de Kronstadt, de Makhno et des utopies locales du début du XXème Siècle. Pourtant, nous ne parvenions à convaincre que nous-mêmes, à ne gagner que des minorités presque impalpables de par le monde et à perdre par le jeu des âges et des ambitions personnelles une grande partie de nos forces. Ces vingt années de respirations haletantes, je les ai soufflées aux visages de centaines, de milliers, peut-être, de personnes qui souffraient des rapports inégaux, des règles établies, des amendements séculaires ou des volontés patriarcales. Mais ils ne se levaient pas. Jusqu’à ces dernières années, je ne ressentais chez eux que d’infinitésimaux frissonnements, rien de très vivant.

Restaient finalement nos pauvres carcasses de « reduci » jetées à la risée de ceux qui nous avaient quittés sous prétexte de réalisme et de pragmatisme et en tout cas de ceux qui ne nous considéraient que comme des obstacles d’envergure moyenne ou médiocre, des espèces de facteurs incontournables, mais à la limite utiles en ce qu’ils justifiaient à la fois les budgets sécuritaires et la démocratie qui nous tolérait, disait-on, parce que, bonne poire, elle tolère tout, même ce qui la conteste de manière non démocratique, à condition que l’on joue le jeu de la démocratie, ce qui se mordait la queue, certes, mais ne dérangeait presque personne, car comment montrer à mon beau-père, et c’était là la deuxième faiblesse que je ne me pardonnais pas, mon incapacité à convaincre les personnes que j’aimais, que, contrairement aux assertions des journaux, nous n’étions en réalité pas plus libres de contester la démocratie telle qu’elle existait sous le prétexte qu’elle n’existait pas en essence, puisque justement elle nous laissait la contester pour autant que nous ne critiquions pas son essence. Cela me rappelait ces chrétiens qui se targuaient d’être libres parce qu’ils avaient choisi, disaient-ils, de se soumettre à Dieu de la manière qu’ils avaient estimé conforme, mais qui refusaient de considérer que cette soumission consistât en une limite substantielle de leur liberté, comme ces « libres penseurs » britanniques, pour lesquels il n’existait qu’une limite : celle de la foi en Dieu. Comme si la liberté devait s’imposer des limites, perdre son essence pour exister. Par exemple, s’il était impossible de la considérer hors du carcan de la propriété privée, dont la fonction première, avant de donner un droit à quelqu’un, était bien d’en priver tous les autres. J’avais de la considération pour mon beau-père mais je ne pouvais m’empêcher de lui trouver un esprit étroit et incompatible avec un raisonnement logique à plusieurs étages comme il était nécessaire de poser pour expliquer mon point de vue, surtout que la patience n’était pas exactement sa principale vertu et que lorsqu’il commençait à voir qu’il perdait pied, plutôt que de me réclamer des éclaircissements, il me laissait en plan en me disant que mon raisonnement ne tenait pas debout. Il me fallait bien reconnaître que les faiblesses qu’il manifestait étaient le lot de la plupart des personnes que je connaissais en dehors de nos cercles de militants et je constatais qu’il fallait sans doute se situer en dehors du système de pensée établi pour en comprendre les défauts. Mais cela n’est pas suffisant, car, si vous vivez depuis votre naissance hors de ce système de pensée établi, vous n’en saisissez pas plus les défauts que si vous y êtes ; et j’en dois conclure qu’il faut y avoir vécu et en être sorti pour le comprendre effectivement. Toute l’équation réside alors dans la problématique : comment en sortir ? Et par là même, je posais la question : comment en étions-nous sortis ? Et, peut-être plus difficile encore, comment ceux qui se moquaient de nous y étaient retournés ?

Suite ici.

Entretenir l’ennemi, justifier la guerre, affaiblir les amis ou futurs amis, et autres petits effets de stratégie…

December 20th, 2013

Ne pas toucher à l’Arabie Saoudite, au Qatar, au Bahrein… Jamais… Même dans les médias les plus “honnêtes”, si l’on devait comparer au poids les articles incendiaires consacrés à ces trois régions et à leurs troubles rapports à la démocratie, aux femmes ou au terrorisme du genre Al-Quaida, avec ceux qui touchent aux “grands méchants” du genre Syrie, Iran, Libye (jusqu’il y a peu) ou Irak (jusqu’à la mort du précédent nouvel Hitler), il n’y aurait pas photo.

A tout prendre, l’Arabie Saoudite est un pays de joyeux bédouins qui viennent de temps en temps dépenser des fortunes dans nos casinos tout en achetant les hôtels où ils dorment. Ou l’inverse.

Or, ces figures caricaturales, images d’Epinal, dont on entend rarement parler autrement qu’avec des photos souriantes et des poignées de main exotiques, sont loin d’être des gentils républicains ou des aristos modérés.

Mais on ne scie pas la branche sur laquelle est assis son ennemi. Il pourrait disparaître trop vite.

1941-1943: Arthur Harris, commandant en chef de la flotte de bombardement stratégique de la RAF britannique, lance ses opérations sur l’Allemagne. Bombardements massifs (Area Bombing), avec l’objectif de démoraliser l’Allemagne. Quelles vont être généralement ses cibles? Les noeuds routiers et ferroviaires? Les usines d’acier ou de roulement à bille? Les barrages hydroélectriques?

Non, ou si peu.

En dépit d’une défense aérienne allemande médiocre (Göring était un piètre commandant aérien), qui aurait sans doute permis aux alliés d’arrêter la guerre dès la fin de 1943, s’ils avaient focalisé leurs bombardement sur ces cibles, selon les dires mêmes du ministre de l’armement allemande de l’époque, Albert Speer, ce sont les villes et les usines périphériques qui seront les cibles d’une campagne aérienne dont la stratégie échappait complètement à Speer. Au lieu de frapper les “sources” de l’industrie allemande, les bombardements toucheront les “embouchures”, tout à fait réparables.

Pire: les assauts répétés sur les villes vont ressouder le peuple allemand autour de ses chefs, en qui pourtant leur confiance s’était effritée au cours des derniers mois de 1942 avec l’enlisement du front russe, suivi du débarquement en Italie et de la défection de l’allié latin.

On était sans doute à un pouce d’une révolte ou d’un abandon faute de matériel… Speer admet qu’un bombardement de plus sur les usines de roulement à bille de Schweinfurt aurait stoppé la production d’armes lourdes (tanks, avions, navires, sous-marin), et donc précipité la fin du IIIe Reich. C’est tout le contraire qui arriva: il parvenait à produire tellement de matériel, qu’il n’y avait plus assez d’hommes pour les porter.

Les alliés n’avaient-ils pas compris à quel point leur stratégie correspondait peu aux objectifs avoués?

Ou fallait-il retarder l’affaiblissement de l’ennemi tant que l’on n’était pas prêt à débarquer, de peur que “d’autres” récoltent les lauriers ((Pour rappel, les Alliés occidentaux n’ont rien fait pour accélérer l’avancée de l’Armée Rouge, premiers arrivés à Berlon.))? Faut-il croire ceux qui pensent ques les USA voulaient réduire l’Europe à l’état de dépendant chronique de leur économie?

Ou penser que les stratèges alliés étaient des gros nuls? Ce que pensait manifestement Albert Speer qui voyait en Harris un “excellent partenaire”, puisqu’à lui tout seul il soutenait le morale du peuple allemand.

Est-ce parce qu’ils sont nuls que les Etatsuniens écrasent ou menacent d’écraser tous les Etats qui n’ont précisément aucun lien avec Al-Quaida? Saddam Hussein, Khadafi, l’Iran étaient loin d’être des copains de feu Oussama. Ou ne serait-ce pas parce que Al-Quaida tape bien plus sur les Chiites que sur les Sunnites? Ou est-ce parce qu’il faut se garder en permanence un ennemi crédible sous le coude?… ((A lire: Un article sur le site de Collon et au moins deux livres: Albert Speer, Le journal de Spandau et Joachim Fest, Albert Speer. Le confident de Hitler, parmi d’autres.))

La presse papier va disparaître…

November 26th, 2013

Le Monde De Tijd

La Libre Belgique

Libération

La Stampa

El Pais

Time

The Observer

The European

Le Figaro

La Repubblica

Le Point

Le Soir

La Dernière Heure/Les Sports

Het Laatste Nieuws

O Globo

Le Courrier International

Le Nouvel Obs

The Washington Post

der Spiegel

Financial Times

De Standaard

O Estado de São Paulo

Libération

A Folha de São Paulo

le Vif/L’Express

Le Moustique

Paris-Match

De Morgen

Die Welt

The New York Times

Il Corriere della Sera

Il Sole 24 Ore

L’Equipe

La Gazzetta dello Sport

Het Niewsblad

The Daily Mirror

La Voix du Luxembourg

The Herald Tribune

The Sun

Etc.

Etc.

Etc.

Est-ce que c’est vraiment grave?

Diviser la gauche par zéro

November 18th, 2013

Critiquer Rafael Correa… L’occasion m’est venue tout récemment dans une conversation avec un ami. Il faut dire que, après avoir résidé quatre ans au Brésil et mangé de l’information réactionnaire de là-bas à plus ne savoir la vomir, j’avais quelques arguments en ma faveur. Correa favorise les grandes entreprises et critique toutes les mesures laïques possibles. Et quand il finit par s’opposer à une grande pourvoyeuse d’esclavage et de detruction de l’environnement comme la bétonneuse Odebrecht (dont l’origine sinon le capital est brésilienne), ce n’est pas par souci social ou environnemental, mais parce que, ô surprise, les budgets ont explosé.

Oh, Rafael, tu plaisantes ou quoi? En même temps, qu’attendre d’un type qui a été éduqué par nos universités? Ses modèles ne sont sans doute pas reluisants.

Bon, et pourtant, après une minute d’arguments, je me suis rétracté: non, je ne veux pas me mettre sur le plan des critiques de Correa. Pourquoi? Je n’ai guère de sympathie pour lui, ni sur le plan politique, puisque je trouve sa gauche trop molle, ni sur le plan philosophique, avec ses références chrétiennes trop prononcées. Pour autant, et pour avoir vécu en Amérique Latine durant quatre ans, dans un pays bien plus riche -le Brésil-, quoique pas plus à gauche -et même sans doute moins-, je me sens astreint à une attitude intermédiaire et, je l’espère, temporaire, celle de refuser la critique de front sur les leaders, disons, de gauche, dans cette région.

Pourquoi?

Pour une première raison, c’est que les alternatives de gauche à Correa, Dilma ou Maduro sont à construire par les Equatoriens, les Brésiliens et les Vénézuéliens, et que nous n’avons sûrement pas de leçons à leur donner. Dans le même ordre d’idée, lorsque l’on sait d’où viennent ces Etats, d’où viennent encore l’Uruguay, le Nicaragua ou la Bolivie, on ne peut voir dans ces dirigeants qu’un mieux transitoire, en espérant qu’ils donnent aux habitants le goût du progrès social et l’envie de plus de révolte encore. C’est, semble-t-il, le cas, bien que de manière complexe et qu’il serait trop long d’analyser ici.

Pour une deuxième raison, c’est que nous avons déjà fort à faire avec notre propre gauche, nos propres gouvernants, notre Europe, nos pays. Si nous voulons vraiment influencer le monde, alors nous devons changer ce qui se passe ici et maintenant, en Europe, en Belgique, chez nous.

Là où nous avons prise.

L’Europe est l’un des leviers de commande du commerce international. La politique abdicatrice -au bénéfice des profits du capital- de nos dirigeants est l’une des plus honteuses de la planète. Peut-être la plus honteuse, car nous sortons d’une période qui impliquait une véritable opportunité de direction vers une gauche modérée qui aurait pu être acceptable si elle s’était étendue à l’ensemble de la planète. Je ne dis pas une gauche idéale, mais quelque chose qui aurait pu servir de tremplin vers un monde à la fois plus juste et encore perfectible.

Nos dirigeants sociaux-démocrates ont préféré se courber devant les milieux conservateurs et les bakchichs que ceux-ci offraient à leurs serviteurs en place, devenus leurs partisans, leurs avocats, leurs complices.

Ils sont parmi les premiers contributeurs de la situation internationale pour s’être systématiquement accordés avec les intérêts diplomatico-stratégiques d’une Organisation du Traité Atlantique-Nord qui, normalement, n’avait plus de raison d’être.

Ils sont à ranger parmi les complices des gouvernements autoritaires qui nous servent de résereves énergétiques, de la Birmanie au Qatar, en passant par les bonnes vieilles dictatures latino-américaines et les néo-colonies africaines.

Le fait que les Etats d’Amérique Latine se soient plus ou moins -plus ou moins- émancipés, ils ne l’avalent toujours pas. Ils nous l’ont encore montré en 2002, lors de la tentative de coup d’état contre Chavez, qu’ils s’apprêtaient à saluer avec soulagement.

Non, le régime vénézuélien, pas plus que celui de Correa, et encore moins celui de Lula et Dilma ne sont des exemples de gauche aboutie. Oui, je constate moi-même que dans ce pays auquel je suis particulièrement attaché, le Brésil, les événements sont inquiétants et qu’il n’est pas impossible que nous soyons au bord d’un précipice dangereux, avec, qui sait, peut-être, un retour en arrière, un grand bond vers un système autocratique. Le Brésil est un pays extrêmement fragile et toute avancée sociale y est combattue avec une violence incroyable, même si de loin les reflets en sont toujours chamarrés et mélodieux.

Non, je ne me satisfais pas des positions autoritaires du gouvernement chaviste, ni de la verticalité de la “révolution cubaine”, pas plus que de la mollesse équatorienne ou de l’illusion chilienne.

Non, je ne suis pas nécessairement d’accord avec les positions internationales de ces gouvernements non plus, encore que je les honore souvent en ce qu’elles sont plus souvent indépendantes de celles des USA et qu’elles développent des voies différentes, plus modérées, plus nuancées, que celles de la Chine ou de la Russie.

Mais, si informer sur ces pays est une bonne chose, et je continuerai à y contribuer dans la mesure de mes moyens, il faut le faire avec toutes les réserves que je viens d’évoquer: d’où ils viennent, ce qu’ils risquent en cas de retour en arrière, notre propre poutre dans l’oeil…

Et s’il faut le faire, je crois que ce doit être avec une forme plus constructive et moins insultante.

Notre combat, nous devrions le mener comme si nous étions encore au temps de la première internationale: à notre niveau, au service de nos syndicats, de nos coopératives, de nos luttes de base, contre notre bourgeoisie, et ne jamais crier avec elle sur un coup de diversion, telle une guerre lointaine dont nous ne maîtriserons jamais tous les tenants et aboutissants, tel un scandale international qui devrait plutôt nous faire sourire et qui implique des loups entre eux.

Quant aux procès sur ce qui est ou n’est pas de gauche, ils sont illégitimes et improductifs. Les crachats à la figure sur nos rares intellectuels compétents, sur des mouvements auxquels nous n’adhérons pas parce qu’ils ne respectent pas les principes dogmatiques que nous avons choisis en fonction de notre propre vécu, ou sur des pays lointains dont nous ne comprenons pas le tiers du quart (et, en dépit de mon expérience, je suis loin de saisir tous les éléments qui font du Brésil ce qu’il est), c’est indigne d’un esprit de gauche.

A force de diviser la gauche ou de la laisser diviser, nous sommes en train de la réduire à rien.

L’héritage, un aliment du capitalisme.

November 11th, 2013

L’héritage est à la fois une trace évidente de la patrimonialité de notre société, issue du droit romain, et un signe clair de ce que notre société est toujours aristocratique, dans le plein sens médiéval du terme.

Ce n’est pas du Moyen-Âge que nous vient l’héritage, mais il y est passé, y a entériné le droit de transmission familial que nous connaissons toujours, le droit du plus riche à faire de son fils un autre riche, du comte à faire de son fils un autre comte. Aucune révolution bourgeoise ne l’a remis en question, parce qu’il fait partie intégrante du droit de propriété.

Explication: dans la propriété, il y a trois éléments:
1) l’usus (ou usage), qui permet au détenteur d’un bien de l’utiliser de manière incontestée, comme un marteau sur un clou, même s’il appartient à mon voisin;
2) le fructus (ou fruit), qui permet de recueillir d’un bien ce qu’il produit, tel un arbre dans le jardin, même si je le loue;
3) l’abusus (qu’on ne peut traduire que par “abus”, mais les Latins ne l’entendaient pas comme nous, ce qui est ironique), qui est le noyau de la propriété. Les deux premiers sont également les deux droits que possède le locataire, le possesseur. L’abusus, c’est le droit du propriétaire de vendre, louer, céder, transformer ou détruire un bien, sans en référer à personne. Et dans ce droit, donc, figure la transmission, élément essentiel de la propriété, de la pérennité de la propriété, et par là de la pérennité du capital.

Or, si les riches transmettent beaucoup à leurs fils, les pauvres transmettent peu, voire rien, aux leurs. Et donc l’héritage entérine l’inégalité, reproduit les inégalités, les accroît même.

Si certains libertariens regrettent qu’un propriétaire ne puisse choisir ses héritiers en dehors de sa famille dans certains pays, comme en France ou en Belgique, où les enfants du riche sont protégés contre la liberté de celui-ci, il ne s’agit que d’un nuage de lait dans le noir de notre affirmation: l’héritage, par sa grande latitude, est une prolongation du pouvoir de décision du défunt sur le reste de la société. Et cela signifie qu’un mort a souvent plus de poids dans la société que des millions de vivants.

Est-ce juste?

D’où vient l’héritage? Est-il justifié dans son essence? Au-delà de la justice, comment explique-t-on l’existence même de l’héritage?

L’héritage remonte à l’époque des débuts du capitalisme.

Dès que certains hommes, spécialisés dans la garde du grenier, puis du temple où l’on amassait les réserves, où l’on gardait la trace comptable des têtes de bétail, où l’on mettait sous la garde des divinités les biens meubles et immeubles de la communauté, se furent assurés que leur progéniture allait reprendre leur charge, ils étrennèrent l’héritage. Ils justifièrent probablement cela aux yeux des autres membres du groupe par la compétence, à l’origine: voyez, j’ai appris à mon fils ce que je savais sur ma charge, il est donc le plus à même de remplir ma charge. Confiscation des savoirs.

Peu à peu, ces fils, ou petits-fils, après quelques générations, définirent des titres suffisants qui leur permirent, à la force du poignet, à la sueur du front des autres, sous la protection des plus forts du groupe, de s’auto-attribuer le succès de celui-ci, afin de réduire à rien la possibilité, la légitimité de la contestation de leurs prétentions. Peu à peu, ils devinrent gardiens officiels, sour les titres de prêtres ou de princes de la société.

Puis, ce dont ils avaient la charge, qui était à l’origine le bien de toute la communauté, devint peu à peu celui d’une entité abstraite, l’Etat, dont ils étaient les responsables. En quelques générations (dix? cent? qui pourra l’établir?), ils réussirent à créer un lien entre eux-mêmes et ces biens. Ce lien, c’est la propriété, puisque c’est le droit de transmettre sans devoir rendre d’autres comptes.

Lorsqu’il n’y avait qu’un gardien, la société était monarchique (pouvoir d’un seul). Lorsqu’ils étaient plus nombreux, elle était théocratique (pouvoir basé sur le divin) ou aristocratique (pouvoir des meilleurs). Avec l’accroissement de la population, ces oligarchies (pouvoir de plusieurs) devint la règle, en dépit de l’importance d’une tête au milieu de tous ces privilégiés.

S’il y avait un roi (et le vocabulaire dut apparaître assez vite), il y avait des adjoints, des prêtres autour qui collaboraient avec lui -et parfois le renversaient, aussi-, pour asseoir une caste supérieure sur le reste de la société, qui “croissait et multipliait” en dessous.

Le vocabulaire accompagnait la fonction, la fonction accompagnait la richesse accumulée, l’augmentation de cette richesse justifiait la conservation des titres, les titres se multipliaient, se sacralisaient, devenaient intouchables.

On érigea des statues, des monuments, des murs, des tombeaux, on mit en scène des gestes, des récits, des mythes, des généalogies, on établit des rites, des protocoles, des hiérarchies, des chambellans, on mit tout cela par écrit, sur la pierre, l’argile, la fibre, pour que les siècles des siècles reconnaissent le droit d’un homme de se prolonger dans la mort à travers sa famille.

Et les causes profondes de tout cela? Le pourquoi? Est-ce pour le bien de tous?

Il en va de l’héritage comme des mythes de la vie éternelle: on se figure qu’en se prolongeant après la mort à travers ses biens conservés, augmentés, transmis à sa progéniture, l’on s’assure une pérennité qui permettrait à son initiateur et à ses continuateurs de vivre pour toujours. Une illusion commode qui justifie l’inégalité.

Car qu’importe le sort de tous. La raison d’un homme deviendra la raison d’Etat. Quand l’héritage se répandra dans la population parmi les plus riches -comme en Grèce ou à Rome, la raison d’Etat se confondra avec la raison de la Gens -c’est-à-dire de la famille, du patriarche -il y aura autant de raison d’Etat qu’il y a de Pères de famille. Le vocabulaire s’enrichira d’autant, puisque même à Rome, qui n’est plus monarchique, on désignera encore de nombreux “Pères de la Patrie”. Le vocabulaire n’est jamais anodin.

Il y a là, on le remarque aussitôt, quelque chose d’une pathologie mentale. Aux spirituels, je suppose, il n’échappera pas le côté vain, inutile, orgueilleux de la manoeuvre de l’héritage. Aux matérialistes, je l’espère, l’inanité de celle-ci paraîtra encore plus évidente: quand on est mort, on est mort.

Alors qui peut y croire, hors les matérialistes et les spirituels? Il reste les religieux, dont la seule préoccupation est la perpétuation et la conservation de ce qui existe dans leur petit présent.

Que reste-t-il alors à l’héritage pour se justifier dans un système économique juste?

Les libertariens le justifient d’un trait: son utilité. Selon eux (je me réfère à Henri Lepage, dans son livre Pourquoi la propriété, qui en résume bien l’idée), l’héritage entraîne l’accumulation de capitaux tels qu’ils permettront la réalisation de projets qui, sinon, n’auraient pu se faire en dehors de la construction injuste des Etats.

On ne peut, dans ces lignes, que s’accorder sur le caractère injuste des Etats.

Cependant, nous ne pouvons permettre de laisser croire qu’il n’existe comme possibilités à, par exemple, l’établissement d’une ligne ferroviaire, ou la construction d’un pont digne de ce nom, que le capital privé et le capital d’Etat.

Le capital n’est pas le seul moteur du génie humain, même s’il est sans doute le plus puissant, ce qu’il est difficile de nier. Il n’est pas malaisé d’imaginer des systèmes de coopératives et de mutuelles horizontales vouées à la construction collective de structures complexes et élaborées. Il est possible qu’aucune de celles-ci n’aura l’idée de fabriquer une pyramide, une cathédrale, le Christ Rédempteur de Rio ou un porte-avion, mais est-ce bien à cela que l’on distingue le génie humain? Ces artefacts sont-ils bien à même d’améliorer la condition humaine? Il suffit, en outre, de penser aux merveilles du monde du passé, de se souvenir qu’à part la Muraille de Chine et les Pyramides de Gizhé, elles ont toutes disparu. Que la Muraille fut construite par des princes mégalomanes, ou plutôt sous leur égide par des quantités invraisemblables d’ouvriers, et que son utilité est très discutable -en dehors d’être un agent de soumission du peuple. Que les Pyramides, elles aussi fruits de leaders mégalomaniaques qui auraient fait paraître nos tyrans du XXe Siècle pour des amateurs, ont également été construites par des milliers de travailleurs exploités, fort probablement esclaves, dans le seul but de pérenniser un pouvoir illégitime en le divinisant.

Que ces constructions témoignent de la vigueur de l’intellect de leurs architectes, de leurs ingénieurs, cela ne fait aucun doute. Que ces savants eussent été bien plus utiles à travailler au bonheur des hommes n’est pas moins certain.

Les constructions mégalomaniaques du passé, tout comme les projets fous du présent, tels que les lignes de trains à grande vitesse traversant l’Europe de part en part, alors que des voies plus traditionnelles existent déjà, ont peut-être plus de chance de traverser les millénaires que les humbles maisons collectivement réalisées dans des civilisations plus égalitaires. Pour autant, je ne peux croire que les cathédrales, les forteresses B-52 ou le Kremlin aient pu rendre les populations qui les ont vu construire plus heureuses.

Je n’ai aucun mal à imaginer, parce que cela s’est déjà produit dans le passé, des initiatives collectives vouées à la construction de réseaux d’irrigation, de routes carrossables ou de carrières de matière première. Avec la technologie d’aujourd’hui, ce type de réalisation peut se faire plus facilement, peut s’étendre à des choses plus complexes, nécessite moins de moyens et d’autres, autrefois inenvisageable sans un roi ou un Rockfeller, sont tout à fait possibles à la vigueur de coopératives entrelacées et se mettant d’accord sur des projets communs.

Avec pour effet qu’un projet de grande taille ne pourra plus se faire sans l’aval des populations concernées. On n’aura plus le creusement d’une voie de chemin de fer en dessous d’une montagne menaçant un environnement et des villages, ni des barrages gigantesques, réalisés pour le profit d’entreprises lointaines. On se concentrera sur des projets plus modestes, moins contraignants. Il est pratiquement certain qu’il ne pourrait plus y avoir de centrales nucléaires parce qu’elles nécessitent des structures verticales et autoritaires, incompatibles avec la démocratie participative.

Par contre, des ingénieurs engagés par des collectivités réduites organiseront des petites centrales de production énergétique adaptées aux localités, avec des moyens de communication susceptible de transférer écologiquement le surplus de ces masses d’énergie en réduisant les pertes au maximum, parce que ces pertes ne pourraient plus être encaissées ni par les Etats, ni par des compagnies d’assurance, ni par des entreprises qui feraient retomber leurs pertes sur les prix.

L’héritage aboli, c’est toute la structure sociale qui devra être repensée au bénéfice du plus grand nombre. Parce que l’on ne pourra plus favoriser individuellement ses enfants, on fera tout pour que ses enfants jouissent de la société la plus égalitaire, la plus juste et la plus prospère dans son ensemble possible.

Délire? Rêve? Fantasme?

La voie est dans la ruelle.

October 22nd, 2013

Librement inspiré de ceci

La ministre Sabine Laruelle a averti hier le Machin Réformateur qu’elle arrêterait sa carrière politique en 2014. Elle ne compte plus siéger comme députée et ne sera pas sur les listes aux prochaines élections. (…) Elle veut partir avant de devenir trop cynique. Mais, tout de même, elle compte bien empocher sa prime de sortie parlementaire… Bref, elle démissionne, mais fait comme si on la licenciait. Attendez, non, c’est pas tout à fait ça, mais… Bon écoutons-la.

Sabine Laruelle (MR) a annoncé hier qu’elle mettrait fin à sa carrière politique en 2014. La ministre fédérale en charge des paysans, des petits exploiteurs… -tants (-tants, -tants, j’ai rien dit), et des vampirisés, ne participera même pas aux prochaines élections. Cette nouvelle a pris tout le monde entier de court, y compris au sein de son cabinet de toilette et à la CIA. Pourtant, elle a mûri cette décision depuis des mois (voire depuis des années, on n’a pas approfondi l’analyse).

Pourquoi annoncer maintenant votre départ? Il y a eu un événement spécial? Un coup dur politique de trop? On a raté un truc?

Les mots en gras sont vraiment de la blonde. Les trucs en italique sont vraiment du journaliste. Enfin, de l’interviewer… Du truc, là, qui sert la soupe…

Non, rien de spécial. Pourquoi annoncer cela maintenant ? Je m’ennuie. Faut bien se rendre compte que je n’ai pas un boulot, comme, disons, je ne sais pas, moi, un postier qui se lève tous les matins à cinq heures pour de nouvelles aventures jusqu’à l’âge de 65 ans. Ou un prof’, qui ne sait jamais ce qui va lui tomber sur la tête dans sa classe (d’ailleurs, ses élèves ne le savent pas non plus, c’est souvent de l’impro, c’est cool non?). Je ne veux pas faire la législature de trop, j’ai envie de nouveaux défis. Des trucs de ouf! qu’on ne fait pas au gouvernement, comme de commander soi-même une pizza chez Rob, ou de faire du vélo sur une piste cyclable…

Pourquoi serait-ce pour vous “la législature de trop”?

Je veux partir avant de devenir aigrie, stratège, alimentaire… Ma motivation s’érode. Je vais avoir 50 ans il faut savoir se remettre en question, c’est le bon moment de me demander ce que je veux faire des quinze prochaines années. Vous ne croyez pas qu’un ex-métallo de chez Mittal, ou un employé de CPAS devrait se poser la même question? Et la réponse est : faire autre chose que de la politique, je veux me mettre en danger. Ca, c’est le truc qu’un petit salarié, vous voyez, ben, il peut pas comprendre…

Pour faire quoi? Vous avez sûrement une idée quand même…

Je n’ai rien de prévu pour après. Enfin, rien jusqu’après mes vacances dans le Rif. Ca tombe bien, l’hiver arrive, je vais aller rectifier mon bronzage dans le Sud. Peut-être travailler dans une organisation internationale, dans une ONG… Ou alors reprendre des études. Le ciel est la limite, comme ils disent au pays de la droite décomplexée. Voilà ce qu’il faut se dire: il faut se donner l’occasion de se lancer! Vous allez me dire que la fille qui émarge des titres-services n’en a pas les moyens? Et alors? Elle n’a qu’une vie: ‘faut qu’elle arrête de s’en faire: si elle se plante sur ce coup-là, elle peut toujours se jeter d’un pont ou se pendre dans le bureau d’un de ses innombrables ex-patrons pour lui donner une bonne leçon.
Si je restais après 2014, je sens que je n’aurais plus assez d’enthousiasme. Tout m’énerve plus vite qu’avant. Ce n’est pas une solution facile, j’aurais pu choisir de rester députée. On est blindés de tunes et on n’a pas grand’chose à faire, on paie pas la plus grande partie de nos frais et ce sont les petites mains qui nous mâchent le travail.

Mais vous pourriez quand même pousser les listes. N’est-ce pas un gâchis pour le MR en province de Namur pour les prochaines élections?

Il faut rester modeste, personne n’est irremplaçable (rires, puis silence, puis de nouveau rires, puis reprend son sérieux). Il faudra réfléchir autrement pour la composition des listes, c’est vrai. Mais il y a des talents : François Bellot, Richard Fournaux, Anne Barzin… Bon, vous avez raison, ça risque quand même de faire un sacré gâchis pour le MR… Mais, bon, en même temps, on s’en fout… Comme si ça allait changer quelque chose dans la composition du prochain gouvernement. (rires derechef)

Donc vous quitterez aussi le Parlement en 2014. Avec votre prime de fin de législature?

Vous avez entendu ce que je viens de vous expliquer? Vous êtes sourd ou quoi? Je n’ai plus rien après. Rien de rien! La gêne, mon gars. Mon diplôme d’ingénieur agronome? Mais je l’ai hypothéqué, mon pote. Je vais vivre de quoi? Vous allez me donner une allocation? Vous vous imaginez que je vais vivre longtemps avec les 3000 euros du chômage? Quoi, c’est pas 3000 euros? Ouais, bon, j’en sais rien, moi… Je ne pars pas pour un autre poste ailleurs ni pour diriger une entreprise publique, moi… Donc là, je n’ai rien après. Je ne sais pas où j’en serai dans sept mois. Le chômage et son cortège de misère, comme disait Blier… Enfin, heureusement, j’ai mon carnet d’adresses… (murmure) Faut bien que ça serve à quelque chose d’être député…

Votre prime parlementaire s’élèvera à combien?

Je n’en sais rien du tout. Mais, cette prime, ça sert justement à ceux qui quittent la politique, non? Bon, d’accord, moi je la quitte volontairement, mais après dix ans quand même… Dix ans de service dans le confort total, le chauffage central et la vie royale. On ne renonce pas à ça sans une petite compensation, non? En plus, si je ne trouve pas un truc à ma mesure, je n’aurai plus droit aux feux de la rampe… J’adore ça, les caméras, les journalistes… Vous faites quoi, après le bouclage?…

Heu… Certains aspects de la vie politique ne vous ont jamais vraiment intéressée: les sections locales, les soupers-boudins… Vous quittez tout cela aussi.

Les soupers-boudins, ça n’a jamais été ma tasse de thé, c’est vrai. Parler avec des retraités, des employés, des pauvres… Pff… En plus, la qualité de la bouffe, je vous dis pas… Par contre, j’adore parler à des conférences et porter des dossiers au gouvernement. Ca, c’est super délire. On m’a tout préparé, je dois juste apprendre des petites phrases choc par coeur et les répéter jusqu’à ce qu’elles deviennent des vérités, et les dossiers, c’est génial aussi: les intercalaires de couleur, les chemises en plastique, les rondelles pour les trous. C’est un monde, vous savez. ‘Faut absolument que je trouve un autre boulot où je pourrai avoir tout ça, mais sans les soupers-boudins.

Vous voulez aussi éviter de vivre la prochaine période de formation du gouvernement qui risque d’être très difficile?

Boh, non, ça c’est plutôt rigolo… Vous vous rendez compte? La dernière, 500 jours sans gouvernement! Ca voulait dire qu’on travaillait finalement encore moins que d’habitude! Même pas de dossiers du gouvernement à traiter! Je pouvais me contenter de compter mes gommettes et de vérifier mon stock d’intercalaires! Tout ça pour le même salaire! De temps en temps une réunion avec les socialos… C’était plutôt rigolo, on ne devait même pas se coltiner les flamands: c’est Elio qui s’occupait de tout… Enfin, Elio… Son équipe quoi, parce que, bon… C’est pas Louis qui lui a appris la langue de Vondel, hein… (rires)

Vous avez dit ce lundi à vos collaborateurs, en annonçant votre départ en 2014, qu’ils ne seraient pas “recasés” ailleurs…

Qu’ils se démerdent!

Aube de guerre -A l’Ouest, rien de nouveau…

September 2nd, 2013

Fausse photo, faux reportage, fausses preuves…

Rien de bien neuf.

John Kerry, ancien prétendant au trône suprême, ment pour son pseudo-maître (et pour ses vrais maîtres), tout comme Colin Powell mentait il y a un peu plus de dix ans…
Pas de surprise, même pas de déception -l’adage de Chomsky sur les présidents des Zuessa coupables aux yeux des principes de Nuremberg ne fait guère que se confirmer, de Républicains en Démocrates, de Démocrates en Républicains… Que pouvons-nous attendre de ce côté-là de l’Atlantique? Guère moins, guère plus -guerre moins, guerre plus- que ce à quoi il nous a habitué depuis qu’il a supplanté la Grande-Bretagne dans le grand jeu des civilisations…

Soit.

On doit s’attendre, selon les bon vieux “Principes de propagande de guerre”, aux mensonges, manipulations, faux et usages de faux, pour lesquels aucun dirigeant de chaîne, aucun directeur de journal, aucun communicant d’aucune obédience ne sera jamais mis en cause, jamais jugé, jamais condamné pour avoir sciemment trompé l’opinion publique.

L’opinion publique… Le grand ventre mou de la démocratie représentative…

Ah, la démocratie, la sociale-démocratie! Ah, si seulement elle marchait, comme je serais social-démocrate! Ah, qu’il serait doux de vivre dans le monde idéalisé par le grand marché d’Adam Smith l’optimiste, matiné des douceurs parlementaires des honnêtes hommes, des gentlemen, des “commons”, des Jules Ferry! Ah, que la vie serait intéressante au milieu de ces débats s’ils ne concernaient que des arguments rationnels et si aucun intérêt particulier ne venait se justifier de son lobbyisme par son droit à la liberté d’expression! Ah, si Mélenchon était ce qu’il y avait de plus à droite en politique!

Aucune expérience, par le passé, de parti politique arrivé au pouvoir ne peut décemment avoir convaincu une personne de gauche, aspirant à un monde meilleur. Il semble que les adages sur la corruption du pouvoir, et qui remontent au XIXe Siècle, sont nés pour ne jamais mourir.

Mais revenons au présent, revenons à l’actualité, à l’information, au brevage nauséabond que nous dégustons tous les jours… Désormais, le grand méchant (qui est en outre svelte, cette-fois-ci, et de nouveau moustachu) se trouve pile entre la Turquie (démocratie douteuse, qui ne mérite même pas son entrée dans la pourtant permissive Union Européenne, c’est dire), l’Etat colonial d’Israël (mais qui est, bien entendu, l’unique démocratie au Moyen-Orient, ce qui nous rappelle que le Liban n’aura donc jamais droit à ce statut) et la grande victoire étatsunienne d’Irak.

Un dictateur, Bachar? Sans aucun doute. Au moins autant que les dirigeants d’Arabie Saoudite, du Bahrein et du Qatar. Probablement guère meilleur que de nombreux autres présidents plus ou moins bien élus dans de nombreuses régions du monde. Et même parmi des présidenzélus.

Mais nos droits à intervenir dans des situations aussi troubles que celles de la Syrie existent-ils?

Non. Aucun argument du genre “Il faut”, “Nul doute”, “Complice du tyran”, “Cris du peuple syrien” ne saurait, ne devrait nous tromper une fois de plus.

C’est une nouvelle guerre que l’on tente de nous vendre.

Ce sont de nouveaux communicants qui cherchent à nous flatter la fibre droitdelhommiste pour justifier les affairismes de certains et les intérêts géostratégiques d’autres.

Oui, certes, l’Occident a réagi trop tard à ce qu’il se passe en Syrie (mais pourquoi alors se limiter à la Syrie?). Mais en fait, non, il n’a pas réagi trop tard. Les informations sur la Syrie nous sont connues -et méconnues- depuis deux ans et plus. Depuis deux générations de présidents autocrates connus et tolérés. Une fois de plus, cette réaction tardive n’est que le fait de la pertinence de la réaction. Avant, il n’était pas intéressant de se manifester en Syrie parce que ce n’était pas à l’agenda de suffisamment de personnes intéressées par le sujet.

Aujourd’hui, les ressources syriennes le motivent et l’agenda politico-militaire le permet.

Rien d’autre, ni la justice, ni la morale, ni l’éthique, ni les morts, ni les souffrances.

En l’occurrence, et vu la manifeste mauvaise foi des va-t-en-guerre, j’avertis mes amis “en politique”:
Tout qui se manifestera en faveur de notre intervention en Syrie, même par un “oui de combat” hypocrite, ne méritera plus que mon opprobre et, je dirais, mon mépris.

Il n’y a pas plus de raison d’intervenir en Syrie qu’il n’y en avait de juste d’intervenir en Irak ou en Afghanistan, et on ne peut rien -RIEN- attendre de positif d’une telle intervention, comme on le constate, dix ans après les faits, dans ces deux derniers -et pauvres- pays.

Ceci s’adresse en particulier à mes amis dont les fibres sociales ou écologiques m’étaient sympathiques. En particulier ceux d’entre eux qui jouent depuis une quinzaine d’années -ou plus- que je les connais à la bergère et à ses pommes, à ses “trois pas en avant, trois pas en arrière”…

Agir, c’est parfois refuser de le faire. C’est parfois refuser que l’on agisse en notre nom.
Il arrive, de plus en plus souvent, que l’action courageuse soit l’abstention, l’objection.
Il est de plus en plus vrai que “Non” soit plus progressiste que “Oui”.

Non à la guerre, non à l’intervention militaire de tout Etat à l’extérieur de ses frontières, non à l’aggravation de la situation en Syrie.

Oui à l’ouverture de discussions horizontales pour trouver des solutions originales et intelligentes à des problèmes aussi cruciaux que ceux-là.

Un petit tirage au sort? Hm! Oui alors!

Que diable est-il en train d’arriver ? Une analyse en trois actes.

June 23rd, 2013

Un article signé par une sociologue brésilienne, docteur de l’USP et professeure de l’UFRGS, Raquel WEISS
L’original se trouve sur le site suivant:
http://www.socionautas.com.br/2013/06/que-diabos-esta-acontecendo-uma-analise.html

Face à la multitude qui s’est emparée des rues dans plusieurs villes de notre pays, lundi dernier 17 juin, le thème qui revenait le plus souvent dans la presse était l’indignation envers les événements. Qui sont ces gens ? Que veulent-ils ? D’où ont-ils surgi ? Journalistes, scientifiques, politiciens, tous s’interrogent à ce sujet. Répondre à ces questions ne sera pas chose facile, et je ne pense pas qu’il existe une réponse unique et définitive, d’autant plus qu’il s’agit d’un mouvement en cours. Mais ceci ne peut être une excuse pour ne pas chercher à comprendre, et ce que je propose ici est une tentatitve d’analyse à partir du répertoire théorique que je considère adéquat, dans le cadre d’une approche proprement sociologique, et considérant des événements, des idées, des déclarations et des actions avec lesquels nous avons eu des contacts, et qui nous ont amenés à la construction de ce dialogue conjoncturel. L’analyse en trois actes qui suit prend en compte non les manifestations en tant que phénomènes isolés, mais la situation dans laquelle elles se trouvent inscrites, observe les différents acteurs qui agissent et réagissent aux protestations. Chaque acte correspond à différents moments de ce processus et attire l’attention sur différents aspects qui y sont liés.

Premier acte : Pour 20 centimes.

Les manifestations qui protestaient contre l’augmentation des tarifs de transport de bus ont beaucoup gagné en visibilité à travers tout le pays, surtout en raison de l’énorme volume de personnes qui descendirent dans les rues pour exprimer leur mécontentement. Dans les médias, dans les couloirs, de tout côté, on entendait les personnes se demander : tout ce « boucan, c’est vraiment pour 20 centimes ? ». Et bien, oui. C’est-à-dire, plus ou moins. C’est l’objectif le plus évident, mais ce n’est pas un objectif qui serait venu de nulle part, d’un jour à l’autre. Et ce n’était pas l’unique objectif des manifestations. Plusieurs autres manifestations traversent le pays, et même le monde, pour le dire vite, avec les revendications les plus variées, depuis les plus explicites, comme dans le cas de la « marche de l’herbe », jusqu’à des mouvements plus complexes comme Occupy au États-Unis d’Amérique.
Dans le cas particulier du Brésil.ce que nous avons besoin de comprendre, c’est que depuis longtemps déjà, existe un mouvement infatigable de la société civile, mais sous des formes que nous n’avons pas l’habitude de considérer comme des formes d’action « réellement politiques », parce qu’elles échappent aux modèles traditionnels de « médiation ». Ce ne sont pas des partis, ni des mouvements sociaux structurés de formes plus traditionnelles, avec des structures hiérarchiques et des formes d’organisation centralisées et bien claires.

Il s’agit d’un autre univers qui, pour le regard d’un observateur non-averti, fait penser à « une bande de jeunes qui font la fête », ou quelque chose de ce genre. Des expressions apparaissent, qui ne correspondent pas aux analyses traditionnelles concernant la vie politique : collectifs, horizontalité, intervention urbaine. Les noms les plus bureaucratiques et les plus sérieux qui évoquent les partis et les mouvements sociaux traditionnels cèdent la place à des appellations moins prétentieuses, dont le sens, le plus souvent, n’est pas explicite : « L’amour existe à São Paulo », « Mouvement passe libre », « En dehors de l’axe », « À la dérive », « Masse critique », « Bande culturelle », et ainsi de suite.

Soit ! Ils n’ont pas d’organisation hiérarchique, ni ne veulent assumer la forme d’un parti. Mais alors que veulent-ils ? La réponse, cependant, est sans doute aussi variée qu’il existe de ces « mouvements ». Pour autant, il est peut-être possible d’ébaucher une certaine manière de penser une unité : ce sont des personnes, dans la plus grande partie des cas « jeunes », qui se réunissent parce qu’ils partagent une vision du monde, avec l’intention d’inférer d’une certaine manière dans l’ordre des choses. En général, ils promeuvent de nombreux événements et discussions au cours desquels les causes que chaque mouvement défend sont débattues : cela peut être la mobilité urbaine, la lutte pour la légalisation de l’avortement, de la promotion de causes identitaires, etc. etc. etc. Le point de départ est toujours le diagnostic d’un mal, soit dans la ville, soit dans l’Etat, soit dans le pays, voire même dans le monde entier.

Les « ennemis » combattus par ces mouvements ne sont pas aussi facilement identifiables que par le passé. Serait-ce une réponse au manque de sens qui caractérise notre monde contemporain ? L’absence d’un « ennemi unique » contre lequel lutter n’a cependant pas comme conséquence l’absence de proposition ou l’absence d’une cause concrète. L’ennemi n’est plus « la dictature ». Ils valorisent la démocratie, et ne sont d’ailleurs possibles que parce que la démocratie existe. Ils ne veulent pas en finir avec elle, ils ne veulent pas dire « tout cela est une saloperie, jetons tout et recommençons à zéro ». Ils veulent, bien au contraire, prendre position face aux milliers de problèmes concrets qui ne sont pas résolus par la simple existence d’une démocratie. De fait, nous le savons, la démocratie n’est jamais qu’une forme, dont le contenu est construit par les personnes qui y vivent, les personnes qui ont la responsabilité de penser sur ce que nous voulons, sur les conséquences des lois, des pratiques, des politiques publiques.

Il s’agit de mouvements qui, donc, s’emparent de la démocratie, mais ne se contentent pas de laisser les décisions sur tous les sujets dans les mains des représentants élus. Mais ils ne sont pas contre les partis. Ils ne veulent pas abolir, ni remplacer le rôle joué par les partis. Sans doute existe-t-il ici une autre conception de la démocratie : il ne s’agit plus de la démocratie représentative, du type, j’ai voté, et je ne me préoccupe plus de rien, ni d’une démocratie au sens strict. Il s’agit de l’idée selon laquelle la politique se fait tous les jours, par tout le monde. C’est la réaction aux injustices sociales et aux attaques identitaires commises quotidiennement, et qui finissent par être telles qu’elles deviennent loi : l’augmentation du prix du transport public, les légisations sur l’avortement, les lois qui traitent de l’homosexualité comme une maladie, et ainsi de suite.

Dans le contexte de ces groupes, c’est une manière de s’organiser autour de valeurs partagées qui sont réévaluées et réfléchies. Et, naturellement, beaucoup d’objectifs sont transversaux, sont partagés par plusieurs mouvements différents et représentent la vision du monde de nombreuses personnes. C’est un peu ce qui est arrivé tout récemment avec l’augmentation des tarifs de bus : à travers tout le pays, il y avait déjà beaucoup de groupes mobilisés qui réfléchissaient sur les différentes décisions politiques, s’enrichissant de discussions profondes sur le sens de l’espace public et la question de la mobilité. Quand des gouvernements municiapux annoncèrent un peu partout qu’ils allaient augmenter le prix d’un service qui était déjà fort peu accessible, le mouvement a gagné une force inimaginable. Il s’agissait de personnes qui adhéraient déjà à cette cause et qui possédaient un grand pouvoir de mobilisation rendu visible, naturellement, par les réseaux sociaux. Il s’agissait d’une cause considérée juste par une large partie de la population, ce qui a mené beaucoup de gens dans les rues, à cause de 20 centimes.

Deuxième acte : les étudiants bruyants et les gens bien pensants.

La conséquence inévitable d’une revendication qui conquiert de nombreux adeptes et qui n’a pas de résultat est, évidemment, la protestation. Et protester, dans ces cas, ne se fait pas seulement sur Facebook ou Twitter. Ce sont bien sûr des plates-formes importantes, d’échange d’idées et de mobilisation. Mais c’est dans la rue, quand elle est prise, que tout se passe. Par là apparaît un fait entièrement nouveau : les individus qui auparavant étaient isolés, ou qui n’agissaient que dans des petits groupes, se réunissent maintenant en une masse conséquente. Ils marchent ensemble, chantent ensemble, rythment ensemble, crient ensemble. Une véritable métamorphose s’opère. Ces idées qui étaient jusque là simplement bonnes et justes se transforment en valeurs ultimes et irréductibles, acquièrent un caractère presque sacré, inviolable. Et les individus se sentent plus forts : ce que chacun est dans le groupe n’est plus la même chose que lorsqu’il était seul. Et tout ce qui est produit dans ce contexte en vient à être investi de cette énergie extraordinaire.

Il s’agit du processus qu’en sociologie on appelle « effervescence collective ». Cette idée a été développée par un auteur qui m’est particulièrement cher : Emile Durkheim. Il décrit ce phénomène en lui attribuant un caractère « dynamogénique ». L’idée de dynamogénie, qui trouve son origine dans la biologie, signifie une altération des fonctions organiques en rapport avec une intense élévation du tonus vital, engendrée par une surexcitation. Les moments de manifestation sont des moments d’effervescence par excellence, des moments au cours desquels tout semble faire sens, l’individu fait l’expérience d’une énergie énorme, et ceci fait en sorte que la cause pour laquelle il lutte devient la chose la plus importante de sa vie, au moins dans ce présent. Selon le même auteur, ces situations d’effervescence peuvent rendre ces individus capables d’actes héroïques inimaginables, mais également d’actes destructifs. Il est impossible de prévoir le cours des choses, et il est difficile de savoir comment chaque individu réagira face à ces situations.

Quel qu’en soit le résultat, l’expérience de prendre part à une manifestation de cette envergure est quelque chose de transformateur, d’inoubliable et que les individus ne veulent pas voir se terminer. Et, de fait, pour que les valeurs envisagées dans ce contexte continuent à avoir le même attrait, il est véritablement nécessaire de revivre périodiquement ces moments, pour nourrir la foi dans ces idéaux. Ceci garantit une continuité du mouvement et même permet qu’il croisse. Mais, évidemment, la prise des rues provoque une autre conséquence : la réaction de ceux qui y voient leur quotidien perturbé. Qui n’y trouve pas son compte, qui ne partage pas la cause, voit dans ces manifestations rien d’autre qu’un obstacle. Et les personnes qui interrompent leur vie pour faire ce genre de choses, ce ne peut être qu’une bande d’étudiants sans occupation, dont le futur est assuré, qui veulent s’amuser et dérangent la vie des citoyens bien pensants qui doivent aller travailler.

Et, face à ce diagnostic, lourdement repris et répété par la « grande presse », il est plus que naturel que les citoyens bien pensants aspirent à l’ordre, ce qui signifie en finir avec le blocage du trafic et tout ce qui interfère dans la routine. Et qui est responsable de l’instauration de l’ordre ? La police, naturellement.
A un moment déterminé, la police ne réagit pas seulement aux situations considérées comme illégitimes [comme des graffiti, des déprédations, par exemple], mais va bien plus loin : elle fait usage de la force [avec tout l’appareil à sa disposition] pour contenir la manifestation elle-même, comme si la manifestation en soi était un acte illégitime. Je fais ici référence au 13 juin dernier, naturellement, à São Paulo. Personne n’a été épargné. Qui que ce fût, quoi qu’il fît, les coups pleuvaient.

Les scènes enregistrées ont heurté à ce point la conscience publique, allant jusqu’à provoquer l’irritation d’organismes internationaux, qu’il fut difficile de considérer ce type d’action policière comme légitime. Il fut difficile d’accepter que le désir d’ordre fût plus important que l’État de Droit, que les Droits de l’Homme, que la liberté d’expression démocratique. Et c’est ici que commence le retournement de cette histoire.

Acte 3 : Ce n’est pas seulement pour les 20 centimes – C’est pour tout.

Le jour qui suivit la manifestation évoquée plus haut, les moyens de communication, de manière presque miraculeuse (?), commencèrent à raconter de nouvelles versions de l’histoire du mouvement : il y avait eu un problème de respect du côté de la police. Les bons citoyens devaient se mobiliser contre l’arbitraire. Le mouvement est légitime. Les bons citoyens devaient faire partie du mouvement, pour lutter pour un Brésil meilleur, contre la corruption, contre tout. Une vague de patriotisme envahit le pays. Il semblait que chacun se retrouvait dans le sentiment d’appartenance à la nation et voulait faire partie de ce moment historique. Ou de cette grande fête. Même des jeunes qui ne se sont jamais approchés d’une manifestation adhéraient au mouvement, ce qui, en principe, pourrait être quelque chose de très positif. Au vu des centaines de milliers de personnes qui ont pris la rue, c’était la joie de tout côté parce que « le géant s’était réveillé ». Entre vendredi et lundi, quelque chose est arrivé qui a réveillé le pays. La presse qui, auparavant, critiquait amèrement le mouvement, désormais l’exaltait, à pleins poumons. La grande question est : que s’est-il passé ?

Je crois que personne, en pleine conscience, ne croit réellement que ceci puisse signifier une prise de conscience de la part de la presse. Il s’agit, en fait, d’un coup de maître. Nous pouvons recourir à une métaphore pour l’éclaircir. Plutôt que de s’employer de front contre une force opposée à ses intérêts, elle a eu recours à quelque chose de caractéristique des arts martiaux : je n’attaque pas de front, j’absorbe l’énergie et je la rends dans une autre direction. Ce qui renverse l’opposant, c’est la force qu’il a lui-même engendrée. Simple, efficace, génial.

Autrement dit, plutôt que de critiquer les manifestations, les médias les ont transformées en quelque chose qui réponde à leurs intérêts, en incitant une masse de plus en plus grande de personnes à y prendre part. L’effervescence qui était déjà grande est devenue gigantesque. Il faut ici rappeler quelque chose de crucial : l’effervescence est en elle-même neutre. C’est une énergie qui peut créer, conserver ou détruire. Elle confère un caractère de sacralité à n’importe quel idéal qui a les faveurs d’un groupe d’individus. La manifestation n’est pas un lieu de débat, de formation d’opinion. C’est un lieu où les opinions déjà formées se manifestent et gagnent une intensité jusque là inespérée. Et il n’est pas difficile d’imaginer ce qui arrive lorsque les mots d’ordre se comptent par dizaines dans une seule manifestation. Encore plus lorsque les mots d’ordre ne sont pas seulement différents, mais contradictoires. Et quand il ne s’agit pas seulement des mots d’ordre, mais bien de véritables cosmologies (ou de visions du monde, ndt).

Le mouvement qui avait commencé en se positionnant au-delà des partis, mais s’accordant sur des visions de centre-gauche, comptant par ailleurs sur l’appui de partis de gauche, d’un jour à l’autre se vit dépassé par des personnes à leurs côtés qui s’opposaient à la présence de tout parti. Et qui avaient un discours d’opposition au gouvernement brésilien. D’opposition à la présidente de la république. On entendait des cris du genre « Dehors Dilma » (du nom de la présidente, Dilma Rousseff, ndt). Et, face à cela, deux scénarios paraissaient possibles, tous deux très intéressants pour l’opposition : un impeachment, plaçant Michel Temer (le vice-président, conservateur, ndt) dans la ligne successorale, ou la défaite aux prochaines élections pour le centre-gauche, de préférence avec la victoire d’un candidat de centre-droit.

Et comme si l’histoire n’était pas déjà suffisamment compliquée, voilà qu’elle allait se troubler encore. Ce ne sont plus seulement ces acteurs qui sont en jeu. Comme l’affirma Paulo Peres, politologue, ce mouvement a catalysé toute une série d’insatisfactions et a ouvert une « boîte de Pandore », de laquelle tout peut sortir : sans-partis critiques du gouvernement, anarchistes qui trouvent dans la destruction du patrimoine une de leurs formes d’action, skinheads et néonazis qui sont les partis de gauche, noirs, homosexuels et qui sait qui encore… Mais les médias persistent à montrer que les troubles ne sont que le reflet d’une minorité et que le mouvement est beau.

Aujourd’hui, jeudi 20 juin, ces différences sont encore attisées. La lutte pour les 20 centimes est d’ores et déjà gagnée. Les dizaines de mots d’ordre poursuivent leur chemin dans les rues, avec de nouveaux dédoublements. A São Paulo, des agressions entre les manifestants eux-mêmes, en particulier des skinheads et des néonazis. A Rio de Janeiro, des actes extrêmement violents contre des bâtiments publics. A Porto Alegre, la combinaison d’une action démonstrative de la Brigade Militaire et d’actes de déprédation contre de petits établissements commerciaux, réalisées par des personnes que l’on ne peut identifier. On ne sait pas qui ils sont ni ce qu’ils veulent. Le sentiment de tension et d’insécurité nous amène à nous poser des questions sur ce qui est en train de se passer. Chacun donne à sa manière du sens à ce qui arrive. Mais, sans aucun doute, apparaît de tous les côtés une sensation que quelque chose ne va pas.

Aujourd’hui encore, j’ai pris un taxi, où j’ai eu un échange verbal troublant. Le chauffeur m’affirmait qu’il était en faveur de la manifestation. Qu’il pensait, en fait, que l’on devrait tout casser à Brasilia (la capitale du pays, ndt), se débarrasser du gouvernement. Lui demandant qui il faudrait mettre à la place de Dilma, j’ai eu une réponse à laquelle je ne m’attendais pas : « Ca pourrait être un militaire, parce qu’eux au moins ne font pas de politique, et ils remettraient de l’ordre dans cette barraque. » Ni les pétistes (partisans du PT, le parti de Dilma Roussef, ndt), ni les toucans (opposants du PSDB, centre-droit, ndt), ni une victoire de l’extrême-gauche, ni aucun mouvement social.

Pour reprendre une expression de Max Weber, c’est le paradoxe des conséquences. Nous sommes les artisans de notre histoire, mais nos exigences ne sont pas les seules en jeu. Il existe des intérêts de tous types, certains portés par un appareil de propagande et d’investigation au-delà de notre capacité d’imagination. Il est temps pour nous aujourd’hui d’être intelligents. Il est temps d’utiliser notre raison un peu plus que nos sentiments, car il nous faut de la stratégie, de la lucidité. Il est temps, une fois de plus, de prendre l’histoire entre nos mains, de faire un diagnostic sérieux de présent, histoire de parvenir à nous construire un futur où seraient préservées ces valeurs qui nous sont les plus précieuses, parmi lesquelles, la liberté, la liberté responsable, dans le sens le plus profond du temps, la liberté de continuer à exprimer nos exigences et notre vision du monde.

Raquel Weiss
Professeure de sociologie de l’UFRGS.

“Venez, venez dans la rue”

June 21st, 2013

Eclaircissements sur le mouvement de protestation brésilien, en particulier à São Paulo

Ces deux dernières semaines, un large mouvement de protestation dans plusieurs grandes villes du Brésil a semblé rassembler des centaines de milliers de personnes dans les rues, donnant l’apparence d’une vague uniforme. Rien n’est pourtant moins évident.

Comme souvent au Brésil, quand il s’y passe quelque chose, il s’en passe beaucoup trop. En périphérie des interrogations légitimes sur la mobilisation de l’argent public en vue des événements sportifs des années 2014 et 2016, dont les exigences urbanistiques ont de larges répercussions sur des quartiers entiers de personnes souvent en état de fragilité importante, ce sont aujourd’hui des mouvements de protestation impressionnants qui secouent de nombreuses villes du pays, à commencer par les deux plus importantes en terme de population : Rio et São Paulo.

Et ce n’est pas tout : une proposition d’amendement de la constitution, connue sous le terme PEC37, propose de limiter le pouvoir d’investigation du Ministère Public, ce que nombre de personnes pensent être une espèce d’action de protection des politiciens contre la justice. La réalité est plus confuse : selon certains juristes, c’est le PEC33 qui est bien plus dangereux à cet égard, visant à « limiter l’autonomie du seul pouvoir qui ait encore un peu de respect au Brésil », nous précise Leandro Kfouri Bianchini, juriste pauliste. Ce pouvoir, selon lui, c’est la Cour Suprême, espèce de garde-fou contre les abus les plus flagrants de la classe politicienne brésilienne, mélange de Cour Suprême américaine et de Cour Constitutionnelle européenne. L’épouvantail PEC37 agité par la presse et de nombreux manifestants, semble, lui, vouloir mettre un peu d’ordre dans la confusion des attributions judiciaires ((Voir pour information le site suivant : http://www.anonymousbrasil.com/politica/uma-analise-sobre-os-textos-das-pecs-33-e-37/)).

Dans un autre ordre d’idée, une proposition de loi vient encore d’être renvoyée aux calendes grecques, probablement en raison de l’agitation actuelle. Cette proposition a connu une récente notoriété sous le nom de « cura gay » ; elle est censée permettre aux psychologues de « traiter » les homosexuels. Cette proposition de loi émane de députés membres d’Eglises Evangéliques. Par contre, « il n’y a pas de loi autorisant le mariage gay au Brésil, mais la Cour Suprême a déclaré qu’il était anticonstitutionnel de les empêcher. Et donc, dans la pratique, ils se font, » nous explique Leandro.

MPL et les origines des agitations

C’est donc dans cette ambiance que les slogans ne pouvaient manquer à l’appel du MPL ou « Mouvement du Passe Libre » (Voir encadré), qui, depuis plusieurs années, milite pour un meilleur accès aux transports collectifs ((Collectifs, mais pas vraiment publics, puisque ces transports sont contrôlés par des entreprises privées.)), et surtout à moindre coût. Une toute récente augmentation du prix des transports collectifs (métro, bus), dans les principales villes du pays, a mis le feu au poudre. Le MPL a réussi à galvaniser une grande quantité de personnes, notamment des étudiants, qui, comme les médias européens l’ont fait savoir, ont longuement manifesté, tant à São Paulo, qu’à Rio et ailleurs, jusqu’à obtenir, ce 19 juin, la suppression de cette augmentation des tarifs.

« Groupe de militants depuis 2005 pour l’instauration du « passe libre » à São Paulo, le MPL s’est transformé en un mouvement national de lutte pour une nouvelle gestion de la mobilité urbaine, basée sur le transport public, gratuit et de qualité. Le MPL estime que cet objectif est possible si l’Etat renonce à ses investissements dans les transports privés et les reportent sur les transports publics. », d’après Dirceu Franco, historien. « Le MPL est un mouvement social indépendant et horizontal, sans président, dirigeant, chef ou secrétaire »

Ces manifestations furent tout d’abord très froidement accueillies par les couches sociales traditionnellement réactionnaires, et notamment par les médias. Mais suite à certaines violences policières, touchant notamment des journalistes, on eut une impression de retournement de la situation. « Ainsi, dit Amanda Vasconcelos Brito, étudiante en histoire de l’art, nous sommes passés d’une manifestation de « vandales » (comme la presse voulait la qualifier), à une « manifestation légitime d’un état démocratique » (pour moi, ce l’était depuis le début). » Désormais, ce n’était plus seulement les groupuscules d’extrême-gauche, les libertaires ou les seuls mouvements citoyens qui s’enflammaient, tant sur la toile que dans la rue, mais une bonne partie de la population bien-pensante, mais cette fois agitée de nouveaux slogans tels que « Je suis brésilien et fier de l’être », « Assez de corruption », « Pas de parti », vite rejoints par « Tous contre Dilma » (Dilma Rousseff étant l’actuelle présidente de la République), voisinant des « Non au PEC37 » et des appels à ne pas venir à la Coupe du Monde de l’année prochaine.

« Un ami vient de me dire que nombre de ses amis réactionnaires ne cessent de poster des trucs contre le gouvernement actuel. Tous veulent en profiter, évidemment… Des choses du genre : Plus de Bolsa Familia ! » ((Bolsa familia est un programme d’aide aux plus démunis, généralement attribué sous forme d’une carte de crédit alimentée mensuellement et mise à la disposition, la plupart du temps, de mères de familles.)), nous rapporte Bianca Antunes, rédactrice et éditrice à São Paulo. Ces « manifestants issus de la classe moyenne (…) semblent depuis un bon moment (et même depuis toujours, je crois) mécontents du gouvernement du PT, on parle même déjà d’une procédure d’impeachment de la présidente. Comme si ça allait résoudre quelque chose », constate Amanda.

Les critiques contre la présidente de la République, légitimes à d’autres occasions, n’ont guère de sens ici : « L’augmentation (des tarifs de transports) est le fruit d’un accord entre les gouvernements des Etats et ceux des villes », nous apprend Plinio Birskis Barros, licencié en Lettres de l’Université de São Paulo. Rien à voir, donc, avec l’Etat Fédéral. Mais tout est arrivé, comme dans un entonnoir, sur les images des manifestations, et la présidente a toujours été la cible privilégiée des classes sociales les plus réactionnaires. Par facilité surtout, car, si donc Dilma Rousseff peut être critiquée aussi bien sur sa gauche que sur sa droite, il faut également rappeler qu’elle gouverne avec une coalition de centre-droit et que son élection fut soutenue, Etat par Etat, par pratiquement tous les hommes d’influence qui désiraient se placer dans le sillage de la popularité de Luis Ignacio Lula da Silva, le précédent président.

Cette confusion a fini par noyer le fond du message du MPL, dont la critique sociale était bien plus profonde que les seuls 20 centimes de real supplémentaires par billet de bus. Mais non pas comme la presse bien pensante tente de le faire passer, c’est-à-dire un mouvement poujadiste de rejet du gouvernement fédéral. « Qu’il soit bien clair que la Globo (principale chaîne de télévision privée) et toutes les autres n’appuieraient jamais un mouvement qui lutte contre l’augmentation (des tarifs de transport) ; ils ont voulu tirer la couverture à eux, et ils y sont arrivés », selon Plinio. « A partir de vendredi (14), les médias ont commencé à promouvoir un discours de « Ce n’est pas seulement pour les 20 centimes » (…) J’ai tout de suite pensé : quelque chose va mal, avant même de déceler la stratégie de la droite. (…) Hier (18 juin), la manifestation confondait déjà les choses (…), d’autres thèmes, d’autres panneaux commençaient à surgir, portés par un groupe ridicule enrubanné dans le drapeau du Brésil, chantant « je suis brésilien, avec beaucoup de fierté et beaucoup d’amour ». La lutte contre les tarifs était encore présente, mais rejointe par des arguments étranges contre la Coupe du Monde, contre la corruption et contre Dilma. Voilà la stratégie de la presse : nous dirons que ce n’est pas seulement contre l’augmentation, mais aussi contre la corruption du gouvernement du PT, de sorte que nous neutraliserons le mouvement et nous liquiderons Dilma devant le monde entier… »

Ce qui n’était pas du tout l’objectif du MPL. D’après Dirceu Franco, historien, c’est l’industrie automobile qui est en ligne de mire. « Depuis au moins soixante ans, l’industrie du pneumatique et des véhicules est responsable, au Brésil, d’une partie significative des emplois offerts chaque année. Ces grands entrepreneurs sont depuis longtemps plus forts que les gouvernements eux-mêmes. L’exemple le plus récent est la succession de réduction de la taxe sur les produits industrialisés dans leur domaine. Le gouvernement de Dilma Rousseff a perdu tous ses bras de fer avec l’industrie de la voiture. » Le MPL remet en question l’importance accordée depuis le président Juscelino Kubitchek au développement du transport privé. Ce qui n’est pas du tout du goût des médias traditionnels… et suffit pour expliquer la récupération…

Depuis la manifestation du jeudi 13 juin dernier, le mouvement de contestation s’est donc trouvé peu à peu confisqué au MPL, non seulement par ces dizaines de slogans à la limite du poujadisme, mais aussi par une presse qui, apparemment retournée par les violences policières, en a profité pour mettre en exergue toutes ses critiques contre le parti de la présidente, flattant donc par là la frange droitière du pays. On entend dire dans les manifestations « La seule bannière acceptable est celle du Brésil. » Le MPL avait eu beau répéter qu’il ne refusait la présence de personne, ni d’aucune bannière, il souffrait naturellement des faiblesses de son type de mouvement : horizontal, sans chef, sans service d’ordre, il fut vite débordé par les initiatives qui s’agglomérèrent autour de lui, qu’elles viennent de groupuscules désireux d’en venir aux mains ou de briser des vitrines ou de faux protestataires dont le souci principal est de préserver leurs privilèges.

Le mouvement homogène n’existe donc pas, ou plus : il s’agit désormais de grandes tendances, souvent contradictoires, certaines clairement cautionnées par les grandes chaînes de télévision et les journaux généralement les plus suivis par l’Establishment. Ces oppositions devaient fatalement tourner au vinaigre ; au cours de la manifestation du 20 juin, des heurts opposaient les porteurs de bannières brésiliennes et ceux qui portaient les couleurs de partis ou de mouvements sociaux. Ce sont les premiers qui semblent s’être emparé du terrain.

Dirceu Franco: « Ecoute, vraiment, le mouvement dominant, c’était la bannière contre la corruption. Derrière, un grand groupe du PT/CUT/MST.
Hélène Châtelain: « Le MPL n’est plus là? »
Dirceu: « Le MPL est là aussi. »
Hélène: « Et cette bannière contre la corruption… Elle est comment? »
Dirceu: « En tissus, avec du bleu, du blanc et du noir. »
Hélène: « Non, je veux dire: critique sociale ou droite conservatrice? »
Dirceu: « Ah… Droite conservatrice. De la pire espèce. Personne ne parle de lutter contre la mafia des transports, ou de participer de la distribution du budget municipal. Ces bannières, à l’exception de celles du MPL, sont assombries par la droite conservatrice aujourd’hui. Je ne sais pas. Je crois que ça va se démobiliser, vraiment… » ((Voir aussi: http://www.cartacapital.com.br/politica/militantes-de-partidos-e-movimentos-sociais-viram-alvo-em-sao-paulo-6932.html.))

Ces mouvements peuvent-ils être animés par une « connexion centrale (…), le sentiment d’injustice et de faillite des Pouvoirs de l’Etat brésilien -en particulier des Pouvoirs Exécutif et Législatif », comme le fait remarquer Leandro Kfouri Bianchini ? « Il existe une idée collective selon laquelle nos gouvernants et législateurs sont corrompus, font un mauvais usage de la machine publique et de l’argent public, qu’il est investi dans des travaux surfacturés et superflus (comme les stades de la Coupe et les installations pour les Olympiades), alors que nous manquons d’hôpitaux de qualité et bien équipés, des écoles, alors que le transport public est bien trop cher et inefficace, etc. Pour résumer en quelques mots : les montagnes d’argent que nous payons en impôts ne sont pas employées correctement, et ne reviennent jamais à la population, (ceci menant à) l’élaboration de lois qui ne bénéficient qu’aux gouvernants eux-mêmes -y compris pour les protéger des crimes qu’ils commettent. »

Le problème, note encore Leandro, c’est que cette connexion est ténue, parce que « les intérêts (des manifestants) sont très hétérogènes, bien qu’unis par un sentiment commun d’injustice. Et donc, chacun dans la foule crie une chose différente. Les uns défendent la liberté d’expression, les autres la réduction des impôts, les autres une meilleure sécurité publique, et ainsi de suite. »

Leandro, optimiste, se réjouissait encore le 19 juin de la présence de « pauvres et de riches, de noirs et de blancs, de travailleurs et de chômeurs, de docteurs et d’analphabètes, de gays et d’hétéros, de protestants et d’athées, qui tous luttent côte à côte. »

Trop optimiste ?

Vendredi 21 juin… Suite à la dernière manifestation organisée la veille, et qui fut marquée, comme nous l’avons dit, par des marques d’hostilité de nombreux manifestants à l’égard des mouvements sociaux et des partis, y compris ceux qui sont partie prenante depuis le début aux revendications du MPL, ce dernier décide de ne plus organiser d’actions pour le moment… Sans doute la prudence et le dégoût de la récupération du mouvement par des ensembles réactionnaires ont-ils contribué à cette décision. En dépit des déclarations d’un porte-parole temporaire, leur conquête resssemble bien à une victoire à la Pyrrhus.

Même jour. Plinio revient de manifestation… Il était du côté gauche… Du côté droit sont arrivés des projectiles, objets enflammés, bouteilles… Une sur sa tête…
Leandro était peut-être trop optimiste, mercredi…

A suivre…

La confusion des genres – extrait 1 (pages 7-9)

June 18th, 2013

Restaient finalement nos pauvres carcasses de « reduci » jetées à la risée de ceux qui nous avaient quittés sous prétexte de réalisme et de pragmatisme et en tout cas de ceux qui ne nous considéraient que comme des obstacles d’envergure moyenne ou médiocre, des espèces de facteurs incontournables, mais à la limite utiles en ce qu’ils justifiaient à la fois les budgets sécuritaires et la démocratie qui nous tolérait, disait-on, parce que, bonne poire, elle tolère tout, même ce qui la conteste de manière non démocratique, à condition que l’on joue le jeu de la démocratie, ce qui se mordait la queue, certes, mais ne dérangeait presque personne, car comment montrer à mon beau-père, et c’était là la deuxième faiblesse que je ne me pardonnais pas, mon incapacité à convaincre les personnes que j’aimais, que, contrairement aux assertions des journaux, nous n’étions en réalité pas plus libres de contester la démocratie telle qu’elle existait sous le prétexte qu’elle n’existait pas en essence, puisque justement elle nous laissait la contester pour autant que nous ne critiquions pas son essence. Cela me rappelait ces chrétiens qui se targuaient d’être libres parce qu’ils avaient choisi, disaient-ils, de se soumettre à Dieu de la manière qu’ils avaient estimé conforme, mais qui refusaient de considérer que cette soumission consistât en une limite substantielle de leur liberté, comme ces « libres penseurs » britanniques, pour lesquels il n’existait qu’une limite : celle de la foi en Dieu. Comme si la liberté devait s’imposer des limites, perdre son essence pour exister. Par exemple, s’il était impossible de la considérer hors du carcan de la propriété privée, dont la fonction première, avant de donner un droit à quelqu’un, était bien d’en priver tous les autres. J’avais de la considération pour mon beau-père mais je ne pouvais m’empêcher de lui trouver un esprit étroit et incompatible avec un raisonnement logique à plusieurs étages comme il était nécessaire de poser pour expliquer mon point de vue, surtout que la patience n’était pas exactement sa principale vertu et que lorsqu’il commençait à voir qu’il perdait pied, plutôt que de me réclamer des éclaircissements, il me laissait en plan en me disant que mon raisonnement ne tenait pas debout. Il me fallait bien reconnaître que les faiblesses qu’il manifestait étaient le lot de la plupart des personnes que je connaissais en dehors de nos cercles de militants et je constatais qu’il fallait sans doute se situer en dehors du système de pensée établi pour en comprendre les défauts. Mais cela n’est pas suffisant, car, si vous vivez depuis votre naissance hors de ce système de pensée établi, vous n’en saisissez pas plus les défauts que si vous y êtes ; et j’en dois conclure qu’il faut y avoir vécu et en être sorti pour le comprendre effectivement. Toute l’équation réside alors dans la problématique : comment en sortir ? Et par là même, je posais la question : comment en étions-nous sortis ? Et, peut-être plus difficile encore, comment ceux qui se moquaient de nous y étaient retournés ?

Il me semblait que je réinventais le mythe de la caverne augmenté de cette nouvelle inconnue à l’équation qui impliquerait que certains philosophes, après avoir vu les idées dans leur réalité, auraient décidé de retourner s’enchaîner, et je ne voyais guère comment convaincre Roberto de la quitter, lui pour qui les écologistes signifiaient la surtaxation de son camion ; les socialistes la multiplication des impôts sur les petits patrons autonomes dont il était ; les communistes une engeance qu’il fallait interdire d’exercer la politique puisqu’ils étaient opposés à la liberté d’entreprise, donc à la liberté tout court ; les anarchistes guère autre chose que des terroristes que rien ne distinguait des musulmans qui obligeaient leurs femmes à porter des vêtements dont il ne parvenait à retenir ni les noms, ni les définitions ; les féministes des emmerdeurs (et plus généralement des emmerdeuses) dont la tâche était achevée depuis des décennies et qui ne savaient pas quand il fallait s’arrêter.