Tragédie racinienne et choix cornélien…

April 11th, 2014

-Ainsi donc, c’est pas amour -ou du moins par respect- de la démocratie que le PS et les Zécolos font tant de compromis avec la droite…

-Feignons de le croire, Pylade.

-Qu’est-ce donc être de gauche, alors?

“Serait-ce sacrifier ses idées pour l’illusion fânée que les élections sont la démocratie et que la démocratie ne s’exprime que par les élections?

“Ah, Oreste, le doute me ronge…

-C’est tout ce qui nous reste, Pylade, si nous aspirons, nous aussi, à respecter les forces d’inertie qui nous empêchent d’être de gauche: le doute.

-Et cette souffrance, alors, Oreste?

-Cette souffrance, c’est le doute que le saint ressent et qui fait de lui qu’il est réellement saint. Le soir, devant son miroir, le président du PS s’interroge courageusement: “Suis-je encore de gauche?” “Ne trompé-je pas le petit travailleur besogneux qui doit vendre ses fanions collectors des victoires européennes d’Anderlecht pour payer le voyage scolaire de son fils?” Et le matin, il se réveille, devant son café et ses brioches, le sourire aux lèvres en lisant les nouvelles sur son portable. Il se dit: “Sans moi, ce serait pire.” Et le co-président des Zécolos, qui s’interroge, lorsqu’il paraphe, la larme à l’oeil, l’ultime prolongation d’utilisation des centrales nucléaires, se murmure dans son cache-col en laine de cachemire: “des petits pas, des petits pas…” Alors, pour se réchauffer un peu le coeur, il va se servir une tasse de café bio Fairtrade. Le goût ne lui plaît pas, mais, justement, c’est ce petit moment de martyre qui le conforte dans sa mission…

-…

-Et puis le lendemain il va chez son collègue des finances… Il y boira un bon café, qui le consolera un peu de ses compromissions…

La confusion des genres, pages 33-38

March 30th, 2014

(Pour le passage précédent: pages 28-33; pour le premier passage: ici)

Pour les huit premières années de ma vie, c’est le silence qui prévaut, ou un blocage. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que je connaissais Pink Floyd et Brassens. Cette impression de grand silence, comparable à celle que beaucoup ressentent dans la promenade de leurs rêves, couvrait, cachait les sensations musicales que j’éprouvais à ces âges, et qui ne me revinrent les unes après les autres qu’au cours de l’adolescence ou même plus tard au hasard des émissions nostalgiques ou des soirées rétro, ou chez des amis amateurs de chansons françaises qui me remirent en tête Pierre Barouh, Boby Lapointe et Catherine Le Forestier.

.

.

Si, sur le moment, l’épisode a semblé m’indifférer, il a suffisamment été important pour que je fasse pression sur ma mère afin de ne plus retourner à la maison de mes oncles. Mais elle, ne sachant rien de la raison exacte de mon désir de ne pas y revenir, n’avait pas vraiment les moyens de refuser les invitations de ses beaux-frères et nous avons continué à nous rendre régulièrement chez eux, surtout lorsque mes grands-parents y étaient.

Désormais, cependant, je me calfeutrais loin des amusements de mes cousins et je m’isolais dans de longues promenades au cours desquelles je ne me réjouissais que de la pleine découverte de la nature comme on a l’occasion de le faire à cet âge, sans grand souci de devoir en faire un herbier et de souligner en rouge le nom latin de chaque espèce rencontrée. Ce qui ne m’empêchait pas, comme beaucoup d’enfants, d’inventer des noms pour les plantes que je découvrais et de chercher à les classer par ressemblance, comme on commençait à nous apprendre à faire à l’école.

Mon frère, qui jusque là ne venait presque jamais avec ma mère et moi, parce qu’il était généralement pris par des cours de rattrapages, des activités sportives et plein d’autres bonnes excuses qui lui permettaient d’éviter le voisinage de la famille, accepta de sacrifier quelques week-ends de sa liberté pour m’accompagner dans mes déambulations bucoliques. Je me sentais plus tranquille en sa présence et moins en devoir de trouver un prétexte pour ne pas passer de temps avec Yvan et ses frères et sœurs. Nous descendions tous les deux au fond du jardin, passions à travers la haie et partions à travers les prairies et les quelques champs vers la forêt où nous attendaient les derniers vestiges d’un oppidum gaulois. En chemin, nous nous étonnions de la présence d’un panneau indicateur aérien ou des restes d’une vieille bicoque en dehors de toute trace visible de route et où ne restaient que quelques morceaux de meubles. Nous repassions là où les années précédentes j’allais avec les cousins pour vérifier que les fruits des bois étaient encore là. Malheureusement, mon frère n’avait pas de chance : soit d’autres étaient passés avant nous, soit les conditions climatiques ou environnementales ne répondaient plus aux exigences sévères à la préservation de ces espèces fragiles que sont les myrtilles et les fraises des bois. Il ne restait plus que des pans entiers de mûriers dont il n’aimait pas les fruits. Par contre, il adorait que nous allions jusqu’à la rivière et que nous observions les poissons se frayer un chemin entre les pierres et les bouts de bois flottants. Il m’interdisait de les distraire, affirmant que nous n’avions pas le droit de gêner leur parcours. Pendant que je me demandais quelles lois, et surtout quelle police, protégeaient nos frères inférieurs des milieux humides, il suivait de ses regards attendris les misérables gluants qui ne se doutaient pas de l’existence d’un tel protecteur.

« Regarde tes fruitiers, tous disparus. C’est sûrement parce que vous en avez trop mangé les années précédentes. Alors, fous la paix aux poissons. »

Et moi de culpabiliser aussitôt sur les deux cents grammes de fruits rouges que j’avais ingurgités un an plus tôt. Je réaliserais bien plus tard, en arrivant au même niveau d’étude que lui à cette époque, qu’il avait dû tirer ces réflexions des cours de biologie ou de géographie qui traitaient de sujets environnementaux et qui avaient été le terreau de sa conscience écologiste ultérieure. Mon frère, qui me précédait de près de quatre ans, allait arriver à l’école supérieure avec des titres ronflants de président du club de la SPA de son école élémentaire et de délégué au recyclage au niveau suivant. Longtemps ma mère avait pensé que ces activités l’aideraient à trouver sa voie dans sa vie d’adulte et qu’elles lui permettraient de se caser dans des groupes d’affinités de sorte qu’elle l’encourageait systématiquement dans chacune de ses initiatives et qu’il en avait acquis une grande liberté de mouvement soutenue par le confort matériel d’une aide financière adaptée. En clair, son argent de poche gonflait en proportion. Maman n’a jamais su que ses prétendus groupes se limitaient généralement à autant de membres qu’un club de peinture sur soie en pays inuit –pas de quoi fonder un parti féministe au Vatican.

Ce que j’avais nommé les années précédentes, il m’en rectifiait les communes, pataugeait dans les autres et m’aidait à affiner les noms fantaisistes des plus rares. Nous passions ces longues heures entre l’arrivée en train, puis en bus –je ne me souviens pas que nos oncles soient venus nous chercher une fois à la gare, ni même en bas du village, à l’arrêt du vicinal-, et le retour par le chemin inverse, de jour, à rattraper ensemble tout le temps que nous perdions loin l’un de l’autre pendant la semaine, et de nuit, à chercher le sommeil. Mon frère aussi tournait sur lui-même dans le divan-lit du salon, incapable de s’endormir sans le répétitif ronflement des voitures qui en ville tournent autour de la maison. Chaque fois que je le tannais pour qu’il nous accompagne, l’assurant que sans lui ces week-ends m’étaient des enfers, je voyais passer dans ses yeux la certitude même que, pour lui, avec ou sans moi, ils l’étaient aussi parce qu’il ne pouvait profiter de ces rares moments de repos, repos qui paradoxalement avait besoin de bruit. Mais, depuis que j’avais atteint cet âge qui signifiait qu’il pouvait enfin discuter avec moi, échanger des idées avec quelqu’un qui le comprenne et le suive, au moins affectivement, sinon rationnellement, il répugnait à me refuser quoi que ce soit. Quand nous ne discutions pas animaux et plantes au milieu de la nature encerclant le village de la maison de campagne de mes oncles, il me parlait longuement de ses nouvelles idées, auxquelles à l’époque je ne comprenais presque rien, de ses projets, qui concernaient surtout l’environnement, la protection des espaces verts dans les villes, le recyclage des déchets (c’était alors un sujet très neuf, pas du tout à la mode, et qui n’était supporté que par de tous petits groupes de personnes), la réduction du trafic des voitures (même si, une fois de plus, le sujet n’était pas encore en vogue, il avait été fortement secoué par des conférences auxquelles il avait assisté et s’était convaincu que le nombre de toutes ces voitures qui tournaient au ralenti dans nos villes pendant les heures de pointe ne pouvaient qu’exploser et empirer la situation dans les années à venir. Pour un adolescent de son âge, on ne peut que reconnaître qu’il s’agissait d’une intuition remarquable) et la multiplication, et là, il était vraiment en avance sur son temps, même si, jusqu’à aujourd’hui, ça n’a mené à rien, des potagers urbains, comme il en avait existé autrefois, notamment à Paris, du moins était-ce ce qu’il avait lu dans un livre de René Fallet (Banlieue Sud-Est) qui l’avait retourné et lui avait montré ce qu’il pensait être « la » voie à suivre. Mon frère était déjà très influençable malgré son aplomb intellectuel : il avait changé plusieurs fois d’opinions sur les mêmes sujets avant d’avoir atteint treize ans, et pas n’importe quels sujets : outre à l’environnement, il s’était intéressé à l’immigration, aux pays de l’Est, à la confrontation des idéologies, aux différentes solutions politiques, comme la monarchie constitutionnelle, la république et même la dictature (les enfants ne sont pas épargnés par ce besoin irrationnel de « grands hommes », de héros, qui touchent une grande proportion des êtres humains). Il était arrivé, à l’âge où il avait vraiment commencé à s’intéresser à moi, à la conviction qu’un peu de dirigisme d’État ne serait pas une mauvaise chose dans les domaines de l’écologie et de l’économie : il tentait de me donner des exemples qui, s’ils avaient été présentés au reste de la famille de mon père, nous auraient sans doute valu, à lui et à moi, quelque chose comme des sarcasmes et des rires amusés, ou alors de violentes réprobations suivies de représailles imbéciles, du genre coucher sans manger et de leçons de morale de bas-étage incluant des accusations d’ingratitude envers nos aînés (eux) au travail de qui nous devions le toit, la nourriture et les vêtements que notre mère n’était pas capable de nous procurer, toutes choses qui étaient complètement fausses, comme nous le savions, mais ne pouvions le montrer, puisque la vérité, si elle sort de la bouche des enfants selon les proverbes, ne peut être dispensée que par des adultes dans la mesure de leurs volontés.

Plus tard, sous l’influence de certaines figures écologistes à la mode, il voulut croire à des solutions de type plus parlementaires et persista dans cette direction jusqu’à ce qu’il soit finalement convaincu de la justesse des vues d’un baron de parti social-démocrate et s’embarquât avec lui dans l’aventure électorale.

La confusion des genres, pages 28-33

March 17th, 2014

(Passage précédent: p. 22-28)

On comprend que le boutonneux Yvan ait eu le désir de tenter d’attirer l’attention de la mignonne, et ce par tous, ou plutôt les seuls moyens à sa disposition: l’insolence et la rouerie. Il espérait sans doute, sinon lui du moins son inconscient (pour autant qu’il existe), que, suite à ses multiples provocations vis-à-vis de ses parents et de la moitié des adultes de l’assemblée, Sophie, épatée, l’inviterait à aller faire une balade dans les environs ensoleillés, à visiter une grange ou un fenil dont ils découvriraient les espaces confortables pour… Mais, en fait, sitôt le repas terminé, son père et mon oncle empoignèrent leurs raquettes, leurs balles et leurs sacs de sport et Sophie les suivit dans le fond du jardin avec une bouteille de soda noir, pour assister à leurs échanges hebdomadaires, dans le cadre des préparatifs des interclubs à venir. Sa démarche chaloupée et sa main tenant légèrement la bouteille bien connue encore ruisselante de froid faisait penser à une publicité exactement faite pour ce qu’elle était en train de faire : créer une frustration chez le spectateur. Or, près du terrain, il n’y avait aucun espoir que les adolescents, à supposer qu’elle en soit tentée, trouvent le moindre espace couvert, discret ou caché qui permettent quelque chose qui ressemble à la Chasse aux papillons selon Brassens.

Yvan avait beau être, selon moi, un idiot (et je veux dire que je pense aujourd’hui qu’Yvan à l’âge de 14 ans, était un idiot; à celui que j’avais alors, jamais il ne me serait venu à l’esprit de penser cela, vu que je ne pouvais qu’admirer, envier ou en tout cas me surprendre de ses audaces et de ses exploits qui étaient pourtant à la portée de n’importe quel maladroit abruti par une acné perturbant les prétentions sociales), il ne l’était pas suffisamment pour ne pas comprendre qu’il n’arriverait à rien ce jour-là avec Sophie (et je n’eus aucune difficulté, plus tard, pour apprendre qu’elle ne le laissa jamais approcher à moins d’un mètre si ce n’est lorsqu’il vint assister aux obsèques de son grand-père et qu’il l’embrassa sur la joue pour lui présenter ses condoléances. Ce baiser a priori anérotique, à peine appuyé de ses joues fraîchement rasées, inspira à Yvan une érection qui allait le gêner pendant la moitié de la cérémonie. Ils avaient dépassé vingt ans tous les deux, mais l’approche de la joue de Sophie lui avait permis de glisser son regard sur l’épaule ronde et souple encore, qu’elle n’avait dissimulée qu’aux regards directs et laissé à portée des obliques comme ceux de qui s’approchaient pour la serrer contre eux par sympathie apparente pour son deuil. Sophie était déjà la fiancée d’un futur médecin de campagne dont la rente allait lui assurer un avenir tranquille de bourgeoise pondeuse, mais elle sentait déjà la nostalgie du regard des hommes sur les parties de son corps et le destin d’une Bovary lui chatouillait les extrémités avant même d’avoir épousé son ennui. Yvan, de son côté, se rappela à la vue du grain doré de sa peau encore lisse et appétissante, toutes ces apparitions qu’elle avait pu faire chez son père durant leur adolescence et qui l’avaient laissé insatisfaits. Ce sont toutes les sensations qui l’avaient agité alors, toutes les sèves qui avaient grimpé le long de ses membres, toutes ces démangeaisons qui, pendant la cérémonie, l’empêchèrent de rester immobile sur son siège, puis debout en écoutant les hommages au moment de la descente du cercueil, après avoir traîné pendant une demi-heure entre l’église et le cimetière au milieu de tout le village en cortège. Il avait par contre oublié ce qui allait suivre durant l’après-midi que je raconte maintenant). Une fois les deux hommes et la jeune fille descendus vers le terrain, Yvan disparut de la terrasse où nous restions encore tous, les enfants à vider les restes du dessert, les adultes à siroter les derniers cafés et les premiers digestifs.
Les frères d’Yvan se sentaient l’envie de jouer au foot et leur aîné, dont ils aimaient les coups de butoir, leur devenait subitement indispensable. Ils avaient déjà sorti le ballon, les gants et les poteaux de but de la cabane, mais ils ne s’entendaient pas sur celui qui devrait aller le chercher. Comme ils en venaient aux mains et que je craignais de voir la partie de foot dégénérer en combat de catch, je proposai d’aller, moi, le ramener. Ils se calmèrent, s’accordèrent sur ma proposition et s’en furent dans une partie plus large du jardin installer l’artisanale cage. J’entrai dans la maison. Le rez-de-chaussée baignait dans le silence, aussi montai-je les escaliers pour aller jusque dans sa chambre. La porte était fermée, mais je n’ai pas pris de précaution pour l’ouvrir. Il y a peu de chances qu’Yvan se soit attendu à mon arrivée. Il était à moitié étendu sur son lit, à moitié adossé à son mur, le pantalon et le caleçon au bas de ses pieds, les genoux largement écartés, sa main droite encore sur son sexe, recouverte du même liquide jaunâtre qui venait d’en sortir. Je ne savais pas trop à quoi je faisais face, étant encore trop jeune pour en avoir même l’idée, aussi ne m’étonnai-je que du fait qu’il était à moitié nu –et pas de la moitié politiquement correcte- à une heure où il était encore fort tôt pour songer à dormir. Je ne me suis même pas demandé ce que pouvait être ce qui continuait de sortir de son pénis et ne ressemblait que de loin à ce qui devait en sortir habituellement.

Yvan, que mon arrivée avait surpris, réfléchit vite, bien plus vite qu’il ne nous y avait habitué. Il me dit de fermer la porte avant même que je n’aie eu le temps de lui parler de football. Puis il m’intima de m’approcher jusqu’à son lit. La chambre était toute petite, pourvue à peine d’un lit à ressorts branlants, recouvert d’une couverture de serge brune, et d’une fenêtre aux vitres sales découpée en quatre carreaux qui laissaient passer un soleil poussiéreux ; je me souviens avoir encore noté que l’un des carreaux semblait plus récent que les autres. Sur l’appui de la fenêtre, exagérément grand, très bas, caractéristique de maisons anciennes dans la région, il avait entreposé ses bandes dessinées, des histoires de western et de policiers de l’école franco-belge sans grand intérêt. Sous son lit, il avait jeté son sac qui contenait les trois pièces de vêtements qui faisaient son week-end et les cahiers qu’il était censé étudier pour l’école et sur lesquels il prétendra avoir passé deux heures à sa mère une fois rentré en ville.

Yvan me dit de me baisser entre ses jambes. Son sexe, qui avait commencé à mollir une fois la satisfaction atteinte au doux souvenir de Sophie, recommença à se dresser. Je me mis sur les genoux et il posa son autre main sur mon épaule, dirigeant doucement, mais fermement ma tête en direction de son gland. Il me dit de le sucer, ce que j’allais m’appliquer à faire sans chercher à comprendre, mais à peine l’avais-je touché qu’un nouveau jet de sperme m’arriva sur les lèvres, entre les dents et sur la langue, j’eus un mouvement de recul aussitôt et me retrouvai sur mes jambes. Après avoir contenu un léger spasme, Yvan me demanda, avec un sourire énigmatique, ce que ça goûtait. Je suppose aujourd’hui qu’il se l’était demandé de nombreuses fois, avait souvent hésité à en tirer un échantillon pour le mettre dans sa bouche et que ma présence impromptue lui avait paru une excellente occasion de satisfaire sa curiosité sans avoir à se souiller comme je suppose qu’il considérait ce qu’il m’avait fait. Ou alors sa question devait compenser la frustration de ce qu’il espérait que je fasse, à savoir lui pomper le gland suffisamment pour qu’il en ressente un véritable orgasme, ce que je n’avais pas été et n’aurait plus pu être capable de faire après avoir déjà reçu sa semence, non que cela me parut indécent ou horrible, notions qui m’étaient totalement étrangères, mais parce que le goût de son sperme m’était apparu écœurant dès les premières larmes. Je le lui dis, caractérisant son foutre –que je n’appelai pas comme cela, à dire vrai je me contentai de dire « ça » pour le désigner- de « fromage » et j’émis le désir de sortir pour aller boire un verre d’eau.

Yvan parut déçu, son sexe aussi d’ailleurs. Il s’était de nouveau réduit à son état basique entre ses doigts qui l’agitaient encore machinalement et en sortaient quelques dernières gouttes qui salirent le drap beige de son lit défait. Il me dit que bon, je pouvais partir, mais il exigea de moi, sur un ton menaçant, que je ne parle de ceci à personne. Comme aucun membre de ma famille ne faisait partie de l’ordre de mes confidents, je n’eus pas de mal à le lui promettre. Je m’étonne encore de la facilité de cet échange : Yvan semblait effectivement persuadé que je n’en parlerais à quiconque, et à vrai dire je respectai ma parole, mais plus parce que l’événement m’indifférait que par réelle loyauté. Ce n’est d’ailleurs que de nombreuses années plus tard, lorsque mes propres hormones commencèrent à m’agiter, que je compris plus ou moins ce qu’il s’était passé, et en fait il me fallut encore attendre bien des années, la première fois que j’eus l’occasion de sucer réellement le sexe de mon premier partenaire masculin, pour que me revînt toute la scène et que ses circonstances se redessinent entièrement dans mon esprit. Alors, je m’aperçus à quel point Yvan, selon les normes sociales en vigueur dans la plupart des pays du monde dit libre, avait abusé de ma personne et de, si j’avais parlé à ma mère de la chose –sic-, tous les ennuis qui auraient pu en découler –re-sic- pour lui.

La gauche? Mais quelle gauche?

March 14th, 2014

La gauche… La gauche, la gauche, la gauche…

La gauche?

L’autre partie de l’hémisphère parlementaire?

Le partenaire de la droite?

Le sac de riz l’arme au poing?

Le défenseur du recul le moins vite possible?

Les conservateurs? Les progressistes?

L’anti-droite?

La troisième voie?

La gauche d’ingérence (qui répond à la droite d’ingérence)?

La gauche sans frontière, qui déploie le marché un peu partout et promeut les reporters aux ordres?

La gauche avec frontières, qui défend sa forteresse contre les vils immigrés?

La gauche atomique, qui produit toujours plus?

La gauche toute verte, qui appelle au, au quoi déjà? Ah oui… au développement durable?

La gauche toute rose au poing, sans piquant?

Le centre-gauche? Les démocrates? Les partis responsables?

Ou alors la gauche

Ou alors la gauche, celle qui est censée porter les espoirs des travailleurs et des chômeurs, des non possédants et des moins possédants, voire des possédés, celle qui est censée porter un projet international d’égalité, de liberté et de paix entre les peuples. Celle qui sait que le salariat n’est pas de gauche. Celle qui ne confond pas patronat et partenariat. Celle qui fait aussi la différence entre le petit idéaliste qui pleure derrière ses impôts et le gros con qui les élude…

Autrement dit, la gauche qui ne fait pas confiance aux marchés, ni au marché (sic), ni au gouvernement, ni aux gouvernements (re-sic), ni guère plus aux élections.

Et de moins en moins aux syndicats.

Mais cette gauche qui fait penser à la droite et à la pseudo-gauche qu’elles n’ont pas besoin de la pousser beaucoup pour rester au pouvoir, tant elle se déchire sur des points de détails. Bon, parfois essentiels…

Oui, cette gauche qui va des anarchistes et des communistes d’un côté jusqu’à quelques parlementaires encore à gauche, de partis radicaux et de quelques racines de partis, en guise d’extrême-droite.

Et cette gauche que je n’ai pratiquement vu que se taper sur la tronche depuis que je suis conscient de ce qu’est la politique…

Y compris sur la mienne, mais qu’importe…

Cette gauche que je préférerai cependant toujours à n’importe quel “parti démocratique”…

Et pourtant…

Pitoyables sont les éléments de cette gauche lorsqu’ils se contentent de calculer leur potentiel sur le dos de leurs semblables, à qui ils reprochent soit de ne pas leur être identiques, soit, au contraire, de leur être trop semblables…

Pitoyables sont ces réflexes comptables qui reposent sur l’idée qu’il faille sauver quelques virgules aux prochaines échéances électorales, mais pitoyables aussi ceux qui consistent à se compter en nombre de drapelets ou de figures de grands manitous lors des rassemblements des derniers désespoirs.

Pitoyables encore les attaques ad hominem, les stigmatisations, les remuages de merde, les étripages, enfin, qui remontent au XIXe Siècle ou à Debord. Et s’il fallait s’en tenir là, cette raison suffirait aux anarchistes pour se détourner de toute la gauche sans aucune exception, parce qu’ils ont servi de souffre-douleur de toutes ces composantes depuis qu’ils se sont manifestés.

Mais encore terriblement orgueilleux, ces têtes de gondole de groupuscules qui se targuent de penser -ou de faire croire qu’ils pensent- qu’ils sont les seuls-vrais…

Vaniteux, ces fiévreux qui s’arrogent de génération en génération la vérité et le droit à évoquer telle ou telle figure du passé, en changeant de vedette s’il le faut…

Gonflées, ces baudruches qui s’arrogent les couleurs de la révolution, sous prétexte de filiation plus ou moins directe avec quelque réformiste qui eut, un jour, le goût, pourtant, d’être à peine moins raciste, européiste, nationaliste, belliciste que ses contemporains.

Q U A N T .. .. A U .. .. P I R E

Mais il y a pire, on y revient, il y a bien pire, ce sont ces faux gauchistes, ces faux dévôts de la gauche qui, tous les premiers mai vont religieusement tendre un petit point discret, d’un bref mouvement de tête ou le papillon au vent, en fredonnant des paroles qui ne leur disent plus rien -si elles leur ont jamais dit quoi que ce soit.

Il y a pire encore, ce sont ces partisans du combat réformiste qui voient dans les compromis l’âme de la démocratie, qui houspillent ceux qui, selon eux, refusent de se salir les mains, qui prétendent qu’il n’y aurait de pire solution que leur renoncement, et qui surtout nous la baillent belle de leurs sièges. C’est que ça coûte, la campagne…

Car il y a pire aussi, avec les mouvements qui, génération après génération, nous réveillent la fibre électorale de leurs colères jouées, et qui, génération après génération, déçoivent, et dont on se demande quand ils ont changé d’idée, ou s’ils ont même changé d’idée, le jeu n’étant qu’un investissement sur l’avenir.

Ceux-ci défrisent la gauche, l’enrobent de sucre et nous égarent de leurs satisfactions.

En attendant, le monde bascule de moins en moins à gauche.

Il devient difficile d’identifier la force de gauche, l’âme de gauche, l’homme ou la femme de gauche. Est-ce parce que les valeurs de gauche ont évolué avec le progrès humain, scientifique et social?

Non.

La gauche, c’est la défense de l’égalité et de la liberté sans aucune priorité donnée à l’une ou à l’autre.

LA gauche, ce n’est jamais la gauche des marchés, et ce ne peut être non plus la gauche des Etats, ni la gauche des frontières, encore moins la gauche des bombardements…

Par là même, la gauche doit être à la fois la remise en question du droit de préséance, quel qu’il soit -du propriétaire, du privilégié, du dirigeant, du représentant, du détenteur, du délégué, du tribun, du militaire, du médiatique, sur l’individu, sur la démocratie, sur l’horizontalité…

La gauche, ce n’est certainement pas ce couple désormais traditionnel de partis sociaux-démocrates, catalogués socialistes ou écologistes, voire les deux. Ceux-là ont montré qu’ils se félicitent de leur participation au pouvoir, échéance après échéance, que les alliances contre nature leur sont naturelles.

La gauche, ce ne sont pas ces princes des campagnes qui prétendent que sans eux ce serait pire ou qu’il faut bien faire contre-poids aux forces bleues, ocre, jaunes, qui traitent parfois -souvent- de rouge-brun tout ce qui ne pense pas comme eux de ce côté-ci de l’hémisphère politique.

Mais voter pour ces partis, cela revient à accrocher un parachute troué à une bombe atomique: ça ne permet que de rendre plus difficile le calcul du moment où elle explosera, sans cependant réduire la certitude qu’elle explosera.

A L O R S

Alors?

Alors…

Alors, il n’y a pas d’autre solution que de rassembler la gauche. La pitoyable, la gonflée, la vaniteuse, celle des anarchistes qui n’iront jamais au gouvernement ou alors pour mieux le torpiller, celle des communistes qui voient tout en rouge et blanc, celle des radicaux de gauche ou des pragmatiques qui font encore des farandoles ou mumuse au parlement, mais qui refusent de serrer la main des clowns de droite et du centre…

La gauche qui veut servir à la gauche, pas à un obscur concept électif ou à une illusion démocratique, non, à la démocratie, à la liberté et à l’égalité.

Dans l’ordre qu’on voudra, puisqu’aucun ne peut aller sans les deux autres.

Et pour ce faire, il n’y a pas deux solutions: il ne faut tirer que sur la droite, pas sur la gauche; il faut supporter ceux de gauche qui le sont honnêtement, même si ça peut faire mal.

Et le jour de la victoire ne rien regretter si l’on se retrouve le dos au mur.

Pourvu que ceux qui nous y collent soient de gauche…

La confusion des genres, p.22-28

March 2nd, 2014

(Passage précédent: p. 16-22)
-Les causes-

On ne peut pas parler de traumatisme. Ce serait une insulte à tous ceux qui ont souffert un véritable viol ou un attentat à la pudeur plus conséquent. Mais je m’en souviens, et je pense que ça a eu longtemps un impact sur ma sexualité. Difficile de dire si ça a été la cause que je n’ai pratiqué la chose à plusieurs avant mes 18 ans, mais, il faut le reconnaître, ça marque.

Nous étions, « toute la famille », dans la maison de campagne de mes oncles. C’était le genre de réunion qu’on faisait deux fois par an, vers la fin du printemps, avant les grands départs, ou le début de l’automne, quand tout le monde était revenu. On profitait de la fin de l’allègre mois de mai ou du début d’un septembre clément. Il y avait un grand jardin, de quoi faire courir des tripotées de nièces et neveux –mais bon, là, on n’était que quatre ou cinq maximum- jusqu’au terrain de tennis mal entretenu dans le fond, là où les mûriers nous assuraient des récoltes continues de bouches noires et de dents mauves, ou l’inverse, je ne sais plus, des souvenirs comme ça sont plus sensuels que visuels; je me souviens surtout des petits morceaux de ces fruits surets qui s’impétraient entre les dents de lait, qu’on mettait des heures, sinon des jours, à tripoter avec la langue pour finalement les décoller et les avaler avec plus de soulagement que de délice. On ébouriffait les haies de noisetiers pour aller chercher les petits fruits secs (ceux qui n’avaient pas déjà été consommés par des insectes qui laissaient de leur passage un trou dans la coque) dont on se faisait des gueuletons bien plus mémorables que des tartines de Nutella; il y avait dans nos assiettes à telle heure fixe bien moins de plaisir que dans celles que nous passions à courir les prés, les champs, les bois, à la recherche de fraises ou de framboises des bois dont le goût fugitif, léger, fade même, valait tout, pourtant, devant la facilité d’engueuler des montagnes de chocolat docilement disponibles sur des tables tranquilles où pouvaient nous surveiller les parents rassurés par notre gourmandise. Mes cousins étaient des cons, mais, si je n’aimais pas rester entre les murs de leur grande baraque présomptueuse, je n’avais pas de plaisir puéril plus grand que de passer des heures avec eux dans les terres environnantes que personne ne venait nous empêcher d’explorer, et où jamais nous n’eûmes la moindre parcelle d’ennui avec quiconque. Nous étions libres, autant au cours de ces saisons ensoleillées pleines de moissons à venir, de nuages qui passaient, de plantes qui poussaient et d’animaux qui paissaient, qu’en hiver, lorsqu’ils m’emmenaient faire de la luge sur les pentes déboisées, calmes, suaves, silencieuses, que seuls les merles venaient égayer de leurs voix éraillées qui me rappelaient celle de Bonnie Tyler, entendue un jour sur un disque de plastique mou faisant la promotion d’une collection souvenir de la fin des années 70’.

Bien qu’ils fussent complètement idiots et qu’en définitive je n’eusse déjà à cette époque plus grand’chose à leur dire, je pouvais partager en leur compagnie des plaisirs qui à la ville m’étaient totalement inaccessibles. Cela me les rendait précieux et je m’abstenais de leur faire part de mon opinion les concernant. Étrange de penser que, vers six ou sept ans, j’avais une telle propension, que je perdis plus tard, à juger mes pairs. Sens aigu que j’avais sans doute travaillé au contact d’une mère intelligente et malchanceuse et de grands-parents envahissants, préconceptueux et sans aucun intérêt. Je crois que le contraste évident entre les deux branches de mon arbre généalogique contribua largement à élargir mes idées sur l’humanité. J’ai trop souvent rencontré par la suite des jeunes gens dont les parents se ressemblaient du point de vue moral ou intellectuel, ou, s’ils ne se ressemblaient pas, se défendaient l’un l’autre dans leurs idées même quand ils ne les retenaient pas pour leur. Et je pense que l’un des facteurs qui développent efficacement notre sens critique, c’est précisément lorsque nous nous apercevons rapidement que deux des dieux qui nous entourent depuis notre premier âge se contredisent, en paroles, en attitudes ou en pratiques.

Encore ne suis-je pas tout à fait honnête en traitant mes cousins d’idiots. Il faut reconnaître que, passée l’enfance, je ne les ai plus revus et que, si ça se trouve, ils sont devenus tout à fait fréquentables. À l’âge qu’ils avaient à l’époque, l’imbécillité est tout à fait excusable: on n’a que les parents qu’on peut et l’enfance n’est pas le moment adéquat pour juger de la qualité d’un individu. Après tout, je ne sais pas si j’aimerais discuter aujourd’hui avec l’enfant que j’étais alors.

L’un d’eux, que je voyais moins que les autres, avait 6 ou 8 ans de plus que moi. Il était visiblement plus intéressé par d’autres choses que par les morveux que ses frères, moi et les autres issus de germains étions. Mais parfois, il était là, nous apprenait à encaisser des marrons au foot (je fus, pendant toute mon enfance, l’incontestable goal de ma classe aux récréations) ou à fumer des cigarettes. Ce fut un peu, quoique pour un court temps en ce qui me concerne, notre leader, notre champion, notre Lebrac à nous -en plus médiocre.

Il était naturellement mal dans sa peau, en conflit ouvert avec ses parents, comme la majorité des adolescents à qui rien n’était autorisé en dehors des allocations ridicules suzerainement accordées, ce qui aurait effectivement révolté plus d’un fils de socialiste chilien à la même époque et dont la solidarité, s’ils avaient pu avoir connaissance de ce genre de cas tragiques, n’aurait pas manqué de se manifester aussitôt sous forme de sit-in répétés devant l’ambassade de notre pays à Santiago.

Yvan, mon cousin, était aussi en plein éveil des sens. Naturellement, ce n’était pas vraiment le genre de chose que je remarquais à mon âge, mais je notais qu’il n’était par moments pas très ouvert à nos gamineries, surtout lorsqu’une quelconque adolescente passait dans les environs. La présence d’une fille de son âge ou l’approchant le métamorphosait, le faisait passer de gentil imbécile mollasson, chapardeur à ses heures et grimpeur maladroit de pommiers à branches basses en dandy des feuillus.

La chose empirait lorsque la visiteuse approchait des vingt ans, accompagnée ou non d’un jules de village, libérée par une récente majorité qui l’amenait à découvrir d’immenses parties de son corps surtout du côté du col, des bras et des jambes, et je ne vous dis pas quand il s’agissait du nombril l’effet que ça faisait au cousin.

Ou plutôt, si, je vais vous le dire.
Il m’a fallu du temps pour que je fasse le lien entre deux événements, mais l’expérience, la mémoire et l’art d’additionner deux et deux aidant, j’ai pu reconstituer le cours des choses que vous allez suivre sans effort conséquent, la logique étant l’un de mes forts et la nature humaine mon dada.

Avec certitude, il s’agissait non pas d’une douce et fraîche après-midi de septembre, mais plutôt d’un week-end de mai ou de juin. Il était largement passé midi, sans doute même avions-nous déjà enfourné le traditionnel poulet et les patates du dîner, comme on dit par chez nous, dominical. La digestion est bien plus rapide chez les mômes, qui est parent le sait bien, et nous courions déjà dans tous les sens sans grand souci du pourquoi que nous laissions à nos parents fatigués de nous voir vrombir comme des abeilles autour de la bière qu’ils finissaient de s’envoyer avant de commencer le vin ou le digestif de l’après-midi que tel ou tel mâle avait ramené d’Italie ou du Sud de la France, et que je ne te raconte pas ce trésor de petite chose, et, suivant qu’on voulait paraître jobard ou généreux, on en flattait le prix ridicule ou au contraire exagéré, dont on s’est régalé à Pâques tous les jours que Dieu leur avait faits à trente kilomètres du bord de la mer…
Seul Yvan manquait. Pourtant, au cours du repas, il n’avait cessé d’énerver ses parents par son insolence, certes coutumière, mais qu’ils avaient trouvée intempestivement déplacée et qui se justifiait essentiellement par la présence à table de la petite-fille du vieux voisin qui s’occupait des lapins et des poules en l’absence des tontons –c’est-à-dire cinq jours par semaine. La jeune fille en question, une brune-rousse qui avait pendant tout l’hiver poussé de partout, affichait seize ans comme on invite à danser lors de bals populaires: avec l’envie manifeste de passer à autre chose. Sophie était belle comme savent l’être les rares demoiselles qui restent dans des lieux désertés par la plupart des jeunes disparus sous d’autres horizons que les campagnes sans avenir financier. Elle partit d’ailleurs elle-même un peu plus tard chercher fortune dans une ville moyenne pas trop loin et s’y trouva métier, mari et tranquillité bourgeoise pour une bonne partie de ses jours.
Pour l’heure, elle était venue avec son père, partenaire de tennis, de ping-pong et de visionnage de Roland-Garros de l’un de mes oncles, à défaut d’autre chose, et parce que l’homme en question, coq un brin vaniteux, n’aimait pas trop les regards insistants des derniers poulets régionaux sur sa couvée. Il préférait apparemment obliger sa fille à “passer plus de temps avec” lui, quitte à lui montrer surtout sa capacité à envoyer la balle au-dessus du filet et une collection de bières après coup en travers de son gosier. Il estimait sans doute aussi les citadins que mes oncles et cousins étaient tous, campagnards de villégiature, ruraux du samedi en sus du dimanche, bien moins dangereux pour la vertu de sa fille dont il ne se doutait guère qu’elle fût déjà de l’histoire ancienne.
Sophie, consciente de sa supériorité, précaire, certes, et due essentiellement à l’absence de toutes les autres, affichait cependant des courbes que n’aurait pas dédaigné Renoir s’il avait eu encore l’envie, d’où il était, de peindre une osseuse baigneuse. Elle était de ces femmes que les nobles de France auraient épousées sous l’Ancien Régime pour être sûrs d’assurer leur descendance: malgré ses seize ans, elle portait déjà une poitrine d’abondantes sources de lait, une de ces doubles masses de tissus adipeux qui, soutenues encore par la jeunesse de leur porteuse, ne pouvait manquer d’aimanter l’œil de la plupart de ses rencontres, provoquant des pensées certes diverses mais jamais innocentes; ses fesses, son bassin et ses hanches assuraient, confortables, à la maternité une assise comme on n’en trouve plus jamais dans les publicités depuis la mort de Marilyn, et c’est bien dommage, car on approcherait plus des nécessités médicales en échappant aux délires des communicants. Il faut croire qu’ils ne sont pas nés d’une femme. Mais soit, toujours est-il que les avantages de Sophie ne pouvaient qu’exciter le mâle que le désir de paternité titillait quelque part, même inconsciemment; elle offrait également aux regards du soleil presque chaud, sous la jupe de tennis qu’elle avait trouvé judicieux de porter, dans l’inespoir qu’on lui propose de jouer, mais simplement pour le plaisir de montrer l’objet de cette proposition, des jambes fermes, musclées, aux cuisses larges, aux mollets rebondis, dont on pouvait deviner qu’avec le temps, si elle ne se soignait pas, et même si elle se soignait, elles allaient bleuir et rosir par endroits de ces malédictions qui interdisent moralement –d’une morale discutable- ensuite leur exposition, mais qui, pour l’heure, animaient l’imagination de celui qui rêvait de se trouver sur ou, mieux, sous ce corps dont les élans et les étreintes s’affichaient de ces membres inférieurs joliment prometteurs; enfin, son visage encadré de boucles négligentes présentait des petits détails de plaisirs aigus pour les yeux qui s’effaceraient avec le temps, sans doute, car on y soupçonnait déjà, dans la largeur restée enfantine du dessin, certaines lourdeurs dans la bouche, quelques imperfections encore agréables près des ailes du nez, qui allaient probablement s’accentuer et devenir disgracieuses, mais qui, en attendant, invitaient les lèvres de l’amant aux baisers, ses yeux aux douceurs, ses mains aux caresses et Sophie toute entière aux plaisirs passagers, à la relation temporaire, comme beaucoup d’adolescentes de son âge qui n’hésitaient pas à jeter aux ordures les principes imbéciles des vendeurs de diètes et des fabricants à la chaîne de top-modèles et de starlettes décérébrées.

Un petit coup de Bahar, et ça repart…

February 1st, 2014

Je me fais timidement le relais de mon ami Bahar Kimyongur, toujours en résidence surveillée en Italie…

“Cher(e)s ami(e)s,

Aujourd’hui, un article intéressant est paru en ligne dans le site du quotidien belge La Libre. Il concerne les jeunes Belges partis se battre en Syrie dans les rangs du groupe terroriste appelé l’Etat islamique d’Irak et du Levant (Daech).
Dans cet article, je suis cité mais avec un titre inexact: “chiite d’origine alévie”.
Une fois encore, je dois le préciser: je n’appartiens à aucune religion. Par ailleurs, il y autant de différence entre chiisme et alévisme qu’entre alévisme et alaouisme (appelé également noussayriyyé). Mes opinions politiques ont très peu à voir avec mes origines même s’il est vrai que grandir dans une culture hétérodoxe facilite une certaine identification avec des opinions politiques hétérodoxes. Autre rappel important: j’ai défendu la souveraineté nationale de l’Afghanistan contre l’attaque US en 2001 malgré le fait que les Talibans sunnites étaient les bourreaux des chiites hazaras. J’ai défendu la souveraineté nationale de l’Irak de Saddam Hussein le sunnite en 1991 et en 2003 alors que ce dernier massacrait les chiites. J’ai défendu la souveraineté de la Libye de Kaddhafi le sunnite en 2011 malgré ses liens présumés avec l’assassinat du philosophe chiite libanais Moussa Sadr. Cela au nom du respect du droit international et de la paix. C’est pourquoi, je me sens rabaissé à chaque fois que l’on évoque mes origines (dont je ne suis aucunement responsable) pour expliquer mes prises de position politiques.

Merci de votre attention.

Bahar”

L’article en question.

Qui va à la chasse… extrait de “Curée de campagne”, 2013

January 29th, 2014

– Vous vous y connaissez remarquablement dans le domaine de la chasse.

– Je me défends… Même si dans mon groupe de ce matin vous trouverez des experts bien plus compétents que moi. Je vous l’ai dit, je m’y suis vite intéressée, à l’époque où mon mari m’y emmenait pour faire étalage de sa nouvelle épouse… J’y ai pris goût…

– Le contact avec la nature ?

– Pas du tout. Non, non. Je n’ai pas ce prétexte hypocrite à l’esprit. Mon mari non plus d’ailleurs, qui ne tirait guère que pour effrayer des chiens errants. Je ne me souviens pas de la dernière fois où il nous a ramené quelque chose. Quand je pense à sa meute, ses pauvres chéris n’avaient jamais l’occasion de montrer leur valeur… Non, quant à moi, j’aime tirer et j’aime manger ce que j’ai tué.

Henriot sursauta.

– Je vous choque, Henriot ?

– Et bien, vous me surprenez.

– Pourquoi ? Serait-ce parce que je suis une femme ? Je ne suis pas seule à pratiquer ce sport parmi les mâles, vous savez.

– Je sais. Ce sont vos mots.

– Ah oui… Les animaux… Avez-vous déjà regardé un documentaire animalier, monsieur Henriot ? Avez-vous noté la violence de la mort qui touche les proies des prédateurs ? Elles meurent souvent en plusieurs minutes, parfois un quart d’heure, sont parfois dévorées en partie encore vivantes, et les dents des félins et des carnassiers, ce n’est pas de l’anesthésie, je vous prie de le croire. Quand je pense aux soins qu’on accorde aux condamnés à mort, au traumatisme que l’exécution provoque et que l’on cherche à éviter !… Quant à moi, je suis un très bon coup de fusil, monsieur Henriot, et je tue net : mes cibles n’ont pas le temps de souffrir. Et même si je ne les tue pas sur le coup, la chute les achève. Elles meurent en moins de quelques secondes. Je vous assure que la mort que je donne n’est rien en comparaison de la souffrance des proies des fauves,… des hyènes, autrement plus dangereux que moi.

Démocratie radieuse

January 12th, 2014

Je serai favorable à l’énergie nucléaire le jour où les entreprises privées qui les assument et nous vendent leur produit
-prendront en charge l’ensemble de la construction des implantations;

-assumeront une exploitation non impérialiste et non colonisatrice des ingrédients nécessaires à leurs entreprises;

-assumeront la surveillance et la protection de leurs usines, y compris concernant d’éventuelles attaques aériennes;

-assumeront les coûts assuranciels en conséquence des risques réels calculés sur base des expériences passées;

-auront trouvé des solutions durables concernant les déchets nucléaires, impliquant le temps de vie réel de ces déchets, et non pas quelques dizaines ou quelques centaines d’années;

-auront provisonné le montant nécessaire au démantèlement de l’usine nucléaire, même en cas de faillite;

-auront répercuté l’ensemble de ces coûts sur nos factures électriques, histoire d’éclairer réellement les consommateurs sur ce que coûte l’énergie électrique issue du nucléaire;

-autoriseront des contrôles indépendants et des visites citoyennes régulières accompagnées de scientifiques non issus de leurs milieux protégés, insoupçonnables de collusions et véritablement impartiaux;

-admettront que le nucléaire est une chose trop importante pour la confier à des intérêts privés selon les lois de la simple propriété privée.

Bref, lorsque le lobby nucléaire aura admis que ses positions sont intenables.

Et qu’il faudra abandonner le nucléaire comme source d’énergie acceptable au sein d’une démocratie.

PArce qu’au-delà des discussions sans fin sur les tenants et aboutissants écologiques, des émissions de CO2 et autres phénomènes, il faut se rappeler que le nucléaire ne saurait en aucun cas être une source d’énergie démocratique: elle exige une opacité, un contrôle vertical, un système autoritaire et des forces armées aux ordres d’intérêts qui ne sont pas ceux d’un système véritablement démocratique.

La confusion des genres, p. 16-22

January 2nd, 2014

Début: p. 1-8 et p. 8-16

Ces nuits où je ne me rendormais pas, où je rebranchais mon ordinateur pour écouter mon fichier des Pixies, de Le Forestier, frère et soeur et de Reggiani, ou pour visionner des films en ligne d’informations alternatives, il m’arrivait de remonter jusqu’aux véritables sources de ma conscience adulte, pour lesquelles, telles que celles du Nil, il fallait envoyer des explorateurs téméraires, prêts à renoncer certains jours à leur thé de cinq heures parce que le boy qui transportait la bouilloire avait été bouffé par un animal sauvage –qui n’était pas un tigre, car, comme je l’avais appris dans « Le sens de la vie », il n’y a pas de tigre en Afrique-, explorateurs qui parviendraient à les fixer définitivement sur des cartes dont toute la gloire serait ensuite d’être consultées par des armées de gentlemen dans des clubs fermés à tout ce qui n’était mâle et anglais, à la rigueur écossais, et qui se réjouiraient au-dessus de leurs tasses qu’il existe encore des hommes de valeur dans le royaume ; mais quant aux miennes, je ne pouvais m’engager que seul en amont de mes souvenirs, sur les rives de ce qui était devenu de plus en plus flou, effort pour lequel je recevais l’aide, justement, de l’heure qui me rappelait ces nuits où, enfant, je me réveillais avec la nécessité de vérifier que ma mère dormait bien dans la chambre à côté.

Ces instants de panique arrivaient lorsque nous n’étions pas à la maison. Pour les vacances, quand nous ne partions pas, ma mère acceptait les invitations sans enthousiasme de mes oncles, les frères de mon père, à passer quelques jours, parfois deux semaines, dans leur maison de campagne. C’était leur manière à eux de montrer qu’ils avaient le sens de la famille. Ils étaient copropriétaires d’une ferme construite au début du XXème Siècle qui avait été transformée par les précédents propriétaires en quelque chose de plus confortable. Un accident de chasse (avait-ce été le fils ? le frère, qui… ?) avait provoqué sa vente forcée et mes oncles s’étaient mis d’accord pour mettre la moitié de la somme chacun et se partager le butin contractuellement année après année. L’épreuve principale fut jouée à pile ou face pour savoir qui prendrait le mois de juillet et qui, donc, se contenterait d’août. Pour une raison qui m’avait échappé, du bas de mes six ans (mais m’échappe encore), le partage ne semblait pas équitable à celui à qui le second avait été attribué.

Mes oncles paternels, j’avais mis du temps à m’en apercevoir, ne s’aimaient pas –et n’avaient probablement pas aimé mon père. Ils dissimulaient cette antipathie mutuelle, qui devait remonter à de vieilles rivalités d’adolescents, derrière des intérêts temporairement communs. Ils cherchaient juste à s’exploiter l’un l’autre jusqu’à la mort de leurs parents, au moment de l’héritage qui allait fatalement les déchirer, car, celui-ci consistant principalement en biens immobiliers, ils n’allaient pas accepter les expertises qui auraient pour but de les départager, et n’avaient opté pour l’achat de cette maison en commun que parce que c’était tout ce qu’ils pouvaient se permettre en attendant et que, malgré leur inimitié, ils préféraient cela plutôt que rien par souci de statut social. Au nombre de collègues, proches, médecins de famille, agents d’assurance, experts, notables locaux, qui étaient passés les voir dans leur palais, c’est le raisonnement que je parvins à faire bien plus tard, lorsqu’un jour, j’eus l’occasion de repasser devant, toute désolée d’être vide au milieu de l’automne, maison spacieuse qui ne servait presque pas dix mois sur douze… Par contraste, leurs femmes s’entendaient, elles, sincèrement, ce qui semblait tenir du miracle. Ayant échappé à la révolution sexuelle grâce à leur naissance protégée et à la fréquentation jusqu’à la fin de l’adolescence d’églises et d’écoles de grands noms, elles avaient toutes les deux fait un mariage adéquat, avec respectivement un ingénieur et un avocat, dont elles n’allaient découvrir que trop tard, si jamais, la médiocrité. Elles partageaient également l’aigreur de l’infidélité de leurs époux et avaient trouvé dans le malheur de l’autre un réconfort à leur propre tristesse. Comme leur éducation les avait confinées à des études, pour l’une moyennes, pour l’autre peu valorisées, elles craignaient de devoir reprendre un travail en bas-relief si elles devaient divorcer, et, pour autant que je sache, ne tentèrent pas de trouver d’amant. Je ne pense pas non plus qu’elles aient eu de relations ensemble : l’idée même de l’homosexualité devait leur répugner. Je n’en ai pas la certitude, cependant lorsqu’elles s’embrassaient (sur la joue, toujours la droite) en notre présence, les rares fois où les deux oncles se retrouvaient en même temps au même endroit, ayant trimballé femmes et marmailles avec eux, soit dans la maison de campagne, soit chez les grands-parents, elles se serraient dans les bras avec une retenue pincée qui ne trahissait pas le désir physique. Le temps de mes premiers ébats était encore loin, et les modes changent. Mon expérience future et mes lectures de Christiane Rochefort n’allaient pas correspondre à ce qu’elles montraient et, qui sait, peut-être cachaient-elles bien ce que nul ne pouvait voir, mais mes oncles étaient tellement abrutis et mes grands-parents si imprégnés de préjugés imbéciles que, même si elles s’étaient léchées à pleine bouche devant tout le monde, je crois que personne n’aurait compris ou n’y aurait vraiment cru. Donc, à moins qu’on ne me montre le contraire, je m’en tiens à ma première hypothèse, qu’elles se serraient essentiellement les coudes dans l’adversité et l’amertume d’un commun cocufiage institutionnel sans pour autant en profiter pour réduire leurs frustrations sexuelles ensemble.

J’étais –comme la plupart des humains au cours de l’histoire- le produit d’une culture de propagande permanente qui ne disait pas son nom. Non seulement, je craignais, comme tout enfant, de me retrouver loin de mon seul parent –ma mère-, mais surtout, mon intérêt pour les informations ayant été très précoce et voulant toujours en savoir plus, à l’exemple de ma mère, je regardais avec elle le journal télévisé du repas du soir et, si elle avait l’avantage de pouvoir lire le journal le matin suivant, moi, je l’écoutais illustrer des mots qu’elle lisait les images qui accompagnaient parfois les articles sérieux de la presse, et j’apprenais peu à peu à avoir surtout peur de ces deux vieillards qui paraissaient commander le destin de la planète, sous l’appellation étrange de guerre froide. Exactement comme dans la chanson de Sting, plus tard, qui s’inquiétait de savoir si les Russes pouvaient aimer leurs enfants, chanson dont l’album traversa mon adolescence et qui me ramène toujours à la mélancolie de ma mère lorsque je l’entends.

Cette peur me réveillait toutes les nuits que je ne passais pas dans ma propre chambre en ville. Je me levais et j’allais jusqu’à la porte de celle où ma mère dormait seule dans un lit archaïque d’environ un mètre soixante-dix de côté, qui avait été celui d’un couple du début du siècle et que les oncles avaient récupéré pour les (petits) invités. Quand, au milieu de ma nuit, j’avais eu l’occasion de voir ma mère étendue seule, sur cette anachronicité qui semblait lui dire, tant d’années après la mort de mon père, qu’elle devait rester dans son souvenir et la chasteté que le veuvage lui imposait, je parvenais à me recoucher et à me rendormir, malgré les ronflements de mes deux plus jeunes cousins dont les lits encerclaient mon matelas.

Parfois, sans le vouloir, je la réveillais du seul bruit de mes pas sur le plancher de bois trop vieux, et elle m’invitait à passer la fin de la nuit auprès d’elle dans un grand geste de la main soulevant les draps et la couverture. Je ne refusais jamais, car je ressentais un soulagement infini à l’idée de passer, non pas les dernières heures de la nuit, mais mes derniers moments auprès de l’être que j’aimais entre tous, dans la perspective d’un embrasement mondial qui ne pouvait qu’arriver vers l’aube.

J’éprouvais une acide déception en me réveillant, le matin, comme tous les précédents, ayant échappé à la guerre nucléaire. Mais je crois que, ce que je regrettais de fait, c’était que mes cousins, mes tantes et mes oncles avaient également survécu à la tranquillité de la nuit qui, en définitive, ne s’était révélée un long moment d’angoisse peu reposant que pour moi.

Je n’avais aucune sympathie pour toute cette partie de ma famille. Tout le temps que nous passions là-bas, je ressentais une profonde nostalgie de notre appartement et du frère de maman, mon oncle, avec qui nous passions une grande partie de notre temps en ville. Si j’aimais la campagne, je ne supportais ni la maison, ni les oncles, ni les tantes. Quant aux cousins, leurs jeux que je trouvais stupides étaient ceux de tous les enfants de leur âge et, en ville, j’y participais avec d’autres gamins sans rechigner.

La confusion des genres, p. 8-16

December 31st, 2013

Suite des pages 1-8 que vous trouverez ici.

Il me semblait que je réinventais le mythe de la caverne augmenté de cette nouvelle inconnue à l’équation qui impliquerait que certains philosophes, après avoir vu les idées dans leur réalité, auraient décidé de retourner s’enchaîner, et je ne voyais guère comment convaincre Roberto de la quitter, lui pour qui les écologistes signifiaient la surtaxation de son camion ; les socialistes la multiplication des impôts sur les petits patrons autonomes dont il était ; les communistes une engeance qu’il fallait interdire d’exercer la politique puisqu’ils étaient opposés à la liberté d’entreprise, donc à la liberté tout court ; les anarchistes guère autre chose que des terroristes que rien ne distinguait des musulmans qui obligeaient leurs femmes à porter des vêtements dont il ne parvenait à retenir ni les noms, ni les définitions ; les féministes des emmerdeurs (et plus généralement des emmerdeuses) dont la tâche était achevée depuis des décennies et qui ne savaient pas quand il fallait s’arrêter.

De mon incapacité à convaincre les personnes qui m’étaient proches depuis tant de temps (et que dire de mon frère, qui venait d’accepter de se présenter aux prochaines élections parlementaires sous une bannière qui criminalisait depuis presque toujours tous les mouvements auxquels j’avais participé depuis la fin de mon adolescence), je ne ressentais aucune frustration, aucun sentiment d’inaboutissement, seulement un énorme complexe de culpabilité, du fait que j’estimais avoir l’intelligence nécessaire pour les amener à nous suivre et que, n’y parvenant pas, cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’était ma propre personnalité, prétentieuse ou méprisante, comme on me l’avait déjà souligné, qui les empêchait de s’accorder pour changer de route et participer à un monde effectivement meilleur, plus égal et plus libre, moins dangereux et moins désespéré. Pourtant, dans maintes discussions, je m’étais aussi entendu dire que, si je me présentais, les mêmes personnes qui me taxaient d’orgueil surdimensionné et de mépris pour leurs intelligence, prétendaient qu’elles voteraient pour moi, persuadées que j’apporterais quelque chose de nouveau et peut-être parviendrais à résoudre les problèmes qui les touchaient. Comme il n’en aurait pu être question, les élections dans le cadre d’une démocratie représentative figurant pour moi l’aboutissement de l’exploitation intellectuelle des masses et ne pouvant en aucun cas permettre l’émancipation des populations, je me renfermais lors de ces discussions dans un discours rendu brumeux par l’alcool ingurgité à ces occasions et qui devait justifier de ma position (« Nan, c’est pas de l’antiparlementarisme primaire ! Et, nan, j’suis pas poujadiste ! ») et ne servait généralement qu’à faire croire à mes interlocuteurs que ma paresse restait plus forte que mon ambition révolutionnaire ou que mes belles idées n’étaient destinées qu’à les rester (« un’idea, un concetto, un’idea, Finché resta un’idea, é soltanto un’astrazione… »), qu’en fin de compte ma position politique n’était qu’une posture –au moins, évitais-je probablement le terme d’imposture de la part de ceux qui m’aimaient.

Lorsque je retournais dans mes plumes, c’était pour ne pas retrouver aussitôt le sommeil. L’angoisse apaisée pour le reste de la nuit par la vue du sommeil calme de Lucie avait fait place à celle plus dramatique, car insoluble, des perspectives de vie de la génération future et du repli de mes pensées sur nos actions passées. Et les miennes en particulier. De mes dernières activités à l’IRé ou au journal, je sautais dans la ligne du temps de nos aventures ; aventures est le mot juste car nous nous lancions dans des projets que nul ne voulait voir accomplis autour de nous. À l’université, au Centre Libertaire, lors du J15, au Collectif d’Actions Contre les Expulsions… Nous explorions des contrées de vie que ni les autorités, ni les partis, ni les syndicats, ni même une bonne partie des bonnes âmes que nous rencontrions dans telle ou telle organisation militante n’aimaient voir se développer. Chaque fois, les bâtons s’accumulaient dans nos roues, souvent les mêmes sous des formes à peine différentes : diffamations, poursuites policières, jugements sans dossiers, contre-mouvements fascistes, mais aussi de la part de nos « alliés objectifs », les partis et les syndicats de la gauche acceptable. Nous organisions des espèces de camps libres, sans programme préétabli, avec l’objectif premier de faire chier les autorités -en leur montrant à quoi pouvait mener l’autonomie- à qui nous refusions de livrer -pardon, de désigner des chefs, des représentants, des délégués, des boucs émissaires. Nous nous lancions dans des manifestations plus ou moins spontanées, aux parcours étudiés entre nous, et nous étions peut-être cinquante, mais nous faisions plus mal (même si peu) que si nous étions cent mille, parce que nous ne faisions que de l’inattendu et que parmi les cent mille, il y avait fatalement les repoussoirs de l’appareil qui répondaient aux questions des caméras (et donc, les cent mille, en fin de compte, ne lui faisaient aucun mal, à l’appareil). Et, parmi ces cent mille, nous ne pouvions apparaître, c’est-à-dire exister politiquement, que si nous brisions une caméra au-dessus d’une banque ou si nous retournions une grosse voiture, ce qui n’était pas ma tasse de thé… Ou alors, si nous citions tel artiste italien qui osait dire que, même après son exécution, Aldo Moro était encore responsable de quarante années de cancer mafioso-chrétien… Ou si nous provoquions un barrage symbolique au passage d’un camion blindé qui emportait un étranger vers l’avion qui le « ramènera chez lui » (sans avoir réussi à convaincre un seul journaliste encarté à nous accompagner pour constater la violation des droits humains en jeu), ou quand nous fichions une tarte à la crème dans la figure d’un imbécile médiatique –que nous étions enfants ! Mais de le faire nous produisait tellement de bien, simplement de le faire, de nous mettre dans l’action et de produire l’acte précaire, inconséquent, qui rappelait à sa victime que l’auguste, c’était nous, et le sinistre blanchâtre, c’était lui, et aussi qu’il n’était pas inatteignable, pas invulnérable, pas impunissable-, ou lorsque nous nous permettions de danser devant des lignes de policiers qui obéissaient pendant une heure à l’ordre de ne pas bouger, avant de nous foncer dessus –chose qu’elle, on ne voyait jamais à la télévision, sinon sur des images de pays dont les gouvernements n’étaient pas alliés aux nôtres- à coups de matraques et de canons à eau, sans aucune autre provocation que celles de curieux personnages masqués que nous ne comptions jamais parmi nous avant ou après notre manifestation et qui jetaient des mottes de terre sur leurs collègues pour justifier leurs assauts…

Je n’avais jamais l’impression, même depuis l’arrivée de Lucie dans ma vie, que toutes ces choses fussent loin de moi, au contraire : chaque acte, chaque participation, chaque événement qui avait provoqué la colère de nos magistrats restait pour moi un frais souvenir dont je pouvais à loisir me réjouir, que je pouvais me raconter en riant en silence, comme si je me trouvais devant une bonne bière avec moi-même, que je me secouais amicalement l’épaule pour me reprendre au milieu de mon récit, me rappelant à moi-même le détail oublié et qui tuait, ce qui ne pouvait que produire l’effet voulu, avoir la conséquence obvie : celle de convaincre o fulano encore dubitatif de la justesse de nos vues, dans la joie de la contestation. Ce n’était pas de la naïveté, mais de l’espoir, encore, que la mise en scène, au milieu de la rue, du conflit israélo-palestinien sous forme d’un combat de boxe ridicule entre un David bardé d’armes perché sur un bouclier aux couleurs multiples de l’Occident et soutenu par quatre hommes masqués des mêmes, et un Goliath grassouillet, mais trop bas, tout seul et pourvu d’une fictive ceinture d’explosif, le tout brodé d’un scénario burlesque, ne puisse qu’attirer les applaudissements d’une foule, même uniquement composée de juifs, et mener à leur conversion pour notre cause désespérée.

Fraîches encore, ces images de défaites, de dégoûts, de déceptions surtout… De déceptions terribles, lorsque je me revoyais au milieu de mes amis, après la réalisation d’une pièce et d’un débat convaincants sur un sujet, le travail social, pour lequel nous avions acquis une certaine crédibilité, on nous demandait des suites, des reprises et je me retrouvais solitaire enthousiaste à vouloir effectivement suivre les conseils de notre public échauffé, que nous laissions refroidir et mourir dans l’obscurité froide des sorties de nos locaux fatigués, sans la perspective d’un recommencement, d’une prolongation, d’un affinement, de quelque chose, en somme, qui rentabilise notre effort vers ce sujet. Je me souviens aussi, avec dépit, de la face réjouie, imbécile, de celui que je croyais inébranlablement fidèle, solide parmi les piliers du Centre Libertaire, et qui m’annonça fièrement avoir jeté les trois cents affiches surnuméraires qui avaient stagné au grenier de notre lieu de rencontre pendant trop de temps, mais que je venais d’annoncer, deux jours plus tôt, vouloir aller placarder nuitamment par toute la ville avec Jérôme, armé de colle et de ballets-brosses, dans l’espoir amusé de penser que toutes ces affiches, aux contenus artistique, humoristique, talentueux (pas le mien, de talent, mais celui de plusieurs de nos glorieux prédécesseurs retombés entre-temps dans l’oubli parfait), clamant notre militantisme athée, anti-religieux (« Contre le Sida, la capote, pas la calote »), libertaire (« L’ordre, c’est le bonheur »), anti-capitaliste, écologiste, anti-consumériste (« La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons »), allait peut-être réveiller dix ou vingt consciences, et que cette nuit de travail, ou ces deux nuits, ou ces trois nuits, allaient justifier les dix années d’endormissement des affiches et leur stockage encombrant au fond d’une pièce sombre. Jeune, encore, cette scène où, au milieu de 300 militants de tant d’obédiences différentes, je me faisais applaudir pour le récit par Serge Rubin de mon intervention décidée en opposition à la signature d’un accord non seulement superflu, mais insultant, au cours d’une réunion avec les ONG et les syndicats qui exigeaient de nous, pour prix de leur association à notre mouvement, lui-même fruit d’un travail de longue haleine, le renoncement à la quasi-totalité des principes que nous avions adoptés dans la joie de notre ensemble large et -à notre niveau- œcuménique, alors que, dix minutes après, passant au vote, la même assemblée dont j’avais reçu l’ovation, guidée par des masses partidaires et des intérêts que je ne comprendrais qu’au jour du contre-sommet, massivement, entérinait l’accord traître, qui provoqua ma démission dégoûtée du secrétariat de ce que je croyais avoir été une coalition historique de mouvements minoritaires et qui m’avait apporté l’espoir qu’un travail en commun, sans les figures officielles, sans les tenants des plus grandes parts de marché de la gauche militante, était possible.

Et fraîche encore, cette impression éteinte, ce sentiment diffus, de défaite, que je faisais partie de cette « razza in estinzione», mais je ne voulais pas le croire, qui voulait « vraiment changer la vie » (cambiare veramente la vita)…

Comme le disait Gaber.